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Mise à l’écart d’une travailleuse et harcèlement moral

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 13 janvier 2020, R.G. 18/1.468/A

Mis en ligne le lundi 14 septembre 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 13 janvier 2020, R.G. 18/1.468/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 13 janvier 2020, le tribunal du travail du Hainaut, division de Mons, rappelle que constitue une forme de harcèlement moral le fait d’isoler une personne, en l’ignorant, en ne lui parlant plus, en la tenant à l’écart de ses collègues, en lui donnant des instructions contradictoires, etc.

Les faits

Une P.M.E. active dans le secteur du conditionnement (colis) occupe notamment une ouvrière polyvalente (magasinière et entretien). Elle preste à temps partiel.

Un incident survient en mars 2017, qui amène la travailleuse à informer son employeur de faits relatifs à des problèmes relationnels. En réaction, un gérant de la société ne lui adresse plus la parole et elle fait l’objet de mesures de mise à l’écart. Ses heures de prestation sont réduites et sa rémunération de même. Aucune suite n’est réservée aux courriers qu’elle adresse. La situation persistant, l’intéressée saisit le Contrôle externe du bien-être, en juin 2017, après avoir dû adresser une mise en demeure en ce qui concerne ses congés annuels.

Dans le cadre de cette intervention informelle, MENSURA écrit à l’employeur, l’informant de la demande d’intervention. Dans un entretien téléphonique, le représentant de la société refuse une rencontre où serait discutée la situation de travail de l’intéressée.

En septembre, celle-ci introduit une demande d’intervention psychosociale formelle. Les conclusions du rapport contiennent des mesures individuelles et des mesures collectives. Il est constaté que celles-ci sont peu nombreuses eu égard au fait que l’employeur n’a pas permis de réaliser une enquête impartiale, refusant la venue du représentant de MENSURA dans les locaux. Est actée la souffrance de la travailleuse, de même que le refus de l’employeur et la rupture de la communication.

Les conclusions ont dès lors un aspect général et global, qui est souligné.

En février 2018, l’intéressée tombe en incapacité de travail. Elle introduit une plainte auprès du Contrôle du bien-être pour non-respect de la législation dans l’entreprise, ainsi que suite au non-paiement de sa rémunération.

Dans une réunion ultérieure de médiation qui intervient malgré tout, sont constatés des désaccords profonds entre les deux parties concernant les conditions de travail.

La travailleuse introduit, dès lors, une procédure en résolution judiciaire devant le tribunal du travail du Hainaut, poursuivant la condamnation de l’employeur à des dommages et intérêts de 15.000,00 € provisionnels, d’une part, étant l’indemnité de préavis à laquelle elle peut prétendre et de 17.000,00 € provisionnels de l’autre, correspondant à six mois de rémunération vu la modification des conditions de travail et la rupture du contrat de travail en représailles d’une demande d’intervention psychosociale formelle. Des demandes sont formées à titre subsidiaire, dans le contexte de manquements à l’obligation générale de veiller au bien-être et à la sécurité des travailleurs ainsi qu’en réparation d’un dommage moral consécutif au harcèlement et à la souffrance au travail, notamment.

La décision du tribunal

Le tribunal est amené, en premier lieu, à reprendre les règles en matière de résolution judiciaire du contrat de travail, celles-ci étant contenues à l’article 1184 du Code civil. Cette disposition exige qu’une partie n’ait pas satisfait à son engagement et que le manquement soit suffisamment grave sans nécessairement devoir atteindre le même caractère de gravité que pour un motif grave (étant qu’il ne doit pas rendre immédiatement et définitivement impossible la poursuite des relations contractuelles).

Cette règle est mise en regard des obligations de l’employeur dans le cadre des risques psychosociaux au travail. L’article 31/1 de la loi du 4 août 1996 définit ceux-ci comme étant la probabilité qu’un ou plusieurs travailleurs subissent un dommage psychique qui peut également s’accompagner d’un dommage physique, suite à l’exposition à des composantes de l’organisation du travail, du contenu du travail, des conditions de travail, des conditions de vie au travail et des relations interpersonnelles au travail, sur lesquelles l’employeur a un impact et qui comportent objectivement un danger.

Renvoi est fait aux travaux préparatoires, qui ont défini les relations interpersonnelles au travail comme couvrant les rapports sociaux entre travailleurs ainsi qu’entre le travailleur et l’organisation qui l’emploie : relations avec les collègues, avec le chef direct, possibilités de contact ou d’isolement sur le lieu de travail et communication. Il est souligné que font partie de ces éléments la qualité des relations (coopération, intégration, …), la violence éventuelle des relations et les paradoxes (injonctions contradictoires, …).

