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Âge maximum pour le recrutement de personnel aérien : discrimination

Commentaire de Trib. trav. néerl. Bruxelles siégeant comme en référé, 26 novembre 2019, R.G. 18/963/A

Mis en ligne le vendredi 29 mai 2020


Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles siégeant comme en référé, 26 novembre 2019, R.G. 18/963/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 26 novembre 2019, siégeant comme en référé, le Président du Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles conclut au caractère discriminatoire de l’exigence posée par une société aérienne lors du recrutement de candidats membres du personnel à propos de leur âge, ceux-ci ne pouvant avoir atteint les 25 ans lors de l’introduction de leur candidature.

Les faits

Une société active dans le domaine de l’aviation (prestations de services à des sociétés d’aviation) procède, lors du recrutement de candidats, à des examens (tests de langue, de personnalité, examen médical, évaluation de coûts et capacités d’analyse). Elle effectue pour les candidats retenus une classification et ceux qui viennent en tête sont invités à une formation d’une durée de deux ans en tant que membres du personnel aspirants.

Deux personnes qui ont été écartées au motif qu’elles ne correspondent pas aux nouvelles conditions posées par la société. Elles ont contacté UNIA, qui a en fin de compte décidé d’introduire une action devant le Président du Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles siégeant comme en référé, dans le cadre de la loi du 10 mai 2007. Est visée une discrimination fondée sur l’âge, la date d’inscription aux examens ci-dessus devant intervenir avant leur 25e année. Dans le cadre d’une action en cessation basée sur l’article 20 de la loi, est demandée la cessation de la pratique discriminatoire, s’agissant d’une discrimination directe.

Des candidats évincés interviennent volontairement à la procédure.

La décision du président du tribunal

Le président du tribunal reprend en premier lieu les règles en matière de compétence.

Il rappelle qu’il n’est pas compétent, dans le cadre de cette procédure, pour l’octroi de dommages et intérêts de droit commun suite au préjudice subi vu la violation de la loi anti-discrimination. La compétence du juge de la cessation est une compétence restrictive (renvoyant à la doctrine de F. BOUQUELLE et A. FRY, « Les actions en cessation en droit social », Actions orphelines et voies de recours en droit social, Anthémis, 2012, p. 43 et G. CLOSSET-MARCHAL, La compétence en droit judiciaire privé, Larcier, 2016, p. 347).

En ce qui concerne l’intervention des personnes physiques, dont la recevabilité est contestée par la société au motif qu’elles n’auraient pas d’intérêt à l’action vu qu’elles n’ont pas posé une nouvelle candidature, le tribunal considère qu’il s’agit d’une exigence excessive. Elles conservent un intérêt à l’action aussi longtemps qu’il n’est pas exclu que le comportement discriminatoire puisse être réitéré. Or, tel est bien le cas, tant que la limite d’âge est maintenue.

Sur l’existence de la discrimination, le tribunal reprend la notion de « conditions d’accès à l’emploi » figurant dans la loi. Il constate qu’il s’agit d’une distinction directe – ce qui n’est pas contesté par la société. Celle-ci est suffisamment pertinente pour actionner la présomption de discrimination sur la base de l’âge. Il appartient dès lors à la société d’établir l’absence de discrimination, à savoir les justifications de la distinction ainsi opérée. Le tribunal constate que, pour la société, il y a deux fondements, le premier étant les exigences essentielles et déterminantes (article 8 de la loi) et le second qu’il y a un objectif légitime, de nature sociale (article 12).

Le tribunal examine dès lors ces deux dispositions successivement.

Une distinction directe fondée notamment sur l’âge peut uniquement être justifiée par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes. Il faut entendre par là (article 8, § 2) (i) une caractéristique déterminée liée à l’âge en raison de la nature des activités professionnelles spécifiques concernées ou du contexte dans lequel celles-ci sont exécutées et (ii) l’exigence d’un objectif légitime, exigence proportionnée par rapport à celui-ci.

Ces conditions sont cumulatives. La société se fonde essentiellement sur ce qu’elle qualifie de « situational awareness » (soit une perception adéquate de la situation). La question est dès lors de savoir si ce critère (qui est admis comme constituant une exigence professionnelle essentielle et déterminante) est lié au jeune âge et si cette exigence repose sur un objectif légitime et est proportionnée par rapport à celui-ci.

