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Infraction à la réglementation en matière de titres-services : amende administrative

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 mai 2020, R.G. 2018/AB/980

Mis en ligne le lundi 14 décembre 2020


Cour du travail de Bruxelles, 19 mai 2020, R.G. 2018/AB/980

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 mai 2020, la Cour du travail de Bruxelles reprend la réglementation applicable à la matière des titres-services en Région flamande et, saisie du bien-fondé d’une amende administrative de 12.500 euros suite à diverses infractions, examine les obligations auxquelles la société a manqué ainsi que l’étendue du pouvoir du juge saisi d’une telle contestation.

Les faits

En juillet 2016, le Département Travail et Economie sociale de l’Autorité Flamande a dressé un procès-verbal concernant une société de titres-services eu égard à des infractions (sept) à la réglementation.

Les faits étant établis, la voie de l’amende administrative fut préférée par l’Auditorat du travail du Halle-Vilvorde. L’Autorité Flamande fit part de sa position et notifia en juillet 2017 une amende administrative de 12.500 euros, notification motivée quant aux infractions retenues. Une procédure fut introduite par la société de titres-services et, dans le cadre de celle-ci, la somme de 12.500 euros – payée – fut réclamée à titre reconventionnel.

La décision fut annulée par jugement du tribunal du travail du 26 octobre 2018 au motif de l’insuffisance de la motivation en ce qui concerne la sanction.

Appel fut dès lors interjeté par l’administration publique.

L’arrêt de la cour

La cour réforme le jugement, après avoir rappelé successivement les principes relatifs à la notification des procès-verbaux (et leur force obligatoire) ainsi que les activités et pratiques interdites dans le cadre de la réglementation des titres-services.

Pour ce qui est de la régularité de la notification, la cour rappelle le décret du 30 avril 2004, qui impose l’envoi par voie recommandée. La preuve ne peut ici en être fournie. En conséquence, suivant en cela le Ministère public, elle constate que les conditions ne sont pas remplies mais que ce procès-verbal peut valoir au titre de renseignement.

Les infractions reprochées à la société sont en gros au nombre de quatre.

La première porte sur l’exercice d’activités non autorisées. Il s’agissait en l’espèce de prestations dans des maisons de repos et il est constaté que deux personnes étaient rémunérées avec des titres-services pour des tâches telles que l’habillage, la mise au lit, la toilette, l’aide aux soins, l’aide aux repas, etc., toutes tâches qui ne figurent pas dans l’arrêté royal du 12 décembre 2001 parmi les activités autorisées. D’autres constatations figurent au dossier, pour des soins donnés, du service en chambre, des promenades, des activités d’animation, l’aide au déménagement, des travaux de peinture, etc. Pour la cour du travail, il y a irrespect manifeste de la réglementation applicable.

Un deuxième grief porte sur l’obligation figurant à l’article 2quater, § 4, 15°, de l’arrêté d’exécution, qui impose, pour la Région flamande, que l’entreprise organise l’enregistrement des activités titres-services de manière telle que l’on puisse vérifier exactement la relation entre les prestations mensuelles de chaque travailleur titres-services individuel, l’utilisateur et les titres-services correspondants.

La cour renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 26 juin 2017 (Cass., 26 juin 2017, Chron. D. S., 2018/8, p. 304), selon lequel cet enregistrement est indispensable afin de pouvoir procéder à un contrôle efficace. Cet enregistrement était manquant et la cour conclut à l’existence de l’infraction.

Vient ensuite la constatation de l’absence d’une section sui generis créée au sein de l’entreprise et correspondant aux conditions légales, étant que (i) un responsable spécifique doit être désigné pour celle-ci, (ii) cette section s’engage à être identifiable par son agrément comme entreprise agréée et la publicité ad hoc, (iii) les activités couvertes par les titres-services sont enregistrées séparément, notamment à l’intention des structures de concertation sociale dans l’entreprise et de l’inspection sociale et (iv) une comptabilité distincte concernant les activités titres-services est tenue. Une telle section n’existe pas dans l’entreprise, de telle sorte qu’il y a ici également infraction.

