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Motifs économiques et protection de la maternité

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 8 novembre 2019, R.G. 2018/AL/726

Mis en ligne le mardi 13 octobre 2020


Cour du travail de Liège (division Liège), 8 novembre 2019, R.G. 2018/AL/726

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 novembre 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) retient l’existence de motifs économiques étrangers à la protection de la maternité, s’agissant d’une petite entreprise dont le chiffre d’affaires est en diminution constante et importante.

Les faits

Une employée avait été licenciée après 8 mois pour un motif économique, l’employeur faisant figurer sur le C4 la mention : « Raisons économiques. Pas assez de revenus pour payer les salaires ».

La lettre donnant les motifs concrets du licenciement, adressée à l’employée à sa demande, faisait référence au fait que, lors de la rupture, la gérante aurait « expliqué très concrètement les raisons qui (l’)ont poussée à agir de la sorte ».

Une procédure a ensuite été introduite, et ce sur la base de l’article 40 de la loi sur le travail du 16 mars 1971 (protection de la maternité). L’amende civile prévue à l’article 7 de la C.C.T. n° 109 a également été réclamée.

Par jugement du 8 octobre 2018 (Trib. trav. Liège, div. Huy, 8 octobre 2018, R.G. 17/318/A), il a été fait droit à sa demande, tant pour l’indemnité de protection que pour l’amende civile réclamée.

L’employeur a interjeté appel devant la cour du travail. Celle-ci a rendu son arrêt le 8 novembre 2019.

La décision de la cour

La cour examine en premier lieu les conditions de débition de l’amende civile prévue par la C.C.T. n° 109. La convention collective donne au travailleur le droit d’être informé des motifs concrets qui ont conduit à son licenciement. L’employeur peut également communiquer ces motifs d’initiative (motivation dite « spontanée »), cas dans lequel il n’est pas tenu de répondre à la demande formelle du travailleur. Il en découle que, dans cette hypothèse, l’amende civile n’est pas due.

La cour examine si les motifs concrets ont été communiqués, et ce eu égard au silence de la convention collective quant à la définition de ceux-ci.

La cour rappelle que la doctrine a balisé la notion. La référence est faite à deux contributions essentiellement (P. CRAHAY, « Motivation du licenciement et licenciement manifestement déraisonnable », Ors., 2014/4, p. 7 et A. FRY, « La C.C.T. n° 109 : amende civile et indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable », in Actualités et innovations en droit social, C.U.P., Anthémis, 2018, pp. 37-38). Les motifs ne pouvant être abstraits, l’employeur ne peut se borner à énoncer une des trois catégories des motifs légitimes admis ou adopter une formulation proche. Les indications requises doivent être plus précises que sur le C4 : le travailleur doit pouvoir connaître les raisons du licenciement et le juge saisi contrôler la légitimité de celles-ci.

Si ne sont pas admises des formules vagues, passe-partout ou creuses et que les éléments de fait essentiels (même présentés de manière synthétique) sont requis, il ne s’agit pas d’imposer un formalisme excessif. La cour renvoie encore au rapport précédant la C.C.T., qui se réfère aux termes « aperçu des motifs ».

Dès lors, le motif donné « raisons économiques » n’est pas suffisant.

La cour puise, cependant, dans d’autres documents. Le C4 lui-même expose que l’activité n’est plus rentable et que l’employeur ne peut plus assumer la charge salariale. Pour la cour, par contre, cette motivation est adéquate. Par ailleurs, l’employeur a rédigé une longue lettre de recommandation de l’employée, qui confirme également ces motifs, aucun grief n’étant par ailleurs fait à celle-ci.

La cour souligne que, dans l’examen de cette question, le juge n’a pas à vérifier la réalité du motif, mais uniquement son caractère concret et suffisamment précis pour constituer l’aperçu légal requis. Le jugement est dès lors réformé sur cette première question.

Pour ce qui est de l’indemnité de protection, l’état de grossesse était connu de l’employeur. Celui-ci doit dès lors établir le motif étranger visé à l’article 40 de la loi du 16 mars 1971. La cour rappelle que le motif invoqué doit présenter une nature objective et que, si le licenciement d’une travailleuse enceinte se fonde sur la nécessité de réduire le personnel, cette nécessité doit être établie, ainsi que le fait qu’elle était impérative (la cour renvoyant à W. VAN EECKHOUTTE et V. NEUPREZ, « Compendium social », Droit du travail 2018-2019, p. 1461).