Sur le premier point, le tribunal conclut que la société est la seule qui fasse valoir cet élément, les documents émanant notamment d’Eurocontrol n’imposant pas cet âge. Quant à la proportionnalité, il renvoie à l’arrêt de la Cour de Justice du 13 septembre 2011 (C.J.U.E., 13 septembre 2011, Aff. n° C-447/09, PRIGGE et alii c/ DEUTSCHE LUFTHANSA AG) pour ce qui est de l’objectif légitime. La question est en réalité de savoir si l’exigence posée d’un âge maximal de 25 ans est proportionnée à l’objectif poursuivi ainsi qu’au motif de sécurité du trafic aérien qui y est lié. Le contrôle de proportionnalité porte sur le caractère adéquat et nécessaire de l’exigence professionnelle. La Cour de Justice a considéré à cet égard (C.J.U.E., 13 novembre 2014, Aff. n° C-416/13, VITAL PÉREZ c/ AYUNTAMIENTO DE OVIEDO) que la limite d’âge doit être appropriée pour atteindre l’objectif et ne peut pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour la réalisation de celui-ci. Le dernier arrêt de la Cour de Justice sur la question (C.J.U.E., 5 juillet 2017, Aff. n° C-190/16, FRIES c/ LUFTHANSA CITYLINE GmbH) a retenu qu’il doit au moins y avoir une incertitude sur le critère de l’âge tel qu’il a été appliqué.

Le tribunal examine dès lors les éléments avancés par la société, étant la maximalisation des chances de réussite de la formation, l’exigence d’une expérience suffisante au regard de la diminution des capacités cognitives et, enfin, l’évolution vers des fonctions plus complexes.

Il conclut que l’âge de 25 ans n’est pas proportionné à l’objectif poursuivi.

La position d’Eurocontrol, qui n’impose par ailleurs pas cet âge, est antérieure à l’entrée en vigueur de la loi anti-discrimination et, pour le tribunal, cet élément n’est nullement déterminant pour conclure à l’absence de discrimination.

La société se fondant sur l’article 6.1 de la Directive n° 2000/78, qui prévoit expressément que la fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite, le tribunal considère que, dans le cadre de l’examen de l’article 12 de la loi, la société n’établit pas davantage la justification du choix de l’âge de 25 ans, qui a déjà été contesté ci-dessus dans le cadre de l’article 8.

En conclusion, elle ne satisfait pas à son obligation de preuve. Il y a discrimination directe, intervenue en violation de l’article 14 de la loi. Le tribunal en ordonne la cessation et condamne la société à payer à chacun des intervenants volontaires le forfait légal (soit un montant de l’ordre de 11.000 euros par personne).

Intérêt de la décision

Le jugement du Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, particulièrement circonstancié dans l’examen des composantes de la discrimination dans l’hypothèse spécifique de l’âge de recrutement, renvoie à plusieurs décisions rendues par la Cour de Justice à propos de personnel naviguant du secteur de l’aéronautique.

L’arrêt du 13 septembre 2011, rendu en cause PRIGGE et alii contre DEUTSCHE LUFTHANSA AG, concernait des pilotes devenus commandants de bord de la société à la cause et dont le contrat de travail avait pris fin à l’âge de 60 ans en application de la législation interne. Ils se sont plaints d’une discrimination sur la base de l’âge. La Cour de Justice a considéré que la mesure examinée, qui fixe à 60 ans l’âge limite à compter duquel les pilotes ne peuvent plus exercer leur activité professionnelle alors que les réglementations nationale et internationale fixent cet âge à 65 ans, n’est pas une mesure nécessaire à la sécurité publique et à la protection de la santé au sens de l’article 2, § 5, de la Directive n° 2000/78/CE. La Cour a également interprété l’article 6, § 1er, alinéa 1er, de la Directive comme signifiant que la sécurité aérienne ne constitue pas un objectif légitime au sens de cette disposition.

Dans l’arrêt VITAL PÉREZ du 13 novembre 2014, s’agissant d’un âge maximum pour le recrutement d’agents de la police locale d’Oviedo (30 ans), elle a conclu qu’il s’agissait d’une exigence disproportionnée eu égard à l’objectif légitime poursuivi, qui est le caractère opérationnel et le bon fonctionnement du corps. Cette différence n’a pas été admise, la Cour concluant à la violation des articles 2, § 2, 4, § 2, et 6, § 1er, c), de la Directive.

Enfin, dans l’affaire FRIES contre LUFTHANSA CITYLINE GmbH, s’agissant encore de pilotes de ligne, elle a conclu en renvoyant à sa conclusion dans l’arrêt PRIGGE et alii, étant que, s’il est essentiel que les pilotes de ligne possèdent des capacités physiques adéquates, dans la mesure où les défaillances physiques pour cette profession sont susceptibles d’avoir des conséquences importantes, il est indéniable que ces capacités diminuent avec l’âge. Le secteur du transport aérien commercial est le seul où une limite d’âge (65 ans) est appliquée, ceci paraissant de nature à renforcer plutôt qu’à affaiblir le caractère proportionné de la mesure. L’interdiction faite au titulaire d’une licence de pilote ayant atteint l’âge de 65 ans d’agir en tant que pilote constitue un moyen approprié pour maintenir un niveau adéquat de sécurité de l’aviation civile en Europe. La mesure a dès lors été considérée comme n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt général poursuivi (examen dans le cadre du Règlement (UE) n° 1178/2011 du 3 novembre 2011 déterminant les exigences techniques et les procédures administratives applicables au personnel naviguant de l’aviation civile).


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