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Accord d’association Union européenne – Turquie : une nouvelle décision de la Cour de Justice

Commentaire de C.J.U.E., 13 février 2020, C-258/18 (SOLAK / RAAD VAN BESTUUR VAN HET UITVOERINGSINSTITUUT WERKENERS VERZEKERINGEN) (ordonnance)

Mis en ligne le lundi 31 août 2020


Par ordonnance du 13 février 2020, la Cour de Justice de l’Union européenne tranche une dernière affaire pendante relative à l’article 6 §1, 1er alinéa de la Décision d’association n° 3/80, dans l’hypothèse de la suspension d’une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif au sens du Règlement n° 883/2004, concluant que cette dernière est autorisée eu égard à l’exigence de la clause de résidence.

Les faits

Un ressortissant turc ayant été salarié aux Pays-Bas et ayant acquis la nationalité néerlandaise bénéficie d’une prestation sociale suite à une incapacité de travail, celle-ci étant majorée d’une prestation complémentaire (T.W. – étant la loi sur les prestations complémentaires néerlandaise). En 2015, il envisage de déménager en Turquie et demande cette autorisation, avec maintien de l’allocation et de la prestation complémentaire. Il renonce parallèlement à la nationalité néerlandaise aux fins de bénéficier d’avantages conférés par la loi sur la migration de retour et rentre en Turquie. Il conserve son allocation principale (allouée au titre de la loi sur le travail et le revenu en fonction de la capacité de travail). Le versement de la prestation complémentaire est cependant suspendu.

Il introduit un recours contre cette décision devant le Rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam), qui le rejette, considérant qu’il n’est pas dans une situation comparable aux personnes ayant donné lieu à un premier arrêt de la Cour de Justice du 26 mai 2001 (C.J.U.E. 26 mai 2011, C-485/07, AKDAS e.a.). En effet, son incapacité de travail lui conférait le droit de séjour aux Pays-Bas au titre de l’accord d’association intervenu le 19 septembre 1980.

Appel a été interjeté devant le Centraal Raad van Beroep, qui s’interroge sur le droit de l’intéressé à une prestation complémentaire eu égard à l’article 6 §1 de la Décision n° 3/80 (étant l’accord d’association).

Les questions préjudicielles

Les deux questions posées concernent l’article 6 de la Décision n° 3/80.

La première porte sur le point de savoir si un ressortissant turc qui a acquis la nationalité d’un État membre sans renoncer à la nationalité turque et qui perd ensuite volontairement la nationalité de l’État d’accueil (et donc la citoyenneté de l’Union) peut invoquer l’article 6 de la Décision n° 3/80 pour se soustraire à la clause de résidence.

La seconde porte sur la conformité des conditions d’octroi de la prestation complémentaire accordée par la T.W., étant que celle-ci est suspendue lorsque le bénéficiaire déménage en Turquie, ayant quitté le territoire de l’État membre de sa propre initiative et après avoir volontairement renoncé à la nationalité de celui-ci, tout en sachant qu’il n’est pas établi qu’il n’appartient plus au marché régulier de l’emploi dans cet État.

La décision de la Cour

La Cour rappelle que la procédure avait été tenue en suspens jusqu’au prononcé de l’arrêt ÇOBAN, qui est intervenu le 15 mai 2019 (C.J.U.E., 15 mai 2019, aff. C-677/17, ÇOBAN).

Pour ce qui est des questions préjudicielles, la Cour les examine conjointement, étant l’interprétation à donner à l’article 6 §1, 1er alinéa de la Décision n° 3/80. Celui-ci s’oppose-t-il à une législation nationale en vertu de laquelle le versement d’une prestation qui vise à compléter une pension d’invalidité en vue d’assurer un revenu minimal accordée au titre de cette législation est suspendu dans l’hypothèse où le ressortissant turc appartient au marché régulier de l’emploi dans l’État membre d’accueil et, après avoir renoncé à la citoyenneté de celui-ci, est retourné dans son pays d’origine.

La Cour renvoie à la Décision prise dans l’affaire ÇOBAN, rappelant que la Décision 3/80 vise à coordonner les régimes de sécurité sociale afin de faire bénéficier les travailleurs turcs occupés ou ayant été occupés dans l’Union ainsi que les membres de la famille de prestations dans les branches traditionnelles de la sécurité sociale. Le champ matériel de la Décision n° 3/80 concerne notamment les prestations d’invalidité et les régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, contributifs et non contributifs. Elle est ainsi applicable à l’espèce, la prestation litigieuse devant être assimilée à une prestation d’invalidité (article 4 §1 sous B)).

