Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 février 2020, R.G. 2018/AB/101
Mis en ligne le mercredi 28 octobre 2020
Cour du travail de Bruxelles, 12 février 2020, R.G. 2018/AB/101
Terra Laboris
Dans un arrêt du 12 février 2020, la Cour du travail de Bruxelles a jugé que, eu égard au texte de l’article 62, § 2, alinéa 3, et à défaut de l’autre texte précis repris dans l’arrêté royal du 25 novembre 1991, le chômeur qui a eu droit aux allocations « à titre provisoire » ne peut se voir retirer le droit à ces allocations au motif qu’il a omis d’avertir l’ONEm de la décision d’arrêter sa procédure (ou du rejet par le tribunal de son action).
Les faits
Suite à une décision de fin de reconnaissance de son incapacité de travail, un assuré social sollicite le bénéfice des allocations de chômage, tout en contestant la décision prise devant les juridictions du travail. Il est admis aux allocations provisoires pendant la durée de la procédure et lui sont exposées les démarches à suivre : inscription comme demandeur d’emploi, obligation de diligenter la procédure judiciaire et d’informer l’ONEm de toute décision rendue, de même qu’en cas d’abandon de recours.
Le recours introduit fait cependant l’objet d’une radiation d’un commun accord des parties en décembre 2012, eu égard à l’absence manifeste de chances de succès.
En 2015, l’ONEm rappelle à l’intéressé ses obligations, dont celle d’information quant à l’évolution de la procédure. L’organisation syndicale, qui intervient dans la cause, informe l’Office de la radiation. Convoqué, celui-ci déclare ignorer qu’il devait transmettre une décision de radiation.
Il fait alors l’objet d’une exclusion, pour une longue période (13 décembre 2012 – 9 juin 2015). Lui est reproché, du fait d’avoir renoncé à son recours, qu’il ne remplissait plus les conditions d’octroi des allocations accordées à titre provisoire. Le point de départ est la date de la décision judiciaire. En outre, l’ONEm considère qu’il est inapte au travail et n’est pas disponible pour le marché du travail. Il ordonne en conséquence la récupération des allocations, pour un montant global de près de 29.000 euros.
Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.
Position des parties devant le tribunal
L’ONEm se fonde sur l’article 62, § 2, de l’arrêté royal organique. En vertu de cette disposition, le travailleur qui se considère inapte au travail n’est pas disponible sur le marché de l’emploi et ne peut bénéficier des allocations de chômage. L’octroi peut cependant être accordé à titre provisoire si certaines conditions sont remplies, dont la contestation devant les juridictions du travail de la décision d’aptitude.
Quant au demandeur, qui se fonde sur la même disposition, ainsi que sur de la jurisprudence, il considère qu’il résulte précisément de l’article 62, § 2, qu’après la fin d’une période d’incapacité de travail, le travailleur qui sollicite des allocations de chômage et conteste la décision qui a mis fin à son incapacité est censé conserver son aptitude au travail aussi longtemps que le juge compétent n’en a pas décidé autrement. Pendant cette période, il ne peut être exclu des allocations de chômage au motif de ladite incapacité. A titre subsidiaire, il considère que la responsabilité de son organisation syndicale doit être engagée, puisqu’elle lui a conseillé d’abandonner son recours. A titre encore plus subsidiaire, il plaide la bonne foi et la limitation de la récupération aux 150 dernières allocations.
L’organisme de paiement est intervenu dans la procédure et conteste toute faute. Il plaide à l’audience que, s’il y a faute, celle-ci ne résulterait pas d’un comportement de son préposé en tant qu’organisme de paiement, mais tout au plus un comportement de l’organisation elle-même, qui ne peut être confondue avec la caisse. Il précise encore que les préposés de la caisse n’interviennent jamais dans les procédures devant les juridictions du travail.
La décision de la cour
Pour la cour, se pose une seule question, étant de savoir quelle est la conséquence du manquement du chômeur qui n’a pas avisé l’ONEm de l’abandon du recours. La question est dès lors double : ce manquement fait-il perdre au chômeur le bénéfice des allocations et une sanction peut-elle être infligée sur la base de l’article 153 de l’arrêté royal ?
La cour rappelle les conditions d’octroi des allocations, prévues au chapitre 3 de celui-ci organique, s’agissant de (i) la privation involontaire de travail et de rémunération, (ii) la disponibilité pour le marché de l’emploi et (iii) l’aptitude au travail. Elle reprend également le mécanisme de l’article 62, § 2, étant que, si le travailleur est considéré comme apte au sens de la législation AMI et qu’il y a contestation de cette décision, il peut bénéficier des allocations provisoires et, s’il obtient gain de cause, l’organisme assureur devra rembourser à l’ONEm le montant des allocations à concurrence de la somme des arriérés d’indemnités AMI. Le travailleur reste pour sa part considéré comme apte aussi longtemps que les juridictions compétentes n’en ont pas décidé autrement, étant qu’il reste soumis aux dispositions de l’arrêté royal organique et ne peut être exclu du chef de la même incapacité.
