Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 février 2020, R.G. 2018/AB/924
Mis en ligne le lundi 12 octobre 2020
Cour du travail de Bruxelles, 4 février 2020, R.G. 2018/AB/924
Terra Laboris
Dans un arrêt du 4 février 2020, la Cour du travail de Bruxelles examine une relation de travail, qualifiée par les parties de contrat d’entreprise, en vérifiant le respect des critères généraux de la loi du 27 décembre 2006 : l’organisation du travail, l’organisation du temps de travail et le contrôle hiérarchique.
Les faits
Un contrat est conclu entre une société belge sise dans l’arrondissement judiciaire de Leuven et un de ses anciens employés, qui avait travaillé pendant deux ans, pour son compte, en tant que directeur commercial, le contrat étant régi par le droit français. Il y avait été mis fin d’un commun accord, celui-ci se rendant à l’étranger avec son épouse.
Le deuxième contrat a fait suite à des discussions intervenues entre les parties, afin d’envisager la possibilité pour la société de s’implanter dans le pays où l’intéressé s’est installé (Brésil). Ce deuxième contrat, rédigé en anglais, renvoie au droit belge. Il s’agit d’un contrat à durée déterminée de six mois, la convention de collaboration visant une relation de travail indépendante. Après une prolongation de la même durée, la société mit un terme avec préavis à prester de trois mois et dix jours.
L’intéressé fit alors part de son étonnement, faisant état d’une décision inattendue, qui lui causait un préjudice important. Il proposait un règlement transactionnel de 60.000 euros, à défaut de quoi il se réservait d’invoquer qu’il avait presté en qualité de salarié. La société mit alors un terme à la collaboration avec effet immédiat.
Une procédure fut initiée par le travailleur en France, devant le Conseil de prud’hommes d’Albi. Il y demandait la requalification du contrat et des indemnités correspondantes. Le tribunal se déclara territorialement incompétent.
Une procédure fut initiée en septembre 2016 devant le Tribunal du travail de Leuven, territorialement compétent, procédure en requalification du contrat et en paiement de toute une série de postes découlant de celle-ci, dont une indemnité d’éviction, une indemnité de non-concurrence et des dommages et intérêts importants.
Après avoir rendu un premier jugement le 19 octobre 2017, demandant des explications sur l’application des règles en matière d’emploi des langues et la prescription de l’action, le Tribunal du travail de Leuven vida sa saisine par jugement du 13 septembre 2018, concluant au non-fondement de l’action, le demandeur étant condamné aux dépens.
Celui-ci interjette appel.
La décision de la cour
Pour la cour du travail, se pose en premier lieu une question de prescription. Sont invoqués la prescription annale de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978, ainsi que l’article 2246 du Code civil (qui prévoit que la citation devant un juge incompétent interrompt la prescription). La cour relève que cette règle vaut également pour le juge étranger, renvoyant notamment à un arrêt de la Cour de cassation (Cass., 13 octobre 2011, R.W., 2013-14, p. 500). La prescription est interrompue non seulement pour les chefs de demande repris dans la citation, mais également pour ceux qui y sont virtuellement compris. Ceci à condition que la cause et l’objet des demandes soient les mêmes. Si tel n’est pas le cas, la prescription pour les demandes virtuelles n’est pas interrompue.
La cour rappelle également que le juge ne modifie pas la cause de la demande et ne méconnaît pas le principe dispositif en requalifiant les faits présentés, renvoyant ici à un arrêt de la Cour de cassation du 20 avril 2009 (Cass., 20 avril 2009, n° S.08.0015.N).
Dans la mesure où tant en France qu’en Belgique la procédure porte sur la requalification de la convention de prestation de services en contrat de travail et en paiement des indemnités qui en découlent, les deux procédures ont le même objet (factuel) et la même cause. Le jugement, rendu le 26 octobre 2015, a interrompu la prescription et la requête contradictoire, déposée le 21 septembre 2016, n’est pas tardive.
Le point suivant porte sur l’existence du contrat de travail et la qualité de représentant de commerce de l’intéressé. Pour l’appelant, celle-ci existe bel et bien, la loi contenant une présomption d’autorité à cet égard. La cour lui fait cependant grief de ne pas apporter la preuve qui lui incombe, étant que le travailleur qui entend revendiquer la qualité de représentant de commerce doit prouver qu’il a traité des affaires qui sont propres à l’activité exercée, s’agissant de prospecter et de visiter la clientèle en vue de négocier et de conclure des affaires (article 4, alinéa 1er, de la loi) et que ceci constitue l’essentiel de son activité (article 88).
