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Contrôle du motif du licenciement en cas de crédit-temps

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 août 2020, R.G. 2018/AB/121

Mis en ligne le vendredi 12 mars 2021


Cour du travail de Bruxelles, 4 août 2020, R.G. 2018/AB/121

Terra Laboris

Dans un arrêt du 4 août 2020, rappelant les principes régissant le contrôle judiciaire du motif de licenciement en cas de protection vu un crédit-temps, la Cour du travail de Bruxelles conclut que, une fois établis des motifs tirés de l’exécution du travail, il y a motif étranger au crédit-temps, et ce tant par sa nature que par son origine.

Les faits

Un contrat de formation professionnelle en entreprise est conclu entre l’Institution bruxelloise francophone pour la formation professionnelle, une travailleuse et une société. L’objectif est de lui permettre d’acquérir la qualification nécessaire pour occuper une fonction dans l’entreprise. Ceci se concrétise et elle signe un contrat de travail à durée indéterminée en février 2009. Il s’agit d’un travail de préparation de commandes, de réception des produits et d’emballage, etc.

En 2011, l’intéressée bénéficie d’un crédit-temps de cinq ans. Elle perçoit ainsi, outre l’allocation forfaitaire de l’ONEm, une rémunération horaire augmentée. En 2015, soit pendant ce crédit-temps, la société lui notifie son licenciement avec paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Lui est également annoncé qu’elle peut bénéficier d’un outplacement.

Celle-ci demande, conformément à la C.C.T. n° 109, les motifs de son licenciement et ceux-ci lui sont précisés dans le délai légal, s’agissant de griefs relatifs à sa manière de travailler (non-conformité de commandes, non-respect des procédures, problèmes d’attitude vis-à-vis des collègues). Ces griefs sont repris sur le document C4.

Elle sollicite ensuite paiement de l’indemnité de protection, faisant valoir qu’elle n’a jamais reçu de remarques pendant son occupation. Une procédure est introduite.

Le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rend son jugement le 26 juin 2017, déboutant la demanderesse. La société ayant de son côté introduit une demande reconventionnelle en dommages et intérêts, cette demande est également rejetée.

La travailleuse interjette appel.

La décision de la cour

La cour reprend brièvement le cadre légal, étant l’article 20, §§ 2 et 4, de la convention collective de travail n° 77bis du 19 décembre 2001. La protection contre le licenciement y est précisée comme étant que l’employeur ne peut faire aucun acte tendant à mettre unilatéralement fin à la relation de travail (sauf motif grave ou motif dont la nature et l’origine sont étrangères à la suspension du contrat, à la réduction des prestations de travail à mi-temps ou à la diminution de carrière ou de prestations à mi-temps). La sanction est le paiement d’une indemnité forfaitaire égale à la rémunération de six mois, sans préjudice d’indemnités dues au travailleur en cas de rupture de contrat.

La cour reprend ensuite l’arrêt de la Cour de cassation du 14 janvier 2008 sur la preuve, étant que c’est à l’employeur d’établir qu’il a résilié le contrat pour un motif grave ou pour un motif dont la nature et l’origine sont étrangères au crédit-temps.

Vient, après ce rappel des principes, l’examen des faits de la cause, les griefs invoqués par l’employeur étant de plusieurs ordres.

L’employeur établit, pour ce qui est des erreurs de commandes, la non-conformité de celles-ci par la production de mails en provenance de divers points de vente ainsi qu’une attestation du chef de production conforme à l’article 961/2 du Code judiciaire. Est également produite une autre attestation, non conforme, rédigée par le même chef de production mais à une époque où il n’était plus au service de la société. Pour la cour, le simple fait que celle-ci ne respecte pas le prescrit de l’article 961/2 ne peut en lui-même suffire à lui dénier une valeur probante, d’autant qu’elle concourt, avec les autres éléments, à fonder le grief.

Se pose, par ailleurs, la question de la force probante d’une autre attestation, émanant d’un ancien chef de production, celle-ci en faveur de la travailleuse. Pour la cour, dans la mesure où ce dernier, après avoir quitté l’entreprise, a ouvert un commerce concurrent, fait que son attestation doit être prise avec « une certaine prudence ». Par ailleurs, le contenu de celle-ci ne peut tempérer les griefs dûment constatés par ailleurs, la cour précisant qu’un travailleur peut commettre des manquements professionnels à un certain moment même s’il a travaillé sans problèmes pendant plusieurs années.

