Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 mai 2020, R.G. 2018/AB/750
Mis en ligne le lundi 28 décembre 2020
Cour du travail de Bruxelles, 8 mai 2020, R.G. 2018/AB/750
Terra Laboris
Dans un arrêt du 8 mai 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, pour ce qui est de l’assimilation de périodes d’incapacité à une période d’activité, dans le secteur des travailleurs indépendants, la notion de cessation d’activité s’entend de manière plus stricte que pour la reconnaissance et l’indemnisation de l’incapacité elle-même.
Les faits
Depuis 2008, une personne physique a constitué une S.P.R.L. dont elle est l’unique associée et gérante et dont le siège est sis à son domicile. L’objet social est orienté vers la naturopathie.
Initialement, le mandat est rémunéré. Il est, après quelques mois, exercé gratuitement, ce qui est acté dans une décision publiée aux Annexes du Moniteur belge.
En 2014, la gérante est reconnue en incapacité de travail par sa mutuelle, et ce dans le régime des travailleurs indépendants. Elle demande l’assimilation maladie-invalidité et cette assimilation lui est accordée par décision de l’I.N.A.S.T.I. du 13 février 2017. Cette décision est cependant annulée, dans une décision ultérieure, qui constate l’exercice d’une activité professionnelle pendant la période d’incapacité de travail. Les informations ont été transmises par la TVA, étant des opérations de sortie à chaque trimestre depuis 2015 pour la S.P.R.L.
L’intéressée introduit un recours devant le Tribunal du travail du Brabant wallon, qui le déclare non fondé par jugement du 24 juillet 2018.
La cour est saisie de son appel, qui demande à titre principal d’annuler la décision litigieuse et à titre subsidiaire, en cas de refus de l’assimilation, de déclarer qu’elle a cessé toute activité depuis le 1er janvier 2015 (soit six mois après le début de son incapacité de travail).
La décision de la cour
Le litige porte sur le respect de l’article 28, § 3, de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants. La réglementation permet au travailleur indépendant de demander à l’I.N.A.S.T.I. l’assimilation de périodes d’incapacité à une période d’activité, de telle sorte qu’il conserve son statut sans devoir payer des cotisations sociales pour les périodes concernées. En outre, la période d’incapacité est prise en compte pour le calcul de la pension comme s’il y avait poursuite de l’activité.
Des conditions sont cependant mises à cette assimilation, la cour rappelant qu’il n’y a pas d’assimilation « d’office » dès lors qu’il y a incapacité de travail. Doivent être remplies trois conditions cumulatives, étant (i) l’incapacité de travail elle-même, (ii) la qualité de travailleur indépendant, qui doit avoir été acquise nonante jours au moins avant le début de l’assimilation – qualité établie par le paiement des cotisations – et (iii) la fin de l’activité professionnelle.
En l’occurrence, c’est la troisième condition qui est en cause.
La cour examine dès lors les conditions légales mises à la cessation de l’activité professionnelle.
Il n’y a en effet pas cessation d’activité si une activité est exercée au nom du travailleur indépendant, et ce par personne interposée, et qu’il bénéficie en tout ou en partie des revenus produits par cette activité. La cour rappelle à cet égard un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 janvier 2009 (C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2009, R.G. 49.637).
Doivent être examinées, dans la vérification de l’exercice de l’activité professionnelle, les conditions de l’arrêté royal n° 38 et les présomptions qu’il contient. La cour rappelle à cet égard la jurisprudence de la Cour de cassation dans son arrêt du 21 mars 1983 (Cass., 21 mars 1983, n° 13.115). L’activité professionnelle implique la réunion de deux éléments, étant que l’activité doit être exercée dans un but de lucre, même si en fait elle ne produit pas de revenus et elle doit présenter un caractère habituel, supposant l’existence d’un ensemble d’opérations liées entre elles, répétées et accompagnées de démarches.
