C. trav. Bruxelles, 11 décembre 2019, R.G. 2015/AB/132
Mis en ligne le mardi 1er septembre 2020
Dans un arrêt du 11 décembre 2019, la cour du travail de Bruxelles rappelle les obligations des mandataires de société lorsqu’ils sollicitent le bénéfice des allocations de chômage, étant essentiellement relatives à l’information à l’ONEm, les critères de la bonne foi permettant la récupération aux cent-cinquante dernières allocations perçues étant soumis à une appréciation stricte de la conscience du chômeur du caractère indû des allocations en cause.
Les faits
Un bénéficiaire d’allocations de chômage déclare, lors de son inscription, sur le document C1, qu’il n’exerce pas d’activité accessoire (et n’aide pas un indépendant). Ce formulaire est signé sur l’honneur.
Il perçoit les allocations de chômage pendant près de deux ans. Il entame alors une activité indépendante, à laquelle il mettra un terme après cinq mois. Il se réinscrit au chômage et répond encore qu’il n’exerce pas d’activité accessoire.
En 2012, soit sept ans plus tard, l’ONEm a constaté que l’intéressé est gérant de sociétés depuis 1991. Une de ces sociétés, une SPRL, a son siège à son domicile. Pour une autre, constituée avec un autre associé, il est gérant statutaire. La première de ces sociétés est depuis cinq ans gérante d’une autre SPRL dont le siège est également au domicile de l’intéressé.
Celui-ci en est par ailleurs détenteur de 52 pourcents des parts sociales. Deux autres associés se partagent le reste et sont quant à eux chargés de tâches administratives et techniques, l’intéressé étant gérant.
L’ONEm a pris une décision en date du 4 octobre 2012. Celle-ci contient une exclusion à partir du 1er août 1997, une récupération depuis le 1er octobre 2007 (ramenée à trois ans et non cinq ans en cours de procédure, soit à partir du 1er octobre 2009) et une exclusion pendant une période de 26 semaines.
La procédure
Le tribunal du travail de Bruxelles a été saisi et, par jugement du 16 janvier 2015, il a retenu la bonne foi de l’intéressé, limitant la récupération aux cent-cinquante dernières allocations. La sanction a par ailleurs été réduite à une période de quatre semaines.
L’appel
L’ONEm, appelant, conteste la limitation de la récupération aux cent-cinquante dernières allocations, ainsi que la réduction de la sanction.
Quant à l’intéressé, il forme appel incident, demandant à titre principal l’annulation de la décision administrative en totalité et, à titre subsidiaire, la limitation de la sanction aux cent-cinquante derniers jours.
Il sollicite, encore plus subsidiairement, que soit posée une question à la Cour constitutionnelle concernant la charge de la preuve dans le cadre des articles 44 et 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.
La décision de la Cour
Le rappel en droit porte sur les articles 44 et 45 de l’arrêté royal organique. La Cour insiste sur le libellé de l’article 45, alinéa 1er, 2°, qui contient une présomption : toute activité effectuée pour un tiers est, jusqu’à preuve du contraire, présumée procurer une rémunération ou un avantage matériel.
La Cour de Cassation a jugé (Cass., 12 décembre 2016, S. 13.0022.F) que l’exercice d’un mandat dans une société commerciale constitue une activité pour compte propre, dépassant la gestion normale des biens propres - avec renvoi ici à un précédent arrêt du 3 janvier 2015 (Cass., 3 janvier 2015, S.04.0091.F). L’absence de revenus ne modifie en rien cette appréciation.
Renvoyant à un article de Th. ZUINEN (Th. ZUINEN, « Mandataire de société et chômeur : un cumul presqu’impossible, mais quels sont les critères à prendre en considération ? », J.T.T., 2016, p. 316), la Cour rappelle la règle selon laquelle quel que soit l’objet social de la société commerciale, l’activité liée à un tel mandat est exercée dans un but lucratif même si elle ne procure pas de revenus.
Cette activité entre dans la notion d’échange de biens et de services. Le mandataire a en effet une obligation légale qui est d’exercer un contrôle actif sur la gestion de la société. Dès lors, tant que la société est active, même si le mandat est gratuit, le cumul est prohibé.
