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Accord de la victime sur la réparation des séquelles d’un accident du travail : quid de la subrogation de l’organisme assureur AMI ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 12 février 2020, R.G. 2018/AU/96

Mis en ligne le jeudi 10 décembre 2020


Cour du travail de Liège (division Neufchâteau), 12 février 2020, R.G. 2018/AU/96

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 février 2020, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) rappelle les termes exprès de l’article 136, § 2, alinéa 5, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 : la convention entre le débiteur de la réparation et le bénéficiaire n’est pas opposable à l’organisme assureur sans l’accord de ce dernier, ceci valant également dans le secteur public pour la décision de l’autorité contenant l’accord de la victime.

Les faits

Un ouvrier au service d’un CPAS (engagement article 60, § 7, de la loi organique) est victime d’un accident du travail le 13 juin 2013. Celui-ci sera consolidé avec effet au 1er juin 2014, l’incapacité permanente étant fixée à 15%.

Une proposition de règlement est faite sur la base de la décision du MEDEX. Celle-ci est acceptée.

Aussitôt, l’assureur de l’employeur public informe l’organisme assureur AMI, lui demandant s’il entend faire valoir son droit de subrogation. Celui-ci informe l’assureur du montant de ses débours (de l’ordre de 830 euros), correspondant à la rente de 15% d’I.P.P. pendant la période qu’il a prise en charge au titre d’incapacité temporaire. Le remboursement intervient.

L’intéressé perçoit, par la suite, la rente viagère annuelle et, parallèlement, reçoit une indemnité de sa mutuelle. Celle-ci, assez rapidement, conteste le taux d’IPP et la date de consolidation et demande la prise en charge de soins de santé.

Un refus lui est opposé, au triple motif que la fixation du taux d’IP et la date de consolidation sont du ressort du service médical compétent, qu’il y a accord de la victime, accord officialisé, et que les périodes d’incapacité depuis la consolidation doivent être considérées comme des périodes de maladie, l’assureur considérant que la jurisprudence est unanime sur cette question. Est transmis, à la demande expresse de l’organisme assureur, un jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 27 avril 2007.

La mutualité introduit en fin de compte une action devant le Tribunal du travail de Liège (division Arlon), aux fins d’exercer son droit de subrogation, considérant que l’accord de la victime sur la proposition du MEDEX ne lui est pas opposable. Elle sollicite la désignation d’un expert.

Le jugement rendu fait droit à la demande, considérant que le débiteur de la réparation ne peut se prévaloir de stipulations d’une convention qu’il aurait conclue avec la victime, et ce sans l’accord de l’organisme assureur AMI. Un expert est désigné.

Le CPAS interjette appel et l’organisme assureur AMI sollicite la confirmation du jugement.

Position des parties devant la cour

En droit, le CPAS considère que la procédure prévue par l’arrêté royal du 13 juillet 1970 a été suivie et a abouti à une première évaluation coulée dans l’acte de l’autorité notifié à la victime. Cet acte s’impose à tous, y compris à la mutualité. La notification fait courir le délai de révision de 3 ans. La seule action ouverte au jour où l’organisme assureur a cité était une action en révision, action que la victime pouvait intenter – mais qu’elle n’a pas mise en route. L’organisme assureur ne peut exercer son droit de subrogation, au motif qu’il n’est pas établi que l’article 295 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 a été respecté (obligation pour l’assuré social d’informer l’organisme assureur). Dans l’hypothèse où ce serait le cas, il développe divers moyens tirés de l’article 136, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 (dont l’alinéa 5 – qui prévoit que la convention intervenue entre le débiteur de la réparation et le bénéficiaire n’est pas opposable à l’organisme assureur sans l’accord de ce dernier).

L’organisme assureur considère de son côté que l’incapacité de travail de l’intéressé reste liée à l’accident du travail, la date de consolidation ayant été fixée trop tôt. Il dépose des rapports médicaux mettant en cause la conclusion du MEDEX et justifiant selon lui une expertise judiciaire.

La décision de la cour

La cour définit le cadre juridique, étant la procédure administrative figurant à l’arrêté royal du 13 juillet 1970. Elle en reprend les étapes, ainsi que le rôle du service médical, qui intervient notamment pour fixer la date de consolidation et le pourcentage de l’IPP résultant des lésions physiologiques occasionnées par l’accident. Quant à l’autorité, elle vérifie les éléments du dommage subi, apprécie s’il y a lieu d’augmenter le pourcentage d’incapacité proposé par le service médical et adresse à la victime une proposition en vue du paiement d’une rente. Celle-ci doit comprendre certaines mentions. En cas d’accord, l’autorité prend une décision, qui est à son tour notifiée.

La loi du 3 juillet 1967 prévoit par ailleurs qu’est nulle toute convention contraire aux dispositions qu’elle contient, la nullité opérant de plein droit.

