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Evaluation de l’incapacité permanente d’un accident du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 juin 2020, R.G. 2017/AB/814

Mis en ligne le vendredi 12 février 2021


Cour du travail de Bruxelles, 15 juin 2020, R.G. 2017/AB/814

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 juin 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’expert judiciaire a une mission d’avis, le pouvoir de juger appartenant au juge, et que, dans les critères d’évaluation des séquelles d’un accident, il ne peut être tenu compte du refus exprimé par la victime de subir une intervention chirurgicale.

Les faits

Suite à un accident du travail survenu à un ouvrier prestant en qualité d’intérimaire, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, saisi de l’action de la victime en fixation des séquelles, désigna un expert par jugement du 2 septembre 2014. Son rapport proposa de consolider à la date du 10 septembre 2015 (date rencontrant l’accord des parties). Le taux d’I.P.P. fut fixé à 80%, tenant compte des antécédents socio-économiques de l’intéressé. Les séquelles retenues, pour cet homme de 44 ans, étaient essentiellement un état de stress post-traumatique important, des séquelles de fractures multiples à la cheville et au tarse, une fracture d’autres os du pied avec nécessité d’une cure de pseudo-arthrose et, enfin, des lombalgies sur un état antérieur de discopathie. L’I.T.T. fut admise pendant près de 5 ans et des appareils d’orthopédie furent prévus, ainsi qu’une aide de tiers.

Devant le premier juge, l’intéressé a contesté le taux d’I.P.P., étant que l’évaluation de la capacité restante (20%) était irréaliste.

L’assureur-loi a contesté quant à lui l’aide de tiers ainsi que l’aménagement du véhicule (boîte de vitesses automatique), au motif qu’il ne conduisait plus.

Le tribunal a entériné le rapport d’expertise mais a retenu un taux d’incapacité permanente de 100%.

L’assureur-loi a interjeté appel du jugement sur deux points (l’I.P.T. et la boîte de vitesses).

La décision de la cour

La première observation faite par la cour est relative au rôle de l’expert dans la mission confiée par le juge, étant qu’il ne peut qu’opérer des constatations et donner un avis, la fixation des séquelles relevant de la compétence du juge (avec renvoi à un arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 1959, Pas., 1959, I, p. 961).

Elle retient ensuite que, pour conclure à un taux de 80%, l’expert a mentionné que la victime pourrait « faire preuve de résilience, reprendre une activité professionnelle adaptée à son rythme ».

La cour reprend alors l’argumentation de l’assureur-loi, selon laquelle une amputation serait de nature à réduire le dommage et que cette intervention constitue une obligation pour la victime. Elle rappelle le droit au respect de l’intégrité physique, qui implique que nul ne peut être contraint de subir une intervention chirurgicale. Un tel refus, même si l’intervention est susceptible d’améliorer la situation de la victime, ne peut être pris en considération dans le cadre de la réparation des séquelles, la cour renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 20 avril 2015 (C. trav. Bruxelles, 20 avril 2015, R.G. 2013/AB/452 et note M. JOURDAN). Elle souligne par ailleurs que la Cour de cassation a fixé invariablement les bases de l’évaluation des séquelles de l’accident.

Après avoir écarté cet argument, et avoir souligné, à propos du rapport de l’expert, que la notion de « résilience » est relative et ne peut être prise en considération pour l’évaluation d’une capacité de gain résiduelle, la cour poursuit en rappelant l’ensemble des pathologies de l’intéressé, qui connaît des limitations évidentes à sa mobilité et, également, des séquelles psychiques, pour lesquelles la prise de médicaments affecte en outre un travail manuel sans qualification particulière.

Le taux proposé par l’expert ne reflète dès lors pas les possibilités réelles et concrètes pour l’intéressé d’être engagé et, même s’il pourrait encore « exercer une activité minime », celle-ci n’est en l’espèce pas identifiée et ne peut correspondre à une réelle et concrète possibilité d’embauche.

La cour souligne enfin qu’il faut prendre celles-ci en compte concrètement et appréhender de façon réaliste le marché du travail, renvoyant à la doctrine de P. PALSTERMAN (P. PALSTERMAN, « L’incapacité de travail des travailleurs salariés dans le droit belge de la sécurité sociale : approche transversale », Chron. D. S., 2004, p. 317).

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Deux questions importantes sont abordées dans cet arrêt en ce qui concerne la fixation des séquelles dans le cadre de l’incapacité permanente.

La première concerne les rôles respectifs de l’expert et du juge, la cour rappelant à juste titre que le premier donne un avis et que le second fixe les séquelles. Il ne peut déléguer son pouvoir de juger.

Le second point est relatif à l’intervention chirurgicale dont question dans le cadre de la diminution des douleurs éprouvées par la victime. La jurisprudence est à cet égard constante pour retenir que, d’une part, il ne peut être imposé à une victime d’accident de subir une intervention chirurgicale, et ce vu le droit de tout individu au respect de son intégrité physique, et que, d’autre part, ce refus ne peut intervenir dans les critères d’évaluation des séquelles. La cour renvoie ici à un précédent arrêt du 20 avril 2015, rendu par un siège autrement composé (C. trav. Bruxelles, 20 avril 2015, R.G. 2013/AB/452 – précédemment commenté). L’on peut encore citer un arrêt précédent du 2 juin 2014 (C. trav. Bruxelles, 2 juin 2014, R.G. 2013/AB/841 – également précédemment commenté), qui a invoqué la loi du 22 avril 2002 relative aux droits du patient.

C’est dès lors très logiquement que la cour du travail s’est appuyée, pour l’évaluation des séquelles, sur les critères dégagés par la Cour de cassation, critères régulièrement suivis et auxquels ne peuvent être ajoutées d’autres considérations.


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