Enfin, la société se voit également reprocher d’avoir fait exécuter des activités de titres-services par d’autres travailleurs que ceux rémunérés par ceux-ci. L’infraction est constatée, mais dans une mesure restreinte.

La cour retient, en outre, des circonstances aggravantes pour la première infraction, l’absence de circonstances atténuantes pour la deuxième et l’existence de celles-ci pour la quatrième (aucune précision n’étant donnée pour la troisième).

Enfin, elle développe longuement la question de la motivation de la décision, eu égard aux exigences de la loi du 29 juillet 1991. Eu égard aux infractions retenues, la motivation est suffisante. Il doit ressortir de celle-ci que le principe de la proportionnalité a été respecté (étendue de l’infraction, nombre de travailleurs impliqués, existence ou non de circonstances aggravantes ou atténuantes). Elle rappelle l’apport de la Cour de cassation sur la question, dans son arrêt du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0062.F), rendu en matière de chômage : saisi d’une contestation du bénéficiaire d’allocations contre une décision du Directeur du bureau de chômage d’exclusion du droit aux allocations, le tribunal du travail exerce, dans le respect des droits de la défense et du cadre de l’instance tel que les parties l’ont déterminé, un contrôle de pleine juridiction sur la décision en ce qui concerne l’importance de la sanction, qui comporte le choix entre l’exclusion du bénéfice des allocations sans sursis (ou avec sursis), ou encore l’avertissement ou, le cas échéant, le choix de la durée et des modalités de celle-ci.

La cour constate que la Cour de cassation a ainsi rejoint la position de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 18 novembre 1992 (n° 72/92) ainsi que dans celui du 7 décembre 1999 (n° 128/99). Le juge exerce un contrôle judiciaire complet, ce qui implique que rien de ce qui était de la compétence de l’administration ne peut échapper à son contrôle.

En l’espèce, sur la proportionnalité de la sanction administrative, la cour rejoint l’avis de l’avocat général. La première infraction est susceptible d’une amende allant de 1.800 à 18.000 euros. La cour estime que les circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise justifient une sanction de 10.750 euros (pluralité de lieux et impossibilité de préciser exactement le nombre de travailleurs concernés, notamment). Pour la deuxième, est prévue une fourchette de 250 à 2.500 euros, la cour considérant que 50% du montant maximum peuvent être retenus. Le total justifie un montant de 12.500 euros.

L’appel est dès lors accueilli.

Intérêt de la décision

Le présent litige se meut dans le cadre exclusif de la sanction administrative, l’auditorat du travail ayant opté pour celle-ci.

L’on notera les infractions à la réglementation constatées. Ces infractions se retrouvent dans plusieurs décisions, essentiellement pour ce qui est de l’exercice d’activités non autorisées et l’absence d’enregistrement ainsi que de division sui generis.

Dans diverses décisions judiciaires, se trouve en outre en cause la question de la récupération des titres octroyés alors que les conditions légales et réglementaires ne sont pas remplies. Sur cette question de récupération, l’on peut utilement renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 28 mars 2018 (C. trav. Bruxelles, 28 mars 2018, R.G. 2016/AB/1.110 – précédemment commenté), où la cour a considéré que l’ONEm peut récupérer entièrement l’intervention et le montant d’acquisition des titres-services s’ils ont été indûment accordés. Ce mécanisme n’instaure pas une sanction, mais prévoit le remboursement de l’indu. Conformément aux règles en matière de récupération de l’indu, l’autorité qui poursuit le remboursement doit établir le paiement ainsi que le caractère indu de celui-ci. Le juge a un pouvoir de pleine juridiction, c’est-à-dire avec pouvoir de substitution. La compétence de l’ONEm n’est pas une compétence discrétionnaire. Si la preuve du paiement indu est rapportée, le juge ne dispose cependant d’aucun pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité d’ordonner ou non le remboursement.

Par ailleurs, dans un arrêt du 21 février 2018 (C. trav. Mons, 21 février 2018, R.G. 2016/AM/363 – précédemment commenté), la Cour du travail de Mons avait considéré que les infractions à la réglementation en la matière n’ont pas de nature pénale. Le juge ne peut en conséquence apprécier la proportion entre l’ampleur des manquements à la réglementation en matière de titres-services et l’étendue de la récupération.


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