La réalité de ce seul motif fait que le texte de la C.C.T. est respecté. La nature et l’origine du licenciement sont étrangères à la suspension du contrat de travail et la cour considère superflu d’examiner les autres motifs invoqués.

Le jugement est dès lors confirmé sur ce point.

Il l’est également sur le rejet de la demande reconventionnelle de dommages et intérêts introduite pour action téméraire et vexatoire, demande confirmée en appel par la société. La cour rappelle le principe : une procédure peut revêtir un caractère téméraire ou vexatoire lorsque son auteur exerce son droit dans l’intention de nuire ou d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente, ce qui n’est pas le cas.

Pour ce qui est des dépens, chacune des parties succombant dans sa demande, la cour décide de condamner celles-ci à supporter leurs propres dépens d’appel. Cette solution avait déjà été retenue par le premier juge.

Intérêt de la décision

La protection contre le licenciement en matière de crédit-temps impose à l’employeur d’établir l’existence d’un motif dont la nature et l’origine sont étrangères à celui-ci. Vont ainsi entrer en ligne de compte l’ensemble des motifs généralement admis dans le cadre du contrôle judiciaire de la licéité de la rupture, étant ceux liés à l’entreprise (nécessités de fonctionnement) et ceux touchant la personne du travailleur (aptitude et conduite).

En l’espèce, sont visés des manquements professionnels concrétisés par des fautes apparemment régulières dans l’exercice de la tâche habituelle de la travailleuse.

Quelques éléments intéressants ont été précisés par la cour dans cet arrêt sur le plan de la preuve, notamment pour ce qui est de la force probante d’attestations conformes ou non à l’article 961/2 du Code judiciaire, ainsi que sur la fiabilité des témoignages. Il faut rappeler à cet égard que, si la question de la force probante de ces attestations est débattue, le crédit à apporter à leur contenu est de la compétence du juge du fond, qui exerce sur ces attestations un pouvoir souverain d’appréciation.

Pour ce qui est du crédit-temps lui-même, au regard de la preuve à apporter par l’employeur, l’on peut renvoyer à deux décisions de la Cour du travail de Bruxelles. Dans un arrêt du 13 janvier 2017 (C. trav. Bruxelles, 13 janvier 2017, R.G. 2015/AB/882), celle-ci a rappelé la jurisprudence de la Cour de cassation : dès lors que sont invoqués comme motif du licenciement des éléments négatifs dans le chef du travailleur, il faut que soit établi par l’employeur un lien causal entre les faits et le licenciement (Cass., 14 janvier 2008, n° S.07.0049.N). Ne peuvent valoir des faits datant de quatre ans avant la rupture.

De même, dans un arrêt précédent du 7 septembre 2015 (C. trav. Bruxelles, 7 septembre 2015, R.G. 2014/AB/645), elle a repris les exigences de preuve. En cas de licenciement intervenu alors que le travailleur bénéficie d’un crédit-temps, l’employeur doit établir les motifs qu’il invoque, ceci devant correspondre au libellé de l’article 20, § 2, de la C.C.T. n° 77bis, à savoir qu’il doit s’agir d’un motif dont la nature et l’origine sont étrangères à la cause de la protection. La preuve doit être apportée par lui conformément au prescrit de l’article 870 du Code judiciaire. Ainsi, à supposer même que des difficultés budgétaires soient invoquées (secteur public), le licenciement de l’intéressé survenu le lendemain de l’annonce de restrictions témoigne d’une précipitation suspecte, l’employeur n’établissant par ailleurs pas que le poste de l’intéressé était superflu, s’agissant d’une fonction technique d’huissier dans un musée.

Soulignons encore, sur le plan du calcul de l’indemnité de protection, que, dans le même arrêt du 13 janvier 2017, la Cour du travail de Bruxelles avait rappelé que le calcul de l’indemnité de protection doit se faire comme pour l’indemnité de protection de maternité. Il faut en conséquence prendre en compte les avantages acquis en vertu du contrat.


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