Terralaboris asbl

Bénéficiaire de la protection internationale et droit aux prestations pour personnes handicapées

Commentaire de Cass., 22 juin 2020, n° S.18.0086.F

Mis en ligne le lundi 16 novembre 2020


Cour de cassation, 22 juin 2020, n° S.18.0086.F

Terra Laboris

Bénéficiaire de la protection internationale et droit aux prestations pour personnes handicapées

Par arrêt du 22 juin 2020, la Cour de cassation rejette un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège (div. Neufchâteau) ayant écarté la condition de nationalité dans l’examen du droit aux prestations pour personnes handicapées en faveur de bénéficiaires de la protection internationale.

Faits de la cause

M. T.A., de nationalité syrienne, a fui son pays avec sa famille pour se réfugier en Belgique. Il s’est vu reconnaître par l’Etat belge le statut de bénéficiaire de la protection internationale visée par la Directive n° 2011/95/UE du 13 décembre 2011 du Parlement européen et du Conseil concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.

Il est atteint d’une myopathie de Duchenne (tétraplégie) et vit avec ses parents et son frère mineur dans un logement social qu’il estime mal adapté à son handicap. Le 20 novembre 2015, il introduit une demande aux fins de bénéficier des allocations de remplacement de revenus et d’intégration prévues par la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées. Par une décision du 1er décembre 2015, la Direction générale des Personnes handicapées rejette cette demande au motif que M. A.T. ne remplit pas la condition de nationalité imposée par ou en vertu de l’article 4 de cette loi, sans instruire le dossier sur les autres conditions d’octroi des allocations.

M. A.T. introduit contre cette décision un recours recevable. Par jugement du 5 mai 2017 de la 5e chambre du Tribunal du travail de Liège (division Neufchâteau), ce recours est déclaré non fondé.

Par l’arrêt attaqué, prononcé le 28 août 2018 (R.G. 2017/AU/50, consultable sur www.terralaboris.be), la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) décide que cette condition de nationalité doit être écartée, étant incompatible avec l’obligation de l’article 29, § 1er, de la directive, qui impose aux Etats membres d’accorder aux bénéficiaires d’une protection internationale la même assistance sociale nécessaire que celle prévue pour leurs ressortissants et conclut qu’il appartient à l’Etat belge de reprendre le traitement de la demande sur les autres conditions d’octroi des allocations.

La cour du travail rappelle que la règle de l’article 29, § 1er, de la Directive n° 2011/95 est, en matière d’assistance sociale, l’égalité de traitement entre les bénéficiaires de la protection internationale et les ressortissants de l’Etat membre ayant accordé cette protection. Par exception, le § 2 autorise les Etats membres à déroger à la règle en limitant l’assistance sociale aux prestations essentielles. Se référant aux considérants 84 à 87 de l’arrêt KAMBERAJ de la Cour de justice (Aff. n° C-571/10), sur lequel nous reviendrons, la cour du travail décide :

  • qu’en l’espèce, il n’apparaît pas que l’Etat belge ait clairement exprimé qu’il entendait se prévaloir de cette dérogation ;
  • qu’en toute hypothèse, les allocations aux personnes handicapées sont des prestations essentielles au sens de l’article 29, § 2, de la directive.

Sur ces deux points, l’arrêt se réfère à un arrêt de la sixième chambre de la cour du travail de Bruxelles du 4 février 2017 (R.G. 2016/AB/663, consultable sur www.terralaboris.be).

La requête en cassation

Le moyen de cassation n’est pas reproduit dans l’arrêt commenté mais on peut déduire de celui-ci que le demandeur invoque la violation des articles 288, alinéa 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (T.F.U.E.) – aux termes duquel la directive lie tout Etat membre quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens –, 29, §§ 1er et 2, de la Directive n° 2011/95/UE (ci-après la directive) et, par voie de conséquence, de la condition de nationalité de l’article 4 de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées. Le demandeur libelle également deux questions préjudicielles à poser à la Cour de Justice.

L’arrêt de la Cour de cassation

L’arrêt (consultable sur Juridat) rejette le pourvoi.

La Cour rappelle tout d’abord le contenu de l’article 29, §§ 1er et 2, de la directive et reprend le considérant 45 de celle-ci, qui impose aux Etats membres faisant usage de la faculté de limiter l’assistance aux prestations essentielles de couvrir au minimum l’octroi d’une aide sous la forme d’un revenu minimal, d’une aide en cas de maladie ou de grossesse et d’une aide parentale, dans la mesure où de telles prestations sont accordées aux ressortissants au titre de droit national.

