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Ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union européenne : durée du droit au séjour en vue de rechercher un emploi et conditions

Commentaire de C.J.U.E., 17 décembre 2020, Aff. n° C-710/19 (G. M. A. c/ ETAT BELGE), EU:C:2020:1037

Mis en ligne le vendredi 26 mars 2021


Cour de Justice de l’Union européenne, 17 décembre 2020, Aff. n° C-710/19 (G. M. A. c/ ETAT BELGE), EU:C:2020:1037

Terra Laboris

Dans un arrêt du 17 décembre 2020, saisie par le Conseil d’Etat belge de deux questions préjudicielles, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle l’objectif de l’article 45 T.F.U.E. et les conditions de la Directive n° 2004/38/CE, dans l’hypothèse où un ressortissant d’un autre Etat membre s’est enregistré en Belgique comme demandeur d’emploi : l’Etat est tenu de lui accorder un délai raisonnable en vue de lui permettre de prendre connaissance des offres d’emploi susceptibles de lui convenir et de prendre les mesures nécessaires aux fins d’être engagé. La Cour précise également la portée des obligations de l’intéressé et de l’Etat pendant cette période.

Les faits

Un ressortissant grec, demandeur d’emploi, introduit une demande d’attestation d’enregistrement, aux fins d’obtenir un droit de séjour de plus de trois mois. Cette demande est rejetée par l’Office des Etrangers, les conditions légales n’étant pas remplies, l’Office considérant que, d’après les documents produits, il ne résultait pas que l’intéressé avait une chance réelle d’être engagé sur le territoire. Il a ainsi reçu un ordre de quitter le territoire dans les trente jours.

Saisi par l’intéressé, le Conseil du Contentieux des Etrangers a rejeté son appel.

Un recours a été formé devant le Conseil d’Etat. Le requérant y fait valoir qu’en vertu de l’article 45 T.F.U.E., lu à la lumière de l’arrêt ANTONISSEN (C.J.U.E., 26 février 1991, Aff. n° C-292/89, THE QUEEN c/ IMMIGRATION APPEAL TRIBUNAL, ex parte ANTONISSEN), les Etats membres ont l’obligation d’accorder un « délai raisonnable » aux demandeurs d’emploi provenant d’un autre Etat membre pour leur permettre de prendre connaissance des offres d’emploi susceptibles de leur convenir et de prendre les mesures qu’il convient pour être engagés, délai qui ne pourrait en aucun cas être inférieur à six mois (renvoyant par analogie aux articles 7, § 3, ainsi que 11 et 16 de la Directive n° 2004/38/CE). Pendant la durée de ce délai, le demandeur d’emploi n’est pas tenu d’établir qu’il a des chances réelles de trouver un emploi.

Il expose également qu’après l’adoption de la décision de l’Office des Etrangers, il a été engagé par le Parlement européen (stagiaire). Le Conseil du Contentieux des Etrangers aurait, pour lui, violé les articles 15 et 31 de la Directive ainsi que 41 et 45 de la Charte des droits fondamentaux. Toutes les circonstances pertinentes permettant de statuer sur le droit de séjour d’un citoyen de l’Union doivent en effet être prises en compte. Tous les éléments portés à leur attention, même s’ils sont postérieurs à la décision en cause, auraient ainsi dû intervenir. Dès lors, la transposition en droit belge des articles 15 et 31 de la Directive (articles incorrectement transposés par l’article 39/2, § 2, de la loi du 15 décembre 1980) aurait dû être écartée.

Le Conseil d’Etat considère que la solution à donner au litige dépend de l’interprétation de ces dispositions (articles 15 et 31 de la Directive et 41 et 47 de la Charte).

Deux questions préjudicielles sont dès lors posées à la Cour de Justice.

Les questions préjudicielles

La première question concerne l’article 45 T.F.U.E. et porte sur l’obligation de l’Etat d’accorder un délai raisonnable à un chercheur d’emploi pour lui permettre de prendre connaissance des offres d’emploi susceptibles de lui convenir et prendre les mesures nécessaires aux fins d’être engagé, ainsi que sur l’obligation de cet Etat d’admettre que le délai ne peut en aucun cas être inférieur à six mois et que la présence du demandeur d’emploi est autorisée pendant ce délai, celui-ci ne devant pas apporter, pendant celui-ci, la preuve d’avoir une chance réelle d’être engagé.

La seconde question concerne les dispositions de la Directive et de la Charte ci-dessus, ainsi que le principe général de primauté du droit de l’Union et celui de l’effet utile des Directives. Il porte sur l’obligation pour les Etats de prendre en compte, dans le cadre d’un recours en annulation d’une décision comme en l’espèce, de nouveaux éléments intervenus postérieurement à la décision prise par les autorités nationales, dans la mesure où ceux-ci ont pu entraîner une modification de la situation de la personne, ayant une incidence sur ses droits en matière de séjour.

La décision de la Cour

Sur la première question

La Cour relève que la notion de « travailleur » au sens de l’article 45 T.F.U.E. a une portée autonome propre au droit de l’Union et ne peut faire l’objet d’une interprétation restrictive. Dans son arrêt SAINT PRIX (C.J.U.E., 19 juin 2014, Aff. n° C-507/12, SAINT PRIX c/ SECRETARY OF STATE FOR WORK AND PENSIONS), la Cour a relevé en particulier qu’une personne à la recherche d’un emploi a la qualité de « travailleur », ceci vu le principe de la libre circulation des travailleurs, qui fait partie des fondements de l’Union, et la nécessité d’interpréter largement les dispositions consacrant cette liberté.