La Cour précise que la prestation complémentaire en cause est cependant une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif, reprise à l’annexe X du Règlement n° 883/2004. Le principe de la levée des clauses de résidence n’est pas applicable pour cette prestation. Le bénéficiaire doit dès lors résider dans l’État membre qui l’octroie. La Cour rappelle que l’article 59 du protocole additionnel prévoit que la République de Turquie ne peut bénéficier d’un traitement plus favorable que celui que les États membres s’accordent entre eux en vertu du Traité F.U.E.

La Cour renvoie également à son arrêt AKDAS, ainsi qu’à l’arrêt ÇOBAN, ce dernier ayant précisé à cet égard que la situation du travailleur turc qui dispose d’un droit de séjour dans l’État membre d’accueil lors de son départ est comparable à celle de citoyens de l’Union séjournant dans celui-ci. En conséquence, permettre à un ressortissant turc de bénéficier de la prestation complémentaire lors de son retour en Turquie alors que les citoyens de l’Union resteraient soumis à une condition de résidence constituerait un traitement plus favorable que celui accordé à ces derniers se trouvant dans une situation comparable.

En outre, l’intéressé, qui n’est pas dans une situation d’incapacité de travail totale et permanente, appartient toujours au marché régulier de l’emploi aux Pays-Bas. Le droit de séjour de celui-ci est garanti par l’article 6, en tant que corollaire de l’exercice d’un emploi régulier (renvoyant ici à C.J.U.E., 14 janvier 2015, aff. C-171/13, DEMIRCI e.a.). Cette situation vise les travailleurs turcs actifs ou en incapacité provisoire. N’est cependant pas visé le ressortissant turc qui a définitivement quitté le marché du travail (ayant atteint l’âge de la retraite ou étant en incapacité totale et permanente de travail). La Cour renvoie ici à son arrêt BOZKURT (C.J.U.E., 6 juin 1995, aff. C-434/93, BOZKURT). Considérer, dans le cas d’espèce, que le ressortissant turc pourrait conserver le droit à la prestation complémentaire serait incompatible avec les exigences de l’article 59 du protocole additionnel. La Cour précise encore qu’est sans incidence le fait que l’intéressé a acquis la nationalité de l’État membre et qu’il y a renoncé ensuite.

La conclusion de la Cour est que l’article 6 §1, 1er alinéa de la Décision n° 3/80 ne s’oppose pas à une législation nationale en vertu de laquelle le versement d’une prestation visant à compléter une pension d’invalidité en vue d’assurer un revenu minimal accordée au titre de cette législation est suspendu à l’égard d’un ressortissant turc qui appartient au marché régulier de l’emploi d’un État membre et qui, après avoir renoncé à la citoyenneté de cet État membre qu’il avait acquise au cours de son séjour dans celui-ci, est retourné dans son pays d’origine.

Intérêt de la décision

Dans cette ordonnance du 13 février 2020, la Cour de Justice refait un tour d’horizon des principales Décisions rendues suite aux dispositions spécifiques convenues entre les États membres des Communautés européennes et la République de Turquie dans la Décision n° 3/80 du Conseil d’association du 19 septembre 1980. Cette Décision est relative à l’application des régimes de sécurité sociale des États membres aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille. Elle contient un protocole additionnel, confirmé par un règlement du Conseil du 19 décembre 1972 (règlement (C.E.E.) n° 2760/72 du Conseil).

Le Conseil d’association a quant à lui été institué par un accord du 12 septembre 1963.

La Décision n° 3/80 a donné lieu à diverses interventions de la Cour de Justice, rappelées dans l’ordonnance du 13 février 2020. Outre l’arrêt BOZKURT du 6 juin 1995, la Cour de Justice a également renvoyé aux affaires AKDAS, DEMIRCI et ÇOBAN, cette dernière Décision ayant été précédemment commentée. Dans cette affaire, la même disposition, toujours lue en combinaison avec l’article 59 du Protocole additionnel, était examinée eu égard à la disposition de droit néerlandais qui supprime le bénéfice de la prestation complémentaire à un ressortissant turc qui retourne dans son pays d’origine et qui est titulaire à la date de son départ du statut de résident de longue durée au sens de la directive n° 2003/109.

La Cour de Justice y avait également comparé les citoyens turcs aux citoyens de l’Union séjournant aux Pays-Bas, ces derniers restant soumis à la condition de résidence. Elle avait conclu que ne pas imposer cette condition au requérant aboutirait à lui réserver un traitement plus favorable que celui accordé aux citoyens de l’Union dans une situation comparable. La même conclusion était dégagée par la Cour, étant que la disposition litigieuse de la Décision n° 3/80 ne s’oppose pas à la situation qui lui était exposée.


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