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Indemnisation d’un burn-out dans l’administration publique : conditions

Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 27 juin 2019, R.G. 17/189/A

Mis en ligne le mardi 11 août 2020


Dans un jugement du 27 juin 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (div. Charleroi), saisi, dans le cadre de la législation relative aux maladies professionnelles dans le secteur public, d’une demande d’indemnisation de « burn-out », rappelle que celle-ci doit être distinguée de la réparation de faits de harcèlement et qu’il y a lieu d’investiguer prioritairement la notion d’exposition au risque eu égard à la profession exercée.

Les faits

Un fonctionnaire communal, au service d’une administration publique depuis 1973, connait de longues périodes d’incapacité de travail entre 2007 et 2010, ainsi qu’une nouvelle en 2014.

Il est mis en disponibilité à partir d’août 2014 jusqu’à sa mise à la pension.

Il a introduit une demande de maladie professionnelle auprès de son employeur, le motif invoqué étant un « burn-out professionnel ».

FEDRIS (à l’époque Fonds des Maladies Professionnelles) propose de rejeter la demande, s’agissant d’une demande qui ne figure pas sur la liste des maladies professionnelles donnant lieu à réparation et les éléments produits ne permettant pas de dire que la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.

La commune rejette la demande, suivant la position de FEDRIS.

L’intéressé introduit un recours devant le tribunal du travail demandant, avant de dire droit, la désignation d’un médecin psychiatre chargé de dire s’il est atteint d’une maladie (à préciser par ce dernier) et de dire si elle trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.

Les décisions du tribunal

Le tribunal du travail a rendu deux jugements.

Le jugement du 28 juin 2018

Le tribunal a ordonné la réouverture des débats, demandant à être plus amplement éclairé sur les éléments du dossier, la partie demanderesse devant notamment exposer en fait le contexte professionnel qui a provoqué sa maladie et devant déposer un rapport médical circonstancié.

Une procédure ayant apparemment été mise en route en matière de harcèlement, le tribunal demande à être informé sur l’état d’avancement de celle-ci ainsi que de la consistance du dommage dont la réparation est demandée dans ce cadre.

L’Administration communale et FEDRIS étant tous deux à la cause, le tribunal demande à ces deux institutions (ainsi qu’au demandeur d’ailleurs) de s’expliquer sur la distinction qu’il convient de faire (ou non) entre le fait de travailler dans un administration, qui présume – mais non de manière irréfragable – l’exposition au risque et le fait de travailler dans un contexte de harcèlement. Les parties sont également invitées à s’expliquer sur la possibilité (ou non) de cumuler l’indemnisation du dommage en harcèlement et la réparation d’une maladie professionnelle qui s’avérerait être la même maladie que celle causée par le harcèlement.

Le jugement du 27 juin 2019

Le tribunal constate – en déplorant cependant ne pas avoir de pièces nouvelles – que l’Office de Contrôle Médical fait référence à une dépression, à des anxiétés (en lien avec le contexte professionnel), ainsi qu’à des problèmes de justice et à une personnalité obsessionnelle.

Quant au contexte professionnel, un récapitulatif complet de la carrière et des événements survenus pendant celle-ci ont été déposés. Le tribunal est ainsi en mesure de reprendre l’historique depuis l’engagement en 1973. Il souligne qu’une plainte a été déposée pour harcèlement entre les mains de Monsieur l’Auditeur du travail à l’encontre du Collège le 16 mars 2011 et que la réponse de l’auditeur était que les faits relevés ne paraissaient pas rentrer dans la définition du harcèlement moral.

Pour ce qui est de la suite réservée à la question du harcèlement, le tribunal acte qu’aucune procédure judiciaire n’a été introduite par l’intéressé.

Par contre, pour ce qui de la consistance du dommage, le tribunal regrette également de ne pas être davantage éclairé (période d’incapacité, séquelles, soins, notamment).

Il aborde ensuite les deux problématiques, étant l’indemnisation pour maladie professionnelle et la réparation de faits de harcèlement, pour conclure que par le biais de l’exposition au risque, la jurisprudence tend à exclure l’indemnisation des risques psycho-sociaux (RPS) dans le cadre de la législation aux maladies professionnelles. Il renvoie à deux arrêts de la Cour du travail de Liège et de Bruxelles (C. trav. Liège, 6 janvier 2015, inédit, et C. trav. Bruxelles, 17 février 2016, J.T.T. 2016, p.270, cités par S. Remouchamps, « Les régimes de réparation des risques professionnels (accident du travail et maladie professionnelle) et le harcèlement ou violence au travail : l’indemnisation impossible ? » in, « Le bien-être des travailleurs, les 20 ans de la loi du 4 août 1996 », Anthémis 2016, pp. 424 et 425.