Elle relève que, dans l’arrêt C-713/17, AYUBI, rendu le 21 novembre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré qu’« il résulte de [sa jurisprudence constante] que, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État, soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte », que l’article 29, § 1er, de la Directive n° 2011/95/UE « met à la charge de chaque État membre [...] une obligation de résultat précise et inconditionnelle, consistant à assurer à tout réfugié auquel il octroie sa protection le bénéfice de la même assistance sociale que celle qui est prévue pour ses ressortissants », qu’« à défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conformes aux exigences du droit de l’Union, les juridictions nationales et les organes de l’administration ont l’obligation d’appliquer intégralement le droit de l’Union et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire du droit interne », et a décidé que « un réfugié peut invoquer, devant les juridictions nationales, l’incompatibilité d’une réglementation [nationale] avec l’article 29, § 1er, [précité], afin que la restriction de ses droits que comporte cette réglementation soit écartée ».

L’arrêt commenté en conclut que « l’article 29, § 1er, de la directive met à la charge de chaque État membre une obligation de résultat précise et inconditionnelle, consistant à assurer à tout bénéficiaire de la protection subsidiaire auquel il octroie sa protection le bénéfice de la même assistance sociale nécessaire que celle qui est prévue pour ses ressortissants, et que ce bénéficiaire peut invoquer cette disposition devant les juridictions nationales, notamment pour faire valoir l’incompatibilité d’une réglementation nationale avec elle afin que la restriction de ses droits que comporte cette réglementation soit écartée » et, en conséquence, qu’il n’y a pas lieu de poser à la Cour de justice la première question préjudicielle.

L’arrêt commenté examine ensuite si, comme le soutenait le moyen, l’arrêt attaqué peut être utilement critiqué en ce qu’il décide que l’Etat belge n’a pas fait usage de la faculté prévue par l’article 29, § 2, de la directive et examine donc comment cette disposition doit être interprétée.

Il décide que cette dérogation « doit être interprétée de manière stricte et que l’Etat belge ne saurait l’invoquer que s’il a clairement exprimé qu’il entendait s’en prévaloir ». La Cour de cassation reprend à cet égard l’enseignement de l’arrêt C-571/10, KAMBERAJ, rendu le 24 avril 2012 par la Cour de justice de l’Union européenne, qui a interprété l’article 11, § 4, de la Directive n° 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, qui autorise les États membres à limiter aux prestations essentielles l’égalité de traitement avec les nationaux prévue en matière d’aide sociale et de protection sociale par l’article 11, § 1er, d), de cette directive « de manière stricte » en sorte qu’« une autorité publique [...] ne saurait invoquer [cette dérogation] que si les instances compétentes de l’État membre concerné pour la mise en œuvre de cette directive ont clairement exprimé qu’elles entendaient se prévaloir de cette dérogation ».

L’arrêt commenté relève que la règle de l’article 29, § 1er, de la Directive n° 2011/95/UE et la dérogation prévue par son 29, § 2, éclairé par son considérant 45 « prévoient de manière analogue (à cet article 11, § 4) la règle de l’égalité en matière de protection sociale et une dérogation autorisant les Etats membres à la limiter aux prestations essentielles ».

L’arrêt examine ensuite si l’Etat belge a clairement exprimé qu’il entendait se prévaloir de cette dérogation et, pour ce faire, examine d’autres législations de protection sociale. Ainsi, il ressort des travaux préparatoires de l’article 3 de la loi du 8 décembre 2013 modifiant la loi du 22 mars 2001 instituant la garantie de revenus aux personnes âgées que le bénéfice de cette prestation sociale est étendu aux bénéficiaires de la protection subsidiaire. D’autres législations ont expressément assuré aux bénéficiaires de la protection subsidiaire le même traitement qu’aux réfugiés. Ainsi en matière d’allocations familiales des travailleurs salariés et de prestations familiales garanties – pour remédier à une discrimination constatée par l’arrêt de la Cour constitutionnelle dans son arrêt n°42/2012 – et en matière d’intégration sociale. L’arrêt relève enfin que la loi du 8 mai 2013 (modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines catégories d’étrangers et la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale) s’abstient de transposer l’article 29, § 2, précité parce que cette disposition relève de la compétence d’autres services publics et doit être transposée dans la législation pertinente.

La Cour suprême constate que, au 21 décembre 2013, délai fixé pour la transposition de la directive, le législateur n’avait transposé que partiellement l’article 29, § 1er, et qu’il n’avait exprimé ni par cette transposition partielle, ni dans les travaux préparatoires précités, ni autrement qu’il entendait se prévaloir de la dérogation autorisée par le paragraphe 2.