Par ailleurs, il faut également avoir égard à la présomption fiscale (réfragable), le caractère non régulier de l’activité pouvant – s’il est établi par le travailleur indépendant – renverser la présomption. La cour renvoie ici à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 septembre 2011 (C. trav. Bruxelles, 9 septembre 2011, R.G. 2010/AB/384-385-416). Est également réfragable la présomption d’assujettissement des mandataires de société, ceux-ci pouvant démontrer soit que l’activité n’est pas habituelle (la société étant sans activité ou dormante), soit que l’activité est exercée sans but de lucre.
Pour la cour, la notion de cessation d’activité s’entend donc de manière plus stricte pour l’assimilation que pour la reconnaissance et l’indemnisation de l’incapacité de travail (renvoyant ici encore à d’autres arrêts de la Cour du travail de Bruxelles).
En l’espèce, l’intéressée doit dès lors renverser les deux présomptions.
Pour la cour, les éléments du dossier ne permettent pas de conclure à ce renversement. Il y a les déclarations TVA introduites pour chaque trimestre depuis 2015, faisant apparaître un compte de résultats où le chiffre d’affaires est considéré comme « non négligeable ». En outre, elle était gérante pendant toute la période et la cour rappelle qu’un mandat implique une activité régulière et habituelle, le mandataire étant à tout moment susceptible de devoir poser des actes pour la société dont il est l’organe. De tels actes ont en effet été posés et l’activité de la gérante était ainsi habituelle et régulière. L’absence de but de lucre n’est par ailleurs pas démontrée, la cour rappelant que l’activité dégage des bénéfices d’exploitation et que le capital (dont elle est seule détentrice) est rémunéré.
L’assimilation ne peut, en conséquence, être accordée, la cessation d’activité n’étant pas avérée.
Intérêt de la décision
La cour aborde, dans cet arrêt, la question spécifique de l’assimilation de la période d’incapacité d’un travailleur indépendant comme période d’activité pour ses droits en matière de pension.
Renvoyant à la jurisprudence de la même cour sur la question, elle rappelle que la notion de cessation d’activité s’entend de manière plus stricte pour cette assimilation que pour la reconnaissance et l’indemnisation de l’incapacité de travail. Renvoi est fait notamment à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 septembre 2011 (C. trav. Bruxelles, 9 septembre 2011, R.G. 2009/AB/52.793 – précédemment commenté). Cet arrêt avait rappelé l’arrêt de la Cour de cassation repris dans l’arrêt commenté, arrêt du 21 mars 1983, selon lequel il y a lieu de tenir compte des présomptions d’exercice d’une activité indépendante dans les conditions envisagées par l’arrêté royal n° 38, ainsi en cas de perception de revenus professionnels. La cour du travail avait également repris, pour ce qui est de l’activité exercée au nom de l’indépendant par personne interposée, un cas particulier tranché précédemment (celui, d’ailleurs, dont question dans l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 janvier 2009 cité), s’agissant d’un avocat qui n’exerçait pas son activité lui-même pendant son incapacité de travail mais avait fait appel à des collaborateurs. Il ne satisfaisait pas aux critères de la cessation d’activité au sens de l’article 28, § 3, en matière de pension.
Dans l’arrêt du 9 septembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles avait également refusé l’assimilation, constatant que, pendant une première période, des revenus d’associé actif ou des bénéfices avaient été déclarés et que la présomption d’assujettissement qui découle de ces données fiscales n’était pas renversée. En outre, le registre de commerce n’avait pas été radié et l’activité avait été poursuivie avec l’aide d’un tiers. Pour la période ultérieure, étant celle consécutive à la radiation du registre de commerce, la condition du paiement des cotisations pendant le trimestre précédant le début de la période n’était pas remplie. La cour du travail avait également souligné que la preuve de l’activité professionnelle en qualité de travailleur indépendant doit être rapportée par le paiement des cotisations relatives au trimestre.