Selon cette jurisprudence, la notion d’exercice de la profession doit être interprétée restrictivement. L’exercice de la profession peut comporter un risque de maladie mais ceci doit être distingué d’éléments, constitutifs (ou non) de harcèlement, qui font que la profession est exercée dans un contexte particulier. Pour ce qui est du burn-out, il convient de vérifier si la profession dans son exercice normal comporte un risque de le déclencher. Si les éléments identifiés ne constituent pas des faits inhérents à l’exercice de la profession, l’indemnisation d’une maladie professionnelle pourrait être exclue, la législation en matière de risque professionnel n’ayant pas vocation à réparer un dommage dû à des RPS.

Sur le plan factuel, le tribunal examine ensuite les commencements de preuve que doit apporter le demandeur, tant sur l’exposition au risque et la maladie que sur le lien de causalité.

Rappelant l’inapplicabilité de l’article 32 de la loi du 3 juin 1970 dans le secteur public, le tribunal renvoie également à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2018, (Cass., 10 décembre 2018, n° S.18.0001.F), qui a posé la règle que la présomption d’exposition au risque professionnel s’applique tant aux maladies hors liste qu’à celles de la liste.

Il y a va d’une présomption réfragable.

Quant à la maladie elle-même, il reprend des publications de l’OMS, selon lesquelles cette pathologie n’est pas « bien définie », étant acquis cependant qu’il s’agit d’un phénomène lié au travail. Même si l’aspect médical n’a été investigué ni par FEDRIS ni par l’administration communale, est établie une pathologie mentale depuis l’année 2007, qui a conduit à un important arrêt de travail (2007 à 2010) ainsi encore qu’à une nouvelle période à partir de janvier 2014.

Pour ce qui est du lien de causalité, renvoyant ici à la position de la Cour du travail de Liège (C. trav Liège, div. Liège, 21 février 2017, RG n° 2016/AL/191), le tribunal estime que pour être directe, la cause doit être efficiente, en cela que sans elle la maladie professionnelle n’aurait pu exister dans une telle mesure. Pour être déterminante, la cause doit être réellement prépondérante ou décisive, c’est-à-dire réelle, concrète et manifeste mais non exclusive ni même principale.

Le lien de causalité – s’il n’est pas établi – reste en l’espèce possible.

Un expert est dès lors désigné, le tribunal précisant que, si des faits particuliers ont été subis par le demandeur, ils pourront le cas échéant être considérés comme des causes extérieures dont l’influence sur la maladie devra être déterminée. Ceci justifie la particularité de la mission de l’expert, qui a une composante non seulement médicale mais porte également sur les conditions de travail de cette fonction (receveur communal) et le risque professionnel de burn-out qu’elle comporte. Restera également à vérifier la question des causes extérieures possibles.

Enfin, FEDRIS demandant, sur le plan de la procédure, qu’il puisse être fait application de la dérogation prévue à l’article 1050, alinéa 2 du Code judiciaire et qu’il puisse interjeter appel du jugement rendu sans attendre le jugement définitif après expertise, le tribunal répond que la décision est une décision avant dire droit qui n’est pas susceptible d’appel avant le jugement définitif. L’autorisation d’introduire ce recours est dès lors soumise à l’article 1050, alinéa 2 du Code judiciaire. Compte tenu des questions de principe posées dans le cas d’espèce, le tribunal autorise la possibilité d’interjeter appel du jugement.

Intérêt de la décision

Même si cette affaire ne pose pas essentiellement la question de la distinction entre la réparation de faits de harcèlement et l’indemnisation d’une maladie professionnelle, ce point est néanmoins abordé.

Pour le tribunal, la législation en matière de réparation du risque professionnel n’a pas vocation à indemniser le travailleur de faits de harcèlement et il y a lieu de distinguer l’exposition au risque professionnel de contracter une maladie de faits, événements, etc. pouvant rentrer dans la définition d’un risque psychosocial et particulièrement de harcèlement.

Le tribunal retient, pour l’exposition au risque, la conception dite restrictive de celle-ci, étant qu’elle ne peut s’apprécier au vu d’une situation particulière ou individuelle d’un travailleur mais doit concerner toute la profession. Ce critère est, dans la jurisprudence récente, souvent complété d’une approche dite individualisée.

L’on peut à cet égard renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Liège (div. Liège), 28 juin 2019, RG 2018/AL/224 – précédemment commenté et à un autre de la Cour du travail de Bruxelles, 19 mars 2014, RG 2012/AB/692 – également précédemment commenté.

L’on notera encore que le tribunal fait siennes les définitions généralement données par la Cour du travail de Liège quant à la cause déterminante et directe.


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