Elle conclut, en conséquence, que les bénéficiaires de la protection subsidiaire doivent recevoir la même assistance sociale nécessaire que celle qui est prévue pour les Belges. En considérant que l’Etat belge n’a pas fait usage de la faculté prévue à l’article 29, § 2, et en décidant, sur la base de l’article 29, § 1er, que M. A.T. peut prétendre aux allocations de remplacement de revenus et d’intégration prévues par la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées, l’arrêt attaqué ne viole ni l’article 288, alinéa 3 T.F.U.E. ni aucune des dispositions légales précitées.

Enfin, il n’y a pas lieu de poser à la Cour de justice la seconde question préjudicielle, qui repose sur l’interprétation erronée de cet arrêt que l’Etat belge aurait fait usage de la faculté de dérogation.

Intérêt de l’arrêt commenté

Il était constant que l’Etat belge avait accordé à M. A.T. le bénéfice de la protection subsidiaire visée par la Directive n° 2011/95/UE qui, comme la directive précédente 2004/83 du Conseil du 29 avril 2004, a pour but de compléter à travers la protection subsidiaire celle consacrée par la Convention de Genève du 28 juin 1951 pour les personnes qui ne peuvent se prévaloir de ce texte mais ont réellement besoin d’une protection internationale. Au sens de l’article 2, a) de la Directive n° 2011/95/UE, la protection internationale recouvre donc tant le statut de réfugié que celui consacré par la protection subsidiaire. C’est pourquoi l’enseignement de l’arrêt AYUBI rendu par la Cour de justice le 21 novembre 2018 (Aff. n° C-713/17) et qui concerne le cas d’un réfugié s’applique à M. A.T.

Par contre, les personnes admises à séjourner sur le territoire des Etats membres à titre discrétionnaire, par bienveillance, pour des raisons humanitaires… ne bénéficient pas de cette directive (cf., sous l’empire de cette précédente directive, l’arrêt de la Cour de justice C-542/13 du 18 décembre 2014, consultable sur www.terralaboris.be).

L’examen auquel la Cour de cassation procède quant à la situation des bénéficiaires de la protection subsidiaire au regard d’autres prestations sociales montre que les différences de traitement ont été éliminées.

En l’espèce, l’arrêt attaqué ayant décidé que l’Etat belge n’avait pas fait usage de la faculté de dérogation prévue par l’article 29, § 2, de la directive, la notion de prestations essentielles et la question de la marge de manœuvre de l’Etat qui met en œuvre cette faculté n’a pas été abordée par la Cour de cassation. A cet égard, l’arrêt KAMBERAJ rendu le 24 avril 2012 par la Cour de justice (C-571/10) auquel se sont référés tant l’arrêt de la cour du travail que l’arrêt commenté et les conclusions de l’avocat général Yves BOT du 13 décembre 2011 est également important. Il s’agissait en l’espèce de l’égalité de traitement consacrée par l’article 11, § 1er, de la Directive n° 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée entre les ressortissants de pays tiers et les nationaux, en matière d’assistance sociale (l’aide sociale étant une aide au logement).

Les conclusions de cet arrêt KAMBERAJ soulignent ainsi que les Etats membres ne peuvent utiliser la faculté de dérogation « d’une manière qui porterait atteinte à l’objectif de la directive en cause et à l’effet utile de celle-ci » (point 84) et qu’ils « sont tenus, lorsqu’ils transposent une directive, de tenir compte de la Charte (des droits fondamentaux de l’Union européenne), en vertu de l’article 51, paragraphe 1 de cette dernière » (point 85).

L’arrêt de la Cour de justice souligne en ses considérants 91 et 92 que l’article 11, § 4, de la Directive n° 2003/109 doit être compris comme permettant aux États membres de limiter l’égalité de traitement dont bénéficient les titulaires du statut accordé par la directive 2003/109, à l’exception des prestations d’aide sociale ou de protection sociale octroyées par les autorités publiques, que ce soit au niveau national, régional ou local, qui contribuent à permettre à l’individu de faire face à ses besoins élémentaires tels que la nourriture, le logement et la santé. Il convient de rappeler que, conformément à l’article 34 de la Charte, l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes. Il s’ensuit que, dans la mesure où l’aide en cause au principal remplit la finalité énoncée par ledit article de la Charte, elle ne saurait être considérée, en droit de l’Union, comme ne faisant pas partie des prestations essentielles au sens de l’article 11, paragraphe 4, de la Directive n° 2003/109. Il appartient à la juridiction nationale de procéder aux constatations nécessaires, en prenant en considération la finalité de cette aide, son montant, les conditions de son attribution et la place de cette aide dans le système d’aide sociale italien.

Plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont fait application de la règle que la Charte s’applique aux Etats membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit communautaire (cf. not. Cass., 23 décembre 2015, n° P.15.1596.F, sur Juridat avec les conclusions de l’Avocat général VANDERMEERSCH).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be