Le licenciement étant intervenu en octobre 2016, la cour examine l’évolution du chiffre d’affaire sur 5 ans, soit 2012 à 2016. Sauf une légère augmentation en 2013, le chiffre a été en baisse constante, 18.000 euros étant enregistrés en moins en 2016 qu’en 2015. La cour relève qu’il s’agit de plus de la moitié de l’équivalent de la rémunération de la travailleuse. S’agissant d’une petite entreprise (deux employées étant occupées, l’une à temps plein et l’autre à temps partiel), la cour relève que, si l’engagement de l’intimée est intervenu 8 mois avant le licenciement et qu’à ce moment, le chiffre baissait déjà, il s’explique par la démission d’une employée à ce moment. Il s’agissait de l’employée à temps plein. L’employeur était dès lors autorisé à envisager le remplacement de celle-ci par l’engagement d’une autre employée à durée indéterminée, partant, sur le plan financier, des chiffres réalisés l’année précédente, soit en 2015. La cour relève que n’est pas établi en ce début d’année 2016 qu’une nouvelle diminution du chiffre d’affaires était prévisible.

Ayant licencié moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, l’employeur établit en outre qu’un prêt à tempérament a été souscrit en vue de payer celle-ci, et ce afin d’en étaler le coût sur une durée de 24 mois. Enfin, sur le choix de la travailleuse licenciée, la cour retient l’ancienneté peu importante, eu égard à celle dont bénéficiait sa collègue, qui doit en sus élever seule trois enfants. Le choix s’est dès lors porté sur l’employée à temps plein et le motif est étranger à l’état de grossesse.

En conséquence, la cour réforme le jugement sur cette question également.

Intérêt de la décision

Le jugement rendu par le Tribunal du travail de Liège (division Huy) (Trib. trav. Liège, div. Huy, 8 octobre 2018, R.G. 17/318/A) a été précédemment commenté.

Le tribunal avait retenu, sur la base de la lettre de licenciement et du C4, qu’il y avait absence de communication des motifs en réponse à la demande formulée.

Pour la protection de maternité, le jugement avait renvoyé à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 28 juin 2011, R.G. 2010/AB/819), qui avait balisé les obligations de preuve dans le chef de l’employeur : celui-ci doit établir (i) l’existence de faits objectifs qui montrent que le licenciement intervient pour des motifs étrangers, (ii) la sincérité de ceux-ci et (iii) le lien de causalité entre ces faits étrangers et le licenciement.

Le tribunal avait considéré, à partir des éléments de fait qui lui étaient soumis, que rien ne venait confirmer la thèse de l’employeur. Il avait retenu également que l’intéressée n’avait pas été invitée à prester un préavis et que l’employeur n’établissait pas que le licenciement serait ainsi uniquement lié à des raisons économiques, les difficultés de l’entreprise existant déjà au moment de l’engagement.

La cour a été d’avis contraire, puisqu’elle a à la fois validé l’engagement d’une nouvelle employée à temps plein et considéré que les motifs économiques invoqués à l’appui du licenciement étaient établis du fait de la diminution du chiffre d’affaires, et ce de façon importante d’année en année.

L’arrêt porte encore sur un point particulier, étant de déterminer, au niveau du contrôle judiciaire, si l’employeur a fait « le bon choix » entre deux personnes, lorsque la nécessité est avérée de procéder à un licenciement. L’employeur a ici retenu comme critères d’une part l’ancienneté et d’autre part la situation familiale de la travailleuse.

L’on soulignera à cet égard que, dans le cadre du contrôle judiciaire exercé au sens de l’ancien article 63 de la loi du 3 juillet 1978, la position des juridictions sur cette dernière question était de vérifier essentiellement que le choix de l’employeur n’avait pas été arbitraire, cette absence d’arbitraire étant en général retenue dès lors que des critères objectifs étaient avancés – comme en l’espèce.


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