Le mécanisme de l’action subrogatoire de l’organisme assureur est contenu dans la loi coordonnée le 14 juillet 1994, en son article 136, § 2. Dans l’attente de la réparation effective du dommage en vertu d’une autre législation, les prestations sont octroyées par l’organisme assureur, qui est subrogé de plein droit au bénéficiaire. La convention qui interviendrait entre le débiteur de la réparation et le bénéficiaire n’est pas opposable à l’organisme assureur sans l’accord de ce dernier (article 136, § 2, alinéa 5).

Quant à la nature de l’action de l’organisme assureur contre le débiteur, il ne s’agit pas d’une action distincte de celle de la victime mais de l’action en paiement des indemnités de la victime elle-même, formée par une demande distincte.

La cour reprend encore quelques règles guidant l’action subrogatoire contre l’assureur-loi, étant notamment que celle-ci peut être intentée en-dehors de la présence de la victime ou conjointement avec elle, l’organisme assureur pouvant aussi exercer l’action en révision.

Une expertise peut être désignée permettant à l’organisme assureur d’être informé sur le dommage à réparer par une autre législation et la cour rappelle à cet égard que la victime ne peut pas refuser de subir cette expertise, dans la mesure où, dès qu’elle revendique les indemnités d’incapacité de travail, elle contracte l’obligation de permettre à l’organisme assureur d’exercer son droit de subrogation. C’est ici la doctrine de Philippe GOSSERIES qui est rappelée (Ph. GOSSERIES, « L’interdiction du cumul de la réparation pour même dommage selon l’article 70, § 2, de la loi du 9 août 1963 », J.T.T., 1989, p. 172).

Enfin, renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 1986 (Cass., 12 juin 1986, n° 26.158), la cour rappelle qu’un accord, même homologué par le tribunal du travail, intervenu entre la victime d’un accident du travail et l’assureur-loi, est inopposable à l’organisme assureur AMI.

En l’espèce, il y a bien une convention entre la victime et le CPAS, dans la mesure où elle a marqué accord sur la proposition d’indemnisation.

La circonstance que la proposition d’indemnité soit reprise dans une décision de l’autorité n’a pas pour effet de rendre cette convention opposable. Il s’agit d’un simple acte administratif individuel. Un accord, même homologué par le tribunal du travail, étant inopposable à l’organisme assureur AMI, c’est à juste titre que l’action de celui-ci a été déclarée recevable et qu’il pouvait dès lors introduire son action dans le délai de 3 ans prenant cours à la notification de la proposition de rente.

Les prestations octroyées l’étant dans l’attente de la réparation effective du dommage en vertu de la législation accidents du travail et dans la mesure où une contestation existe, le dommage pour lequel les indemnités AMI sont versées ne peut être considéré comme réparé. Ceci ne sera le cas que si l’action est déclarée non fondée.

Enfin, sur l’obligation d’information de l’organisme assureur AMI par la victime, prévue à l’article 295 de l’arrêté royal d’exécution, la cour rejette l’argument du CPAS qui considère que le respect de cette obligation d’information n’est pas prouvé, et ce au motif que la disposition en cause ne soumet la transmission de l’information à aucune condition de forme. Il ressort du dossier que l’intéressé se soumet régulièrement aux examens proposés par l’organisme assureur, contribuant ainsi à permettre à ce dernier d’exercer sa subrogation.

En conclusion, la cour considère l’appel non fondé, confirmant la mesure d’expertise ordonnée par le tribunal du travail.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) fait ici un judicieux rappel des règles en la matière. Après avoir repris les rôles respectifs du service médical et de l’autorité débitrice de la réparation, la cour a repris les règles issues de l’article 136, § 2, de la loi coordonnée du 14 juillet 1994, et particulièrement son alinéa 5, selon lequel une convention qui intervient dans le cadre de la réparation des séquelles de l’accident entre le débiteur de celle-ci et la victime n’est pas opposable à l’organisme assureur sans l’accord de ce dernier. Cette disposition a une portée générale et vaut quel que soit le régime (privé ou public) dès lors que l’organisme assureur AMI a été amené à intervenir dans l’attente de la réparation effective du dommage qui interviendrait en vertu d’une autre législation belge, d’une législation étrangère ou du droit commun.

La décision de l’autorité, proposant une indemnisation à la victime, n’a pas pour effet de rendre la convention opposable à l’organisme assureur, l’inopposabilité de l’article 136, § 2, alinéa 5, n’étant pas entamée par cette décision. Pour la cour, il s’agit d’un simple acte administratif individuel qui ne fait qu’exécuter l’accord des parties, décision que l’administration est tenue de prendre en vertu du texte.

La cour considère dès lors que, l’action ayant été introduite dans le délai légal, elle est recevable et qu’il y a lieu de désigner un expert.


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