Le tribunal reprend ensuite les obligations de l’employeur telles que fixées à l’article 32/2 de la loi, étant les mesures à prendre en application des principes généraux visés à l’article 5 de celle-ci, l’employeur étant également tenu d’identifier les situations qui peuvent mener à des risques psychosociaux au travail et de les déterminer et les évaluer.

Après un autre rappel des obligations légales, étant celui de l’article 16 de la loi du 3 juillet 1978 ainsi que l’article 20, 2°, de la même loi, il fait également le rappel d’un apport en doctrine (J.-Ph. CORDIER et P. BRASSEUR, « La responsabilité de l’employeur et du travailleur en cas de harcèlement : l’impact de la réforme de 2014 », in Ch.-E. CLESSE et S. GILSON, La responsabilité du travailleur, de l’employeur et de l’assuré social, Anthemis 2014, p. 210) pour souligner que sont retenus notamment comme forme de harcèlement moral par le S.P.F. Emploi, Travail et Concertation sociale la mise à l’écart d’une personne (le fait de l’isoler en l’ignorant, en ne lui parlant plus, en n’accordant aucune attention à sa présence, en semant la discorde entre ses collègues et elle, en interdisant à ceux-ci de lui parler, en changeant ses horaires, en omettant de la convoquer aux réunions, …).

Le tribunal applique, ensuite, ces principes aux faits qui lui sont soumis, constatant que des événements se sont produits depuis 2016, après un parcours professionnel sans encombre de quatorze ans et que l’employeur n’a pas pris les mesures qu’il était tenu d’adopter dans le cadre de ses obligations légales, étant que la souffrance au travail de l’intéressée était établie et qu’il n’a rien fait en vue d’y mettre un terme. La société a également refusé de prendre part aux conciliations et médiations organisées à la demande de l’intéressée ou, en tout cas, d’y participer de manière constructive.

Le représentant de l’employeur ayant fait savoir que pour lui « la communication ne serait pas indispensable car les travailleurs en fonction connaissent le travail à faire », le tribunal conclut que le mutisme et le refus de dialoguer, voire même de communiquer verbalement, constituent dans le chef d’un employeur un acte de dénigrement et de violence morale inacceptable, constitutif lorsqu’il se répète et se prolonge dans le temps, de harcèlement moral au travail. Il ne s’agit pas d’un simple « conflit relationnel » limité à des problèmes de communication (10e feuillet du jugement). De même est dénoncé le refus de l’employeur de collaborer à l’enquête de MENSURA dans le cadre de la demande d’intervention psychosociale formelle.

En conclusion, le tribunal constate la résolution du contrat de travail et prononce des condamnations provisionnelles.

Pour ce qui est des montants exacts, les débats sont rouverts et le tribunal demande que soient fournies les fiches de paie afférentes aux douze derniers mois d’occupation, soit avant le début de l’incapacité de travail.

Intérêt de la décision

Les faits soumis au tribunal, dans cette espèce, portent sur une forme bien particulière de harcèlement moral, étant la mise à l’écart du travailleur. Le tribunal a examiné à la fois la question spécifique du harcèlement et celle plus vaste des risques psychosociaux, faisant une part importante aux obligations de l’employeur telles que fixées à l’article 32/2 de la loi du 4 août 1996. Dans celle-ci, il y a lieu de rappeler que l’employeur doit mettre en place des procédures directement accessibles au travailleur qui estime subir un dommage, et ce afin de lui permettre de demander une intervention psychosociale informelle ou formelle.

Ces obligations ne sont pas de pure forme, mais susceptibles de sanction. Il a récemment été jugé sur cette question que, en matière de risques psychosociaux, l’absence de suite réservée à une demande d’un membre du personnel peut, sur la base de l’article 32quater de la loi du 4 août 1996, aboutir à une condamnation à des dommages et intérêts. L’article 32quater concerne en effet les mesures de prévention de la violence et du harcèlement moral ou sexuel au travail et impose à l’employeur de déterminer celles-ci sur la base d’une analyse des risques et en tenant compte de la nature des activités et de la taille de l’entreprise. Un minimum de mesures est fixé dans la loi, étant les mesures matérielles ou organisationnelles aux fins de prévenir ces risques et les procédures d’application dès lors que des faits sont signalés, de même encore que les obligations de la ligne hiérarchique dans la prévention. En l’espèce, il appartenait à l’employeur de prendre les mesures permettant à l’intéressée de solliciter une intervention auprès du conseiller en prévention, voire même de déposer plainte, et ce quel que soit le sort de celle-ci ultérieurement. Il y a dès lors une faute avérée, étant que l’employeur n’a pas mis en vigueur des procédures simples et efficaces pour permettre l’information, la prévention et la recherche de solutions en matière de risques psychosociaux. Le dommage qui en découle est à réparer par l’octroi de l’indemnité légale. (Trib. trav. Liège (div. Liège), 20 juin 2019, R.G. 18/1.196/A)


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