Examinant les éléments de l’espèce, la cour retient qu’il s’agit ainsi d’une activité pour compte propre. L’absence de but de lucre n’est par ailleurs pas démontrée et, par sa nature (négoce et commercialisation de produits dans le secteur de la construction), il s’agit d’une activité intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et que l’intéressé n’établit pas le contraire.
Par ailleurs, l’intimé faisant grief à l’ONEm d’avoir manqué à ses obligations découlant de la Charte de l’assuré social, la Cour reprend les limites de l’obligation d’information, étant que les institutions de sécurité sociale ont la mission de tenir à la disposition des travailleurs les formulaires dont l’usage est prescrit par l’ONEm, de faire et de transmettre aux travailleurs toute communication et tout document prescrit par celui-ci, de conseiller gratuitement le travailleur et de lui fournir toutes les informations utiles concernant ses droits et ses devoirs à l’égard de l’assurance chômage (feuillet 10). En outre, dans certaines hypothèses visées à l’article 26 bis de l’arrêté royal organique, existe une obligation subsidiaire d’information.
Ce qui est en cause en l’occurrence est le formulaire C1. Celui-ci renvoie à une « feuille d’information » que le demandeur d’allocations déclare, par sa signature, avoir reçue. À défaut, la Cour considère qu’il lui appartenait d’en faire la demande.
Ces formulaires, dans leurs versions successives depuis le début de la période considérée, ont toujours été explicites quant à l’obligation de déclarer chaque activité accessoire (gérant rémunéré ou non, administrateur de société, associé actif, …). Il en découle que l’exclusion a été prise par l’ONEm à juste titre.
Pour ce qui est de la récupération et de la sanction, la Cour reprend les principes en matière de bonne foi. Elle constate que le premier juge a admis celle-ci, réduisant également le montant de la sanction, eu égard à l’écoulement du délai mis par l’ONEm pour se rendre compte de l’inexactitude des déclarations du chômeur. Pour la Cour, l’écoulement du temps est sans incidence sur le caractère inexact des déclarations faites initialement. Celui-ci est sanctionné par les règles de prescription.
L’absence de fraude ne signifie pas bonne foi, le juge pouvant cependant dans son appréciation tenir compte de l’intention et de la connaissance du chômeur (avec renvoi ici à un arrêt de la Cour de Cassation du 16 février 1998 – Cass., 16 février 1998, S.97.0137.N).
Cette question ne sera en espèce pas vidée dans l’arrêt, eu égard au dépôt d’une nouvelle pièce, qui justifie, pour la Cour, d’être soumise à la contradiction des parties. La réouverture des débats est dès lors ordonnée.
Intérêt de la décision
Cet arrêt de la cour du travail de Bruxelles fait un point utile sur deux questions :
1- Les articles 44, 45 et 48 de l’arrêté royal organique permettent l’exercice d’une activité accessoire pendant le chômage. Celle-ci doit cependant faire l’objet d’une déclaration sur le document C1, en ce compris lorsqu’il s’il s’agit d’une activité de mandataire d’une société commerciale. La Cour de Cassation a balisé les règles relatives à cette situation : il s’agit d’une activité pour compte propre, qui est dès lors soumise aux critères de la notion d’activité entrant dans le courant des échanges économiques des biens et services. Qu’elle ait ou non procuré des revenus est à cet égard sans importance.
2- Pour ce qui est de la notion de bonne foi, celle-ci a été à de nombreuses reprises examinée en jurisprudence et il est régulièrement renvoyé à l’absence de conscience du caractère indû au moment où le paiement est intervenu, sans qu’il y ait lieu de rechercher un cas de force majeure ou des circonstances insurmontables, indépendantes de la volonté du chômeur. L’on peut utilement renvoyer à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 8 janvier 2020 (C. Trav. Bruxelles, 8 janvier 2020, R.G. 2007/AB/842), qui a jugé à cet égard qu’une absence de déclaration n’exclut pas nécessairement la bonne foi.