Terralaboris asbl

Récupération d’allocations de chômage après une procédure judiciaire en vue de faire reconnaître une incapacité AMI : règles applicables

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 26 mai 2020, R.G. 2019/AL/5

Mis en ligne le vendredi 29 janvier 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 26 mai 2020, R.G. 2019/AL/5

Terra Laboris

Dans un arrêt du 26 mai 2020, la Cour du travail de Liège (division Liège) fait une application de l’instruction ONEm permettant la limitation du montant de la récupération des allocations de chômage lorsque l’intéressé a obtenu gain de cause dans une procédure en contestation d’une notification d’une décision de fin d’incapacité AMI.

Les faits

Après un accident de la circulation (2003), une travailleuse est admise en incapacité de travail pendant huit mois. Suite à la notification de la décision de fin d’incapacité, elle conteste et introduit une procédure devant le tribunal. Elle sollicite parallèlement le bénéfice des allocations de chômage, qui lui sont accordées à titre provisoire, dans l’attente de l’issue de la procédure contre l’organisme assureur.

Celle-ci aboutit à la reconnaissance rétroactive de l’incapacité de travail, à partir de la date de fin notifiée par la mutuelle, qui doit indemniser l’intéressée pour la période concernée. Le jugement est transmis très rapidement à l’ONEm et, quatorze mois plus tard, soit en mars 2007, celui-ci notifie à la mutuelle le montant des allocations de chômage perçues pour la période concernée (près de 31.000 euros) et demande de préciser le montant qu’elle pourra rembourser.

Ce montant, pour la période en cause, est de l’ordre de 11.700 euros.

L’ONEm décide en conséquence d’exclure l’intéressée du bénéfice des allocations de chômage pour toute la période et de récupérer la somme totale, sous déduction du montant à rembourser par la mutuelle. La décision est motivée par l’interdiction de cumul entre des allocations de chômage et des indemnités d’assurance maladie-invalidité. Celle-ci ne conteste pas la décision.

Une deuxième décision intervient 3 ans plus tard (2010), l’intéressée ayant été opposée à la compagnie d’assurances de la partie adverse devant le tribunal de police. Après avoir reçu ses explications (selon lesquelles elle avait perdu son emploi après l’accident et s’était inscrite au chômage suite à la rupture, suite à quoi elle fut prise en charge par sa mutuelle), l’ONEm prend alors une décision d’exclusion pour un montant voisin, la période ayant été quelque peu élargie. La motivation est identique, étant l’interdiction de cumul.

Un recours est cette fois introduit. La demanderesse conteste la réalité des paiements effectués par l’ONEm.

Dans son jugement, le tribunal du travail lui donne tort, admettant, à partir des impressions d’écran et d’un listing des paiements effectués par l’organisation syndicale (office de paiement), qu’elle a effectivement perçu les allocations de chômage.

Elle interjette appel.

La position des parties devant la cour

L’appelante maintient sa contestation quant à la non-perception des allocations de chômage. Elle s’appuie sur l’article 1341 du Code civil (qui exige un écrit), considérant que les documents produits sont des documents internes n’établissant nullement l’effectivité des paiements. Vu l’ancienneté (plus de 10 ans), elle expose ne plus avoir ses extraits de compte et son organisme financier n’est pas davantage en mesure de les donner.

La décision de la cour

La cour rappelle le prescrit de l’article 62, § 2, de l’arrêté royal, relatif à l’octroi des allocations de chômage à titre provisoire pendant la procédure opposant l’assuré social à son organisme assureur AMI.

Elle renvoie à son arrêt précédent rendu en la cause en date du 12 novembre 2019, invitant les parties à examiner l’instruction ONEm en matière de récupération d’allocations provisoires (RioDoc n° 061236/2). Celle-ci permet la limitation de la récupération d’allocations de chômage au montant des indemnités AMI lorsque le chômeur a eu gain de cause, et ce à certaines conditions.

L’ONEm estime que cette procédure ne devait pas être appliquée vu l’absence de bonne foi dans le chef de l’intéressée. En l’espèce, il y a eu cumul intentionnel d’allocations de chômage et d’indemnités de mutuelle.

Cette thèse n’est pas, selon la cour, confirmée par le dossier, aucune indemnisation dans le secteur AMI n’étant établie après le prononcé du jugement. La procédure s’est clôturée en 2005, le jugement étant favorable. Ce jugement fut communiqué à l’ONEm.