Pour ce qui est de la position de l’ONEm, selon laquelle il s’agirait d’allocations « particulières », se distinguant des allocations ordinaires et qui imposeraient que le chômeur doive être examiné, la cour rejette cette argumentation. S’il s’agit d’allocations provisoires, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas acquises définitivement mais accordées dans l’attente de la décision de la juridiction du travail qui sera rendue en matière d’AMI, il y a deux cas de figure : si le travailleur est jugé inapte, il perdra ses droits aux allocations de chômage et, dans le cas contraire, il pourra bénéficier des allocations de chômage ordinaires, sous réserve cependant du respect des autres conditions d’octroi.
Pendant la procédure, ces autres conditions d’octroi doivent être remplies et la cour constate que celle relative à l’absence de travail et de rémunération ne pose pas de difficulté, au contraire de la condition relative à la disposition au travail. Le travailleur qui conteste la décision de l’organisme assureur s’estime en effet toujours inapte au travail, ce qui a justifié son recours. Dans cette hypothèse, le législateur a opté pour une solution claire et nette et celle-ci est reprise à l’alinéa 3 de la disposition (article 62, § 2) : le travailleur est considéré comme apte et est soumis à toutes les dispositions de l’arrêté. Il ne peut être exclu du chef de la même incapacité.
En conclusion, le texte étant précis, si le chômeur a eu droit à des allocations à titre provisoire, il ne peut se voir retirer celles-ci au motif qu’il a omis d’avertir l’ONEm de la décision de retirer sa procédure (de même que si le tribunal rejette sa demande).
La cour rencontre encore une autre argumentation de l’ONEm, étant qu’après l’abandon de la procédure, le chômeur était soit inapte, soit non disponible sur le marché du travail.
La cour rappelle que, si le chômeur doit rechercher activement un emploi et doit être et rester disponible, il résulte indirectement, et a contrario des dispositions de l’arrêté royal, que, sous réserve de la procédure d’activation et de l’accompagnement par le service régional de l’emploi compétent, le chômeur n’a pas la charge de la preuve qu’il a recherché du travail. La cour souligne que, bien souvent, les personnes qui ont introduit un recours contre une décision d’aptitude au travail ne font pas l’objet d’un suivi actif de l’ONEm ou du service compétent, mais que, si ceci est compréhensible, ce n’est pas conforme à la réglementation.
C’est dès lors un arrêt de confirmation qui est rendu par la cour, qui suit la conclusion du tribunal selon laquelle la décision litigieuse manque de base légale en ce qu’elle exclut l’intéressé du droit aux allocations et ordonne la récupération.
Reste à régler la question de la sanction prise sur pied de l’article 153 de l’arrêté royal. Sur ce point, la cour conclut qu’aucune sanction administrative ne pouvait être infligée, dans la mesure où aucune sanction ne peut être appliquée à défaut de texte précis qui prévoit l’infraction. En l’occurrence, l’obligation d’avertir l’ONEm devait, pour pouvoir être sanctionnée, être inscrite dans l’arrêté royal.
Intérêt de la décision
Cette affaire rappelle les difficultés de transition entre les régimes AMI et chômage, dès lors qu’une décision de fin d’inaptitude est prise, excluant ainsi – contre son gré – l’assuré social du secteur AMI.
Dès lors que celui-ci introduit un recours devant les juridictions du travail, le secteur chômage intervient automatiquement en tant que « filet de secours », octroyant un revenu de remplacement si, cependant, les autres conditions d’octroi sont remplies.
L’on rappellera que ces conditions d’octroi supposent que les conditions d’admissibilité sont remplies (dont la condition de stage).
L’intérêt de l’arrêt rendu est particulier, puisqu’il règle la question d’une condition d’octroi dont l’on ne sait si elle trouvera facilement à être présente, vu la situation, étant la disponibilité sur le marché du travail. La cour rappelle ici les obligations de l’ONEm à cet égard, étant que le chômeur n’est pas dispensé des procédures d’activation. A défaut pour l’ONEm (ou le service compétent) d’avoir actionné celles-ci, il ne peut être fait grief au chômeur de ne pas avoir recherché du travail.
Un dernier point d’intérêt – sur lequel a porté l’essentiel de l’attention de la cour – est la suite à réserver à l’absence d’information donnée par l’assuré social à l’ONEm quant à l’évolution de sa procédure devant les juridictions du travail.
Il découle, pour la cour, expressément de l’article 62, § 2, alinéa 3, de l’arrêté royal que le travailleur reste apte au travail aussi longtemps que la décision dans le recours introduit en matière AMI n’est pas rendue. Le chômeur reste soumis aux dispositions de l’arrêté royal sans pouvoir être exclu du chef de la même incapacité. L’absence d’information de l’ONEm se trouve dès lors neutralisée.