La cour conclut que cette preuve n’est nullement rapportée, la convention visant des prestations en tant que consultant.
Quant à la question de savoir si les parties ont conclu un contrat de travail, c’est la loi-programme du 27 décembre 2006 qui sert de fondement à la motivation de l’arrêt, motivation qui intervient par l’examen des quatre critères généraux.
La volonté des parties a été de conclure un contrat en tant qu’indépendant, ce qui a encore été confirmé lors de la prolongation de celui-ci. La cour précise que, si l’appelant entend soutenir que la situation réelle exclut la relation juridique choisie, il doit apporter des éléments inconciliables avec la qualification de travailleur indépendant.
Pour ce qui est de la liberté d’organisation du temps de travail, il est relevé que l’intéressé pouvait s’absenter vingt-huit jours par an, jours qu’il pouvait choisir librement et pendant lesquels il n’était pas à disposition de la société. Vu par ailleurs l’éloignement géographique et le décalage horaire, la cour retient qu’il pouvait décider lui-même de son temps de travail et de son mode d’organisation. L’absence de preuve d’une organisation du temps de travail précise et contraignante est un élément qui n’est pas incompatible avec le statut d’indépendant.
Pour l’organisation du travail, à partir d’un examen circonstancié des pièces, celle-ci connaissait des restrictions mais, pour la cour, il n’y a pas d’instruction expresse relative à l’organisation du travail concret.
L’intéressé faisant un parallèle avec ses fonctions précédentes de directeur de ventes pour la France, pour lesquelles il avait le statut de salarié, la cour retient des différences avec la nature du travail qui fait l’objet de la convention et pour lequel il avait reçu une mission de consultant. Son statut passé n’implique pas l’existence d’un contrat de travail pour la suite.
La cour rejoint l’appréciation du premier juge quant aux pièces produites, dont il ne ressort pas que des instructions de travail contraignantes aient été données pour cette mission de consultant. Elle renvoie aux travaux préparatoires (Doc. parl. Ch., 2006-2007, 51 2773/1), où il est fait référence à une description précise des tâches accomplies par le co-contractant : dans la mesure où le travailleur indépendant prend à sa charge une obligation de résultat, les directives générales et instructions données peuvent être compatibles avec un contrat d’entreprise si elles sont la conséquence de la nature de l’activité exercée ou si elles sont nécessaires pour atteindre un résultat déterminé. Dans ces circonstances, des éléments tels que par exemple l’obligation de rentrer des rapports ou de remplir des timesheets ne sont pas automatiquement caractéristiques d’un lien de subordination.
Enfin, sur le quatrième critère, qui est le contrôle hiérarchique, celui-ci n’est nullement avéré à partir des pièces produites par l’appelant.
La cour conclut qu’il n’apporte pas d’éléments suffisants permettant de dire que la situation de fait devait exclure la qualification de travailleur indépendant. Il s’est agi d’une phase de lancement d’une entité de vente au Brésil projetée par la société et la cour relève encore que le travailleur a lui-même demandé un règlement transactionnel de 60.000 euros, à défaut de quoi il invoquerait qu’il était un faux indépendant.
La cour confirme en conséquence le jugement.
Intérêt de la décision
Sur le plan de la prescription d’abord, l’arrêt rendu rappelle que la citation introduite devant un juge incompétent, fût-il belge ou étranger, a pour effet d’interrompre la prescription. La question se pose cependant de l’étendue de cette interruption, étant que certes elle porte sur la demande y contenue, mais que des difficultés peuvent se poser pour les demandes virtuelles qui y sont implicitement comprises.
Quant au fond, l’on relèvera une particularité, étant que les parties avaient été liées précédemment (avec une interruption de deux ans cependant) par un contrat de travail pour des fonctions de type commercial.
En l’espèce, ces fonctions étaient de même registre, mais nullement des fonctions pouvant correspondre à la qualité de représentant de commerce. En outre, elles étaient laissées, pour une bonne part, à la responsabilité du consultant, tant sur le plan de l’organisation du temps de travail que du travail lui-même. La cour a encore relevé l’absence manifeste de contrôle hiérarchique, les instructions générales n’étant pas suffisantes à cet égard.
A enfin été repris à très juste titre l’extrait des travaux préparatoires concernant les instructions données, eu égard à la nature de l’activité exercée, instructions qui ne sont pas suffisantes pour permettre de conclure à un contrat de travail : il s’agit des rapports d’activité, des timesheets, etc. Ceux-ci pourraient certes – s’ils étaient réguliers – éclairer sur l’organisation du travail et celle du temps de travail. La cour les a cependant considérés comme insuffisants en l’espèce.