Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 mai 2020, R.G. 2019/AB/307
Mis en ligne le vendredi 29 janvier 2021
Cour du travail de Bruxelles, 7 mai 2020, R.G. 2019/AB/307
Terra Laboris
Dans un arrêt du 7 mai 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la question a été tranchée par un arrêt du 8 avril 2019 de la Cour de cassation : l’étranger en possession d’une attestation d’immatriculation remplit les conditions d’octroi pour bénéficier des prestations familiales garanties (condition de séjour).
Les faits
Une citoyenne de nationalité brésilienne est en Belgique depuis 2008. Après un premier mariage dont est issu un enfant, elle s’est remariée avec un citoyen belge. Ce dernier introduisit pour elle une demande de paiement des prestations familiales garanties, ce qui fut accordé pour la période de janvier à juillet 2016. Entre-temps, l’intéressée avait fait une demande de reconnaissance de droit au séjour et elle reçut une attestation d’immatriculation, accordée en tant que membre de la famille d’un citoyen européen. Cette attestation avait une durée de validité de six mois.
Ultérieurement, le bourgmestre de sa commune refusa une prolongation de séjour, divers documents n’ayant pas été communiqués. Un recours fut introduit devant le Conseil du Contentieux des Etrangers et l’intéressée reçut alors une Annexe 35 valable jusqu’au 28 février 2017. Ce document ne confère pas un droit au séjour sur le territoire mais autorise l’étranger à y rester dans l’attente de la décision du C.C.E.
Celle-ci intervint le 20 mars 2017, annulant la décision du bourgmestre de la commune de résidence. Une nouvelle attestation d’immatriculation fut octroyée, d’une durée de six mois, et, à l’expiration de cette période, une Carte F fut délivrée (carte de cinq ans, délivrée à un membre de la famille d’un citoyen européen).
C’est FAMIFED qui prit la décision d’octroyer les prestations familiales garanties du 1er janvier au 31 juillet 2016. Celles-ci furent refusées ensuite, mais le droit fut de nouveau reconnu par FAMIFED le 1er mars 2017.
Le V.U.T.G. (Vlaams Agentschap voor de Uitbetaling van Toelagen in het kader van het Gezinsbeleid) prit le relais et réclama le remboursement des prestations accordées pour la période du 1er janvier au 31 juillet 2016.
Une procédure fut introduite (l’intéressée déposant plusieurs requêtes) devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles et, dans le cadre de celle-ci, une demande reconventionnelle fut formée en vue de la restitution des prestations indûment payées.
Le jugement du tribunal
Par jugement du 18 mars 2019, le tribunal du travail déclara la demande originaire non fondée. Quant à la demande reconventionnelle, il prononça une réouverture des débats aux fins de permettre aux parties de s’expliquer sur l’application de l’article 17 de la Charte de l’assuré social.
Appel fut interjeté.
Dans le cadre de la procédure d’appel, le V.U.T.G. reprit l’instance.
L’arrêt de la cour
La cour résume en premier lieu la position du premier juge, qui est d’avoir refusé le droit aux prestations familiales garanties au motif que l’attestation d’immatriculation avait été accordée dans le cadre d’une demande de regroupement familial et qu’elle ne correspondait pas ainsi aux conditions légales, étant que l’étranger doit être admis ou autorisé au séjour ou à l’établissement en Belgique, conformément aux dispositions de la loi du 15 décembre 1980.
La cour reprend ensuite la position des parties, l’appelante considérant que le raisonnement du premier juge vaut, dans l’hypothèse d’étrangers ayant introduit une demande de régularisation sur la base des articles 9bis et 9ter de la loi du 15 décembre 1980, alors qu’elle n’est pas dans ce cas de figure, étant, vu son mariage avec un citoyen européen, en droit de recevoir une Annexe 19ter, qui ne contient aucune date de fin – raison pour laquelle la décision du bourgmestre a été annulée.