Elle rappelle également l’arrêt ANTONISSEN invoqué par le requérant, qui a jugé que l’effet utile de l’article 45 T.F.U.E. est garanti si est accordé aux intéressés un délai raisonnable pour prendre connaissance, sur le territoire de l’Etat membre d’accueil, des offres d’emploi correspondant à leurs qualifications professionnelles et prendre, le cas échéant, les mesures aux fins d’être engagés. Sur la durée du délai, renvoyant aux règles contenues dans la Directive n° 2004/38, un citoyen de l’Union entré sur le territoire d’un Etat membre d’accueil pour y chercher un emploi bénéficie d’un droit de séjour à compter de la date de son enregistrement en cette qualité, conformément à l’article 14, § 4, sous b), de la Directive, ceci indépendamment de l’intention avec laquelle ce citoyen entre sur le territoire de l’Etat membre d’accueil. Si c’est avec l’intention d’y rechercher un emploi, le droit de séjour relève également, au cours des trois premiers mois, de l’article 6. En conséquence, pendant cette durée de trois mois, aucune condition autre que l’exigence d’être en possession d’un titre d’identité valide ne peut être imposée à ce citoyen.

Quant à la durée du délai, l’article 14, § 4, sous b), ne contient aucune indication de ce que devrait être le « délai raisonnable ». Partant du principe de l’effet utile à donner à l’article 45 T.F.U.E., un délai de six mois à partir de l’enregistrement n’apparaît pas insuffisant. La Cour renvoie ici non seulement à son arrêt ANTONISSEN, mais également à l’arrêt TAROLA (C.J.U.E., 11 avril 2019, Aff. n° C-483/17, TAROLA c/ MINISTER FOR SOCIAL PROTECTION).

En outre, le demandeur d’emploi ne peut faire l’objet d’une mesure d’éloignement s’il apporte la preuve qu’il continue à chercher un emploi et qu’il a des chances véritables d’être engagé, et ce même après l’écoulement du délai raisonnable. Il convient alors qu’il établisse qu’il « continue » à chercher un emploi. Ceci permet d’en déduire que, pendant le délai, l’Etat membre d’accueil peut exiger qu’il recherche un emploi, mais, pendant cette période, il ne peut exiger que l’intéressé démontre l’existence de chances réelles d’être engagé (considérant 44). Il a dès lors deux obligations après l’écoulement de ce délai raisonnable, étant d’apporter la preuve qu’il continue à chercher un emploi et qu’il a des chances réelles d’être engagé.

En l’espèce, l’intéressé devait, au moment de sa demande d’enregistrement comme demandeur d’emploi, disposer d’un délai raisonnable pendant lequel les autorités belges pouvaient uniquement lui imposer de démontrer qu’il était à la recherche d’un emploi. Or, l’Office des Etrangers a refusé un droit de séjour de plus de trois mois au motif qu’il n’établissait pas qu’il avait une chance réelle d’être engagé. La législation belge n’est dès lors pas conforme à l’article 45 T.F.U.E., non plus qu’à l’article 14, § 4, sous b), de la Directive n° 2004/38.

Sur la seconde question

Vu la réponse apportée à la première question, la Cour estime ne pas devoir répondre à la seconde.

En conclusion

La Cour juge que les dispositions en cause doivent être interprétées en ce sens qu’un Etat membre d’accueil est tenu d’accorder un délai raisonnable à un citoyen de l’Union, qui commence à courir à partir du moment où ce citoyen s’est enregistré en tant que demandeur d’emploi, en vue de lui permettre de prendre connaissance des offres d’emploi susceptibles de lui convenir et de prendre les mesures nécessaires aux fins d’être engagé. Pendant ce délai, l’Etat d’accueil peut exiger qu’il apporte la preuve qu’il est à la recherche d’un emploi, mais ce n’est qu’après l’écoulement dudit délai que l’Etat membre peut exiger en outre qu’il établisse, outre qu’il continue à rechercher un emploi, qu’il a des chances réelles d’être engagé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est important, d’une part dans la jurisprudence de la Cour de Justice et de l’autre sur le plan du droit belge. Aux termes de l’article 50 de l’arrêté royal d’exécution du 8 octobre 1981, lors de la demande ou au plus tard dans les trois mois après la demande, le citoyen de l’Union, demandeur d’emploi, doit produire comme documents une inscription au service de l’emploi compétent ou des copies de lettres de candidature et la preuve d’avoir une chance réelle d’être engagé compte tenu de sa situation personnelle, notamment des diplômes qu’il a obtenus, des éventuelles formations professionnelles qu’il a suivies ou prévues et de la durée de la période de chômage.

La condition relative à « une chance réelle d’être engagé » est contraire au droit européen.

Dans son arrêt, la Cour a également renvoyé à l’arrêt TAROLA du 11 avril 2019. Elle a jugé dans cette affaire qu’un ressortissant d’un Etat membre qui a exercé son droit à la libre circulation et qui a obtenu le statut de travailleur dans un autre Etat membre (au sens de la Directive) en raison de l’activité qu’il y a exercée pendant une période de deux semaines, sur la base autre qu’un contrat de travail à durée indéterminée, avant de rester au chômage par inadvertance, conserve le statut de travailleur pendant une période supplémentaire d’au moins six mois au sens de ces dispositions, à condition qu’il se soit inscrit comme chômeur auprès du bureau de l’emploi compétent.


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