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Incident avec un supérieur hiérarchique : refus de reconnaissance d’un événement soudain

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 28 novembre 2019, R.G. 2018/AN/168

Mis en ligne le vendredi 12 juin 2020


Cour du travail de Liège (division Namur), 28 novembre 2019, R.G. 2018/AN/168

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 novembre 2019, la Cour du travail de Liège (division Namur) rejette la qualification d’événement soudain dans l’hypothèse d’incidents survenus entre une employée communale et son supérieur hiérarchique, considérant que la demanderesse n’a pas satisfait à son obligation de preuve.

Les faits

Une employée communale connaît des difficultés relationnelles (qualifiées de « constantes » et de « connues ») avec son chef hiérarchique. Elle fait état, au titre d’accident du travail, de faits survenus à trois semaines d’intervalle. Il s’agit, pour le premier, de la veille de ses vacances et, pour le second, de son retour de vacances. Pour ce qui est du premier, est retenu un incident lié à l’intrusion de l’employée dans le bureau de son supérieur. Celui-ci adressa à l’intéressée un rappel à l’ordre, ayant été dérangé par l’irruption faite dans son bureau, les règles habituelles n’ayant pas été respectées. L’intéressée reprit son travail.

Suite à cet incident, elle reçut, lors de son retour de vacances, un document à signer (« mesure 1 ») contenant le relevé des manquements lui reprochés. L’intéressée refusa de le signer et il s’ensuivit un vif incident.

L’intéressée fut en incapacité de travail à partir du 21 juin 2016 (date du second incident) jusqu’au 31 mars 2017. Elle fut convoquée pendant son incapacité de travail par le département des ressources humaines de la Ville et ne se présenta pas, étant en incapacité. Le Collège communal, saisi d’une demande de reconnaissance d’un accident du travail, refusa de reconnaître aux faits litigieux ce caractère, faisant d’ailleurs observer la tardiveté des déclarations, qui furent faites le 23 septembre 2016.

Par la suite, en date du 23 mars 2017, l’intéressée fut mutée.

Position des parties devant la cour

L’employée, appelante, reprend sa position initiale, selon laquelle il y eut deux incidents. Elle fait plus spécialement valoir, pour le second incident, la violence verbale de son supérieur hiérarchique ainsi que le degré de virulence de la manière dont elle fut invectivée et éconduite. Il s’agit, pour elle, d’un événement soudain au sens de la loi.

L’employeur conteste tout à fait la version de l’intéressée – contradiction totale sur les faits constatée par la cour. Celle-ci relève que l’employée eut elle-même un comportement violent, arrachant le document « mesure 1 » des mains de son supérieur et le déchirant.

Le conseiller en prévention-aspects psychosociaux ayant reçu en date du 20 décembre 2016 une demande formelle d’intervention (l’intéressée déposant également plainte auprès de l’auditorat du travail), le dossier de celui-ci fait apparaître, par les déclarations des témoins entendus, que les hurlements et violences invoqués par l’employée ne sont pas établis, même si « l’altercation fut vive ».

La décision de la cour

La cour précise, en remarque préliminaire, qu’il ne faut pas confondre les critères de la loi du 4 août 1996 concernant le bien-être des travailleurs et ceux de celle du 3 juillet 1967 concernant les accidents du travail dans le secteur public. Cependant, elle estime pouvoir puiser dans les déclarations présentes dans ce dossier les éléments permettant d’établir (ou d’infirmer) l’existence d’un événement soudain.

Après avoir constaté qu’une charge psychosociale a certainement affecté tant l’employée que son supérieur, la cour examine longuement le droit de la preuve dans la législation relative aux accidents du travail. L’événement soudain doit en effet être établi avec certitude et déterminé avec précision, ne pouvant pas seulement être possible ou probable. La charge de la preuve repose ici sur la victime, qui doit établir la matérialité de l’événement soudain allégué. Celui-ci ne doit pas se distinguer de l’exercice normal et habituel de la tâche journalière (la cour renvoyant notamment Cass., 5 avril 2004, n° S.02.0130.F). Il y a lieu d’établir l’existence d’un fait, épinglé par la victime, présentant un caractère soudain et qui est susceptible d’avoir pu causer la lésion. Si ce fait peut être un fait banal, l’existence de l’événement soudain ne peut résulter d’une supposition, d’une théorie, d’une simple probabilité, etc. (la cour renvoyant ici à divers arrêts de la Cour de cassation, dont Cass., 6 mai 1996, n° S.95.0064.F et Cass., 10 décembre 1990, n° 7.231).