La cour constate que divers échanges sont intervenus à l’époque et que l’ONEm a continué à indemniser plus d’un an et demi après le prononcé. C’est donc de façon délibérée que ces paiements ont été effectués, la cour soulignant que l’ONEm était au fait, deux mois après le prononcé, de la décision intervenue, via l’organisme de paiement. Ces paiements sont dès lors intervenus alors que l’intéressée n’était pas apte au travail mais qu’elle n’était pas encore prise en charge par sa mutuelle.

La cour constate encore, dans les faits, que l’intervention de la mutuelle a été remboursée complétement à l’ONEm et qu’il n’est pas établi que le montant réclamé correspondrait à une différence entre les allocations de chômage et cette intervention.

Enfin, l’ONEm n’établit aucune fraude dans le chef de l’intéressée, non plus que la perception par elle d’indemnités d’assurance maladie en plus des allocations de chômage.

La cour souligne en conclusion qu’après avoir eu gain de cause, l’intéressée a communiqué le jugement à l’ONEm et n’est pas responsable du fait que le montant d’arriérés d’indemnités AMI serait inférieur aux allocations de chômage versées. Elle n’a pas laissé, par ailleurs, se prolonger la procédure plus que nécessaire. Elle est dès lors dans les conditions pour pouvoir bénéficier de la renonciation prévue par l’instruction de l’ONEm citée.

Enfin, la cour considère que les impressions d’écran et documents internes ne constituent pas la preuve d’un paiement effectif.

Intérêt de la décision

L’instruction RioDoc n° 061236/2 règle de manière claire la question de l’interdiction de cumul entre allocations de chômage et prestations AMI, sur le plan de la récupération des allocations octroyées provisoirement dès qu’une procédure judiciaire est introduite en contestation de la fin d’incapacité de travail. Celle-ci permet de limiter le montant de la récupération si l’intéressé obtient gain de cause.

Cette instruction prévoit que, dans l’hypothèse de la bonne foi du travailleur, le montant de la récupération est limité au brut des arriérés d’indemnités de maladie ou d’invalidité auxquelles il a droit. Quatre conditions sont réunies, étant que (i) le recours doit avoir été jugé fondé, (ii) la décision judiciaire a immédiatement été communiquée au bureau de chômage, (iii) le travailleur n’est pas responsable du fait que le montant des arriérés d’indemnités de maladie est inférieur à celui des allocations provisoires qu’il a perçues pendant la période en cause et (iv) le travailleur n’a pas laissé se prolonger la procédure judiciaire plus que nécessaire.

Cette instruction semble exiger, par son libellé, que soit établie la bonne foi et que soient réunies les quatre conditions ci-dessus. L’on peut s’interroger sur le contenu de la notion de bonne foi, si l’on considère que celle-ci n’est pas explicitée par les quatre conditions fixées dans l’instruction. Celles-ci relèvent en effet du comportement de bonne foi procédurale et de transparence. La première de ces conditions, étant que le recours doit avoir été considéré fondé, va par ailleurs de soi.

Signalons que la même instruction reprend également de manière synthétique la procédure de récupération.

En règle,

  • Si le montant des arriérés AMI est plus élevé que le montant des allocations de chômage, la mutuelle rembourse le montant total des allocations de chômage à l’ONEm en le prélevant sur les arriérés en cause.
  • Par contre, si ces arriérés d’indemnités AMI sont inférieurs au montant des allocations provisoires, la mutuelle rembourse une partie seulement du montant de ces allocations de chômage en retenant le montant total des arriérés d’indemnités de maladie ou d’invalidité auxquelles le travailleur a droit et ce dernier doit en principe rembourser le solde à l’ONEm.

L’instruction prévoit dès lors que le directeur du BR dispose cependant d’un pouvoir d’appréciation pour limiter dans une situation visée la récupération au montant brut des arriérés AMI. La référence est faite à l’article 169, alinéa 5, de l’arrêté royal organique, qui prévoit que le montant de la récupération peut être limité au montant brut des revenus dont le chômeur a bénéficié et qui n’étaient pas cumulables avec les allocations de chômage, notamment lorsqu’il prouve avoir perçu de bonne foi les allocations auxquelles il n’avait pas droit.

La notion de bonne foi au sens de l’article 169 a un contenu spécifique, qui, à notre sens, est explicité dans l’hypothèse des allocations provisoires perçues pendant la procédure judiciaire, par les conditions de l’instruction.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be