Le V.U.T.G., qui demande la confirmation du jugement, s’appuie sur une jurisprudence abondante, qui a exigé que l’étranger soit admis ou autorisé au séjour. Pour le V.U.T.G., dans l’hypothèse d’étrangers ayant introduit une demande sur pied de l’article 9bis ou 9ter, ceux-ci ne peuvent avoir droit aux prestations familiales garanties qu’à partir du moment où leur demande est jugée fondée. Avant cette décision, ils n’ont qu’un droit précaire au séjour, qui ne permet pas de bénéficier des prestations familiales garanties. Ce système vaut dans toutes les hypothèses et, notamment, pour les personnes ayant introduit une demande de regroupement familial avec un citoyen belge ou européen.
La cour en vient ensuite à l’examen du fond. Elle reprend les dispositions de la loi du 20 juillet 1971 ainsi que celles du 15 décembre 1980. Elle rappelle que la jurisprudence majoritaire avait, par le passé, admis la thèse défendue par le V.U.T.G. Cependant, la Cour de cassation a décidé autrement, dans son arrêt du 8 avril 2019 (Cass., 8 avril 2019, n° S.17.0086.F), sur conclusions conformes de l’Avocat général GENICOT, considérant que la détention d’un titre de séjour temporaire et précaire correspond aux conditions de la loi du 20 juillet 1971. Elle rejette, dès lors, en application de cette jurisprudence, la position du V.U.T.G.
Elle écarte également un argument de l’Agence, tiré de l’existence d’une discrimination entre deux catégories d’étrangers, étant que seraient mis sur pied d’égalité ceux qui ont été admis ou autorisés à un long séjour et ceux qui sont dans l’attente de l’issue de la demande introduite. S’appuyant sur un arrêt du Conseil d’Etat du 11 mai 2017 (C.E., 11 mai 2017, n° 238.170 – arrêt invoqué par analogie), la cour constate que le recours au C.C.E. avait un effet suspensif, le séjour de l’intéressée n’étant, pendant cette procédure, pas illégal.
Elle conclut dès lors que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, l’intéressée, quoique titulaire d’un droit au séjour précaire, remplissait les conditions légales pour prétendre aux prestations familiales garanties.
Intérêt de la décision
La question de l’ouverture du droit aux prestations familiales garanties eu égard à la nature du titre de séjour de l’étranger a fait débat ces dernières années.
Dans l’affaire tranchée par la Cour du travail de Bruxelles, il est fait référence à une jurisprudence majoritaire du début des années 2010, qui optait pour l’absence de droit tant que l’étranger n’était pas admis ou autorisé au séjour, ce qui excluait les titres de séjour précaire.
La Cour du travail de Bruxelles s’est positionnée autrement dans diverses décisions rendues dans le courant de l’année 2017 (C. trav. Bruxelles, 12 janvier 2017, R.G. 2015/AB/867, C. trav. Bruxelles, 14 août 2017, R.G. 2016/AB/19 et C. trav. Bruxelles, 19 octobre 2017, R.G. 2016/AB/302).
L’arrêt rendu le 14 août 2017 fit l’objet d’un pourvoi en cassation et c’est de cette décision qu’il est question dans l’arrêt commenté. En effet, le 8 avril 2019, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle considéra en substance que l’article 9ter permet à un étranger, dans les conditions qu’il prévoit, de demander l’autorisation de séjourner dans le Royaume, les cas où la demande doit être déclarée irrecevable étant prévus par la loi. La loi du 15 décembre 1980 ayant été modifiée par celle du 15 septembre 2006, un arrêté royal du 17 mai 2007 (fixant des modalités d’exécution de celle-ci) a prévu, en son article 7, alinéa 2, que le délégué du Ministre donne instruction à la Commune d’inscrire l’intéressé au registre des étrangers et de le mettre en possession d’une attestation d’immatriculation. Dès lors, il est autorisé à séjourner dans le Royaume, conformément aux dispositions de la loi du 15 décembre 1980, fût-ce de manière temporaire et précaire.