C. trav. Bruxelles, 22 janvier 2020, R.G. 2017/AB/465
Mis en ligne le jeudi 6 août 2020
Dans un arrêt rendu le 22 janvier 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que dans la matière des titres-services, la récupération des titres octroyés en cas de non-respect de la réglementation ne constitue pas une sanction mais que les titres ainsi délivrés ont un caractère indu et doivent être restitués.
Les faits
Une entreprise de titres-services a fait l’objet d’une enquête par les services de l’ONEm en 2014. Suite au rapport d’enquête, des infractions ont été notifiées à la société. Il s’agit de paiements par titres-services d’activités interdites par la réglementation, la remise de titres-services avant prestations, la représentation des travailleurs ou utilisateurs par l’entreprise ainsi que des prestations effectuées les dimanches ou jours fériés.
Suite aux explications données par la société, l’ONEm notifie le 30 décembre 2015 sa décision de récupérer le montant total de plus de 3.650 titres-services remboursées à la société étant un montant de l’ordre de 80.000€.
La société a contesté devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui a considéré la demande partiellement fondée réduisant la récupération à un montant de l’ordre de 73.600€.
Appel est interjeté par la société.
Le litige devant la cour
La Région de Bruxelles-Capitale n’interjette pas appel sur un chef de demande rejeté par le tribunal étant celui relatif au paiement par titres-services d’activités non autorisées.
La société demande dans son appel principal que le jugement soit réformé sur deux infractions étant la représentation par l’entreprise et le fait d’avoir accepté des titres-services avant la prestation.
La décision de la cour
C’est la loi du 20 juillet 2001 visant à favoriser le développement de services et d’emplois de proximité ainsi que l’arrêté royal du 12 décembre 2001 concernant les titres-services qui sont au cœur de la discussion.
La cour rappelle les conditions d’agrément des entreprises de titres-services ainsi que les activités autorisées à celles-ci. Elles ont un caractère limitatif.
Il s’agit (article 2, § 1er, 3°) de travaux ou services de proximité : les activités marchandes ou non marchandes, créatrices d’emploi qui visent à rencontrer des besoins individuels, personnels ou familiaux dans le cadre de la vie quotidienne et qui concerne l’aide à domicile de nature ménagère. Cette dernière notion est à définir par le Roi, la disposition correspondante étant l’article 1er, 2° de l’arrêté royal du 12 décembre 2001.
Quant aux obligations mises à charge des entreprises de titres-services en vue de garantir que leurs activités restent dans les limites du cadre légal, elles sont également strictement énumérées à l’arrêté royal.
La cour en vient ensuite au système mis en place, étant la remise par l’utilisateur d’un titre-service par heure de travail accomplie, titre signé et daté, le travailleur complète ensuite son nom et signe le titre. Il est interdit d’accepter des titres-services si les travaux ne sont pas encore effectués. En outre l’entreprise ne peut représenter l’utilisateur non plus que le travailleur, pour signer le titre. Une fois en possession de titres-services, l’entreprise y appose son numéro d’agrément et son identité et les transmets à la société émettrice aux fins de remboursement, certifiant que les heures ont été prestées conformément à la réglementation.
Les modalités de contrôle et de récupération sont également prévues à l’arrêté royal, l’ONEm pouvant récupérer entièrement l’intervention et le montant du prix d’acquisition du titre si les travaux ont été effectués sans respecter les conditions légales et réglementaires. Il ne s’agit pas, ici, d’une sanction mais d’une obligation de rembourser des titres qui ont été accordés en infraction aux dispositions réglementaires et qui sont dès lors indus.
Ce caractère indu est à établir par l’autorité qui poursuit le remboursement.
La cour poursuit encore qu’elle dispose d’une compétence de pleine juridiction avec pouvoir de substitution. Celle-ci n’est cependant pas discrétionnaire. Dès lors que la preuve du paiement indu est rapportée, elle ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité d’ordonner ou non le remboursement. Elle renvoie à un précédent arrêt (C. trav. Bruxelles, 23 mars 2018, RG 2016/AB/1110). Enfin elle relève que depuis la VI° réforme de l’état, le contrôle et la récupération de l’indu sont à charge des autorités régionales.
Elle en vient ensuite à l’examen des infractions reprochées.
Elle conclut qu’est établi le fait que l’entreprise était en possession de titres-services de l’utilisateur pour des travaux qui n’avaient pas encore été effectués et que, par ailleurs, est également avéré le fait qu’elle a représenté plusieurs utilisateurs en datant à leur place par l’entremise de deux travailleuses. En outre, l’une de celles-ci a commandé des titres-services au moyen de fonds liquides reçus de quatre utilisateurs, qu’elle a versés sur son propre compte bancaire. Même si celles-ci se sont écartées du cadre réglementaire, l’entreprise est responsable de ces agissements.
Se pose cependant la question de la période et du nombre de titres-services en cause. Les éléments du dossier sont à cet égard flous, l’indu n’étant démontré qu’à hauteur de 850 titres-services et non 3.340 ainsi qu’initialement réclamé.
La cour réforme dès lors le jugement conformément à cette conclusion, l’indu se voyant limité à un montant de l’ordre de 18.700€.
Intérêt de la décision
La cour du travail, saisie d’une demande d’un important indu, a rappelé dans cet arrêt que l’autorité qui poursuit le remboursement doit établir le paiement ainsi que le caractère indu de celui-ci.
La cour a renvoyé à un précédent arrêt du 28 mars 2018 (C. trav. Bruxelles, 28 mars 2018, RG 2016/AB/1110 – précédemment commenté), confirmant avec cet arrêt le pouvoir de pleine juridiction du juge en la matière.
Les questions les plus récurrentes, soumises aux juridictions, dans ce contentieux concernent essentiellement les activités non autorisées dans le cadre des titres-services, puisque figure dans la réglementation une limitation des activités autorisées étant celles correspondant à l’aide à domicile de nature ménagère. Cette limitation a été voulue vu l’importance de la subvention accordée par les pouvoirs publics et ce aux fins de ne pas fausser la concurrence pour les autres activités.
L’on peut encore renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 24 mars 2015 (C. trav. Liège, div. Liège, 24 mars 2015, RG 2014/AL/286 – précédemment commenté) dans l’hypothèse où une société qui exerçait une autre activité, en plus d’être une entreprise de titres-services. Cette situation n’est pas interdite mais la société doit solliciter l’agrément pour les travaux ou services de proximité et doit dans cette hypothèse créer en son sein une section sui generis, qui s’occupe spécifiquement de ceux-ci.