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Clause de non-concurrence : quid en cas de non-renonciation par l’employeur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 mars 2020, R.G. 2019/AB/229

Mis en ligne le vendredi 15 janvier 2021


Cour du travail de Bruxelles, 6 mars 2020, R.G. 2019/AB/229

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 mars 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles relatives à la clause de non-concurrence : ses conditions de validité, ses effets, les conditions de sa renonciation, ainsi que le caractère relatif de la nullité de celle-ci lorsque les conditions légales ne sont pas réunies.

Les faits

Un employé, au service d’une société commerciale depuis 2010, est licencié en janvier 2017 avec préavis à prester. Son contrat contenait une clause de non-concurrence. Deux mois et demi après la fin des prestations, le conseil de l’employé prend contact avec la société, signalant que, celle-ci n’ayant pas renoncé à la clause de non-concurrence, l’indemnité forfaitaire prévue, de l’ordre de 33.000 euros, est due.

Aucune réaction n’étant enregistrée suite à ce courrier, une procédure est entamée devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles.

La décision du tribunal

Le tribunal a accueilli la demande, fixant cependant l’indemnité à un montant inférieur, de l’ordre de 24.500 euros.

La société a interjeté appel de cette décision, faisant essentiellement valoir la nullité de la clause, qui ne répondrait pas au prescrit de l’article 65 de la loi sur les contrats de travail. Subsidiairement, sa nullité est également plaidée au motif que la rémunération ne permettait pas l’inclusion d’une clause de non-concurrence dans le contrat.

La décision de la cour

La cour reprend les règles sur la question. Elle examine successivement les effets d’une clause de non-concurrence, sa validité et la renonciation à celle-ci.

C’est l’article 65, § 1er, L.C.T., auquel renvoie l’article 86, § 1er, du même texte, qui est applicable. Son § 1er définit la clause de non-concurrence comme étant celle par laquelle le travailleur s’interdit, lors de son départ de l’entreprise, d’exercer des activités similaires, soit en exploitant une entreprise personnelle, soit en s’engageant chez un employeur concurrent, ayant ainsi la possibilité de porter préjudice à l’entreprise qu’il a quittée en utilisant, pour lui-même ou au profit d’un concurrent, les connaissances particulières à l’entreprise qu’il a acquises dans celle-ci, en matière industrielle ou commerciale.

La cour précise que la clause de non-concurrence ne peut sortir d’effets que si le travailleur a acquis des connaissances particulières en matière industrielle ou commerciale auprès de l’employeur, connaissances propres à l’entreprise. Elle suppose également que, lors de son départ de l’entreprise, le travailleur ait la possibilité de porter préjudice à celui-ci, vu les connaissances acquises, qui pourraient profiter à lui-même ou à une entreprise concurrente.

La cour renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 2014 (Cass., 5 mai 2014, n° S.12.0058.N), pour préciser que ce n’est pas parce que le travailleur se met au service d’un employeur non concurrent du précédent, auprès duquel il ne peut faire valoir les connaissances acquises, que la clause de non-concurrence ne peut sortir d’effets.

Pour la cour du travail, l’article 65, § 1er, ne permet pas d’autre solution. La clause de non-concurrence peut toujours sortir ses effets lorsque le travailleur a la possibilité de causer préjudice à l’employeur qu’il a quitté, du fait des connaissances qu’il a acquises et qui sont propres à cette entreprise, connaissances du domaine industriel ou commercial, dont il peut faire usage pour lui-même ou pour une entreprise concurrente.

La question se pose dès lors, pour la cour, de savoir si le travailleur pouvait se trouver dans cette situation après son départ de l’entreprise et s’il remplissait les conditions ci-dessus. Les parties sont en désaccord sur la question de savoir si, pendant son occupation auprès de la société, l’intéressé a pu obtenir des connaissances propres à l’entreprise dans le domaine industriel ou commercial. Le travailleur établit qu’il a suivi des formations spécialisées, l’activité exercée se situant dans un domaine très spécifique de fourniture et d’entretien de matériel médical. La condition est dès lors remplie et l’argument de la société à cet égard est rejeté.

Pour ce qui est de la validité de la clause, il est acquis au départ que la rémunération annuelle de l’intéressé n’atteignait pas le seuil requis. La Cour de cassation a jugé que les conditions de rémunération reprises à l’article 65, § 2, L.C.T. sont, au même titre que les autres, des conditions de validité de la clause de non-concurrence. Leur inobservation entraîne dès lors la nullité de celles-ci, mais cette nullité est relative et seul le travailleur peur s’en prévaloir. La société ne peut dès lors l’invoquer (Cass., 3 juin 2003, n° S.02.0098.F).

Enfin, sur la renonciation à ladite clause, la cour rappelle encore le prescrit légal, étant que l’employeur peut renoncer dans un délai de quinze jours à l’application de la clause à partir du moment de la cessation du contrat. A défaut, une indemnité compensatoire unique et de caractère forfaitaire sera due (son montant étant une mention obligatoire, devant figurer dans la clause elle-même). En principe, la renonciation à l’application effective de la clause n’est soumise à aucune condition et la cour renvoie ici à un arrêt de la Cour de cassation du 20 octobre 2003 (Cass., 20 octobre 2003, n° S.03.0033.F). Cette renonciation doit cependant, conformément aux règles du droit commun en matière de preuve, être prouvée par la société, ce qu’elle ne fait pas en l’espèce.

Le jugement est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle les principaux arrêts de la Cour de cassation rendus sur la question, la dernière décision de la Cour suprême datant du 5 mai 2014. Dans celle-ci, la Cour de cassation a rappelé l’exigence que le travailleur ait acquis auprès de l’employeur des connaissances en matière commerciale ou industrielle propres à l’entreprise et qu’il ait la possibilité de porter préjudice à ce dernier en utilisant celles-ci pour lui-même ou pour un concurrent. Les deux arrêts rendus dans le courant de l’année 2003 étaient tout aussi importants, puisque, dans son arrêt du 30 juin 2003, la Cour de cassation avait rappelé que la nullité est relative et qu’elle ne peut être invoquée que par le travailleur et, dans celui du 20 octobre 2003, elle avait souligné que la renonciation à l’application effective de la clause n’est soumise à aucune forme.

Sur la question, l’on peut renvoyer à plusieurs décisions rendues par la Cour du travail de Bruxelles, notamment sur la notion d’activité similaire et de domaine industriel et commercial (C. trav. Bruxelles, 8 janvier 2013, R.G. 2011/AB/1.102 et C. trav. Bruxelles, 16 octobre 2012, R.G. 2011/AB/489) ainsi que sur la notion de similarité, qui concerne les activités de l’employeur et du travailleur (C. trav. Bruxelles, 3 mai 2011, R.G. 2010/AB/188).


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