Elle examine ensuite les éléments déposés, s’agissant d’attestations rédigées conformément à l’article 961/1 du Code judiciaire.

Elle conclut à la réalité de deux incidents identifiés, déterminables dans le temps et dans l’espace, durant l’exécution du travail et au lieu de celui-ci, leur durée respective étant relativement brève. Pour le premier incident, il s’agissait d’une transgression réitérée du respect d’une règle d’organisation et, pour le second, d’un comportement vivement hostile de l’intéressée vis-à-vis d’une « mise au point » pré-disciplinaire que son supérieur était chargé de diligenter.

Pour déterminer si ceux-ci constituent chacun un événement soudain, la cour souligne qu’il y a lieu d’identifier de manière certaine les éléments en cause : attitude, paroles, gestes, violence verbale (hurler…) ou physique de nature à produire la lésion. Le caractère accidentel de l’événement doit en effet être distingué d’une tension, d’une contrariété ou d’une autre difficulté relationnelle, habituelle ou possible sur le lieu du travail.

Pour le premier incident, la cour fait grief à l’intéressée de ne préciser aucun des propos qui auraient été tenus par son supérieur. S’il est certain qu’il exigea avec rigueur et fermeté le respect des consignes (sic), il n’est pas démontré qu’il fut grossier, outrageant, menaçant, humiliant, insultant, vociférant, etc. Les témoins de l’employeur attestent qu’il y a eu exercice normal de l’autorité et qu’aucun acte n’est prouvé avec certitude, qui pourrait être qualifié de violent au sens de la législation. La cour s’appuie ici à la fois sur le rapport du conseiller en prévention, utile pour l’appréciation des faits dans le cadre de l’accident du travail. Elle renvoie également aux témoignages et aux auditions d’autres agents.

Les mêmes constatations sont faites pour l’incident du 21 juin 2016, pour lequel la cour déplore qu’aucune parole n’est rapportée, la cour soulignant le comportement violent de l’intéressée au cours de celui-ci, faisant obstacle à la poursuite de l’entretien, l’employée accablant son chef quant à la violence de l’incident qui s’ensuivit sans établir qu’il serait l’auteur d’actes pouvant correspondre à un événement soudain.

Pour la cour, la preuve d’un événement soudain n’est pas rapportée, et ce pour aucun des deux faits. Ceux-ci correspondent à une sévère et légitime réaction de l’autorité hiérarchique pour corriger les manquements de l’intéressée, qui est la cause première des faits analysés.

La cour rappelle encore que ce ne sont pas les constatations médicales qui démontrent l’existence d’un événement soudain.

Intérêt de la décision

La jurisprudence relative à l’existence d’un événement soudain dans des relations professionnelles, liées à un stress et à des tensions relationnelles, est non négligeable.

Encore faut-il, pour que l’événement soudain soit reconnu, que la partie demanderesse, victime de l’accident du travail qu’elle revendique, établisse l’existence de cet élément de la définition légale, et ce avec certitude.

Cet arrêt se situe dans une marge d’appréciation délicate, dans la mesure où il a été constaté que le ton était ferme, et même virulent. La cour a cependant conclu qu’elle ne pouvait dégager d’éléments permettant de retenir un événement soudain au sens légal. L’on constatera qu’elle a accordé une grande importance à la preuve, étant en l’occurrence essentiellement les déclarations faites par des témoins anonymes dans le cadre du rapport du conseiller en prévention-aspects psychosociaux et celles des témoins conformes à l’article 961/1 du Code judiciaire.

De l’ensemble des éléments de preuve, il s’est dégagé, pour la cour, que l’entretien a été normal, conforme à un rappel à l’ordre de la hiérarchie, la demanderesse n’établissant pas « prima facie » l’existence d’un fait qui serait susceptible d’avoir entraîné la lésion. La cour a ainsi refusé la qualification d’événement soudain aux deux incidents évoqués.


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