Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 23 novembre 2020, R.G. 19/2.479/A
Mis en ligne le vendredi 26 mars 2021
Tribunal du travail de Liège (division Liège), 23 novembre 2020, R.G. 19/2.479/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 20 novembre 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Liège), s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, conclut qu’est une maladie professionnelle la conséquence d’un traitement subi dans le cadre de l’exercice de la profession, s’agissant d’une puéricultrice qui a développé une pathologie suite à la prise d’un traitement lié aux effets d’un test pratiqué lors d’une visite médicale demandée par l’employeur (public).
Les faits
Une puéricultrice est occupée dans une crèche communale. Elle introduit une demande d’indemnisation auprès de FEDRIS pour une pathologie reprise sur la liste des maladies professionnelles. Le code visé (1.404.01) se rapporte à la tuberculose contractée par des personnes travaillant dans des institutions de soins, le secteur des soins de santé, l’assistance à domicile, la recherche scientifique, ainsi que divers autres services, essentiellement de nature sociale.
Suite à l’avis de FEDRIS, l’administration communale rejette la demande, statuant dans le cadre des maladies hors liste. Il est fait grief à la travailleuse de ne pas démontrer un lien causal, déterminant et direct entre la maladie et l’exercice de la profession.
Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège). L’intéressée sollicite, avant dire droit, la désignation d’un expert afin de donner son avis dans les deux systèmes (liste et hors liste). FEDRIS intervient volontairement à la cause.
Lors du jugement, la Commune, régulièrement appelée, fait défaut. Le litige se meut donc entre la demanderesse et FEDRIS.
L’Agence fait valoir essentiellement, à l’appui de sa position, que la présomption d’exposition au risque dans le secteur public est illégale. L’Agence invite le tribunal à statuer en renvoyant aux principes du secteur privé. A titre subsidiaire, elle sollicite que deux questions soient posées à la Cour constitutionnelle. Il s’agit (première question) essentiellement d’interroger l’habilitation donnée au Roi, qui a institué la présomption et a, en conséquence, abouti à un traitement différent dans les deux secteurs (public et privé) et (seconde question) d’examiner la différence de traitement entre les deux catégories de travailleurs (secteur public et secteur privé) du fait que la notion d’exposition au risque est différente.
La décision du tribunal
Le tribunal examine successivement l’atteinte à la santé, la question de l’exposition au risque professionnel et, enfin, le lien causal.
Sur la notion de maladie professionnelle, il relève que l’article 2, alinéa 6, de la loi du 3 juillet 1967 renvoie à celles reconnues comme telles dans le secteur privé (loi coordonnée le 3 juin 1970), renvoi également fait dans l’arrêté royal applicable au secteur, étant celui du 21 janvier 1993, qui concerne certains membres du personnel appartenant aux administrations provinciales et locales. Le régime de la reconnaissance (articles 30 et 30bis de la loi coordonnée) est dès lors applicable au secteur public.
En l’espèce, la maladie dont souffre l’intéressée est admise par FEDRIS, cette atteinte n’étant en conséquence pas contestée. Il s’agit de pathologies (lésions hépatiques graves et polyneuropathie) survenues suite à l’absorption d’un antibiotique (Nicotibine 300). L’intéressée a été convoquée à une visite médicale et a réagi à l’intradermo. Elle a dès lors été invitée par son employeur à consulter un pneumologue et cet antibiotique a été prescrit par celui-ci afin d’anéantir une bactérie. La puéricultrice ne souffre cependant pas de tuberculose. Le tribunal en conclut que sa maladie ne peut être examinée dans le cadre de la liste mais uniquement dans le régime hors liste.
Il passe, dès lors, au rappel des principes applicables dans le secteur public, renvoyant notamment aux deux derniers arrêts de la Cour de cassation sur la question (Cass., 4 avril 2016, n° S.14.0039.F et Cass., 10 décembre 2018, n° S.18.0001.F). Il cite également, à propos du premier de ces deux arrêts, le commentaire fait en doctrine (B. GRAULCH et S. REMOUCHAMPS, « Condition d’exposition au risque dans le secteur public : la référence (traditionnelle) à l’article 32 des lois coordonnées n’a pas lieu d’être », www.terralaboris.be). Il s’en déduit que la légalité de la présomption n’a pas été remise en cause par la Cour de cassation et que le travailleur du secteur public qui établit la réalité d’une maladie professionnelle, qu’elle soit reprise dans la liste ou non, bénéficie d’une présomption réfragable d’exposition.
Cette présomption peut être renversée par le défendeur, qui doit démontrer que le demandeur n’a pas été exposé à ce risque, sachant qu’il s’agit d’une exposition qui doit être plus grande que celle subie par la population en général. Renvoyant également à la doctrine (P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, Larcier, 3e éd., 2015, p. 310), le tribunal souligne que la preuve d’absence d’exposition au risque est plus rigoureuse que celle qui consiste à établir qu’il n’est pas certain qu’il y a eu une exposition à celui-ci. Cette preuve contraire ne doit pas être absolue mais doit présenter un haut degré de vraisemblance.
Sur l’habilitation plus précisément, le tribunal renvoie à un autre commentaire de l’arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2018 (A. YERNAUX, « La présomption d’exposition au risque professionnel dans le régime d’indemnisation des maladies professionnelles du secteur public – commentaire de Cass., 10 décembre 2018 », R.D.S., 2019/2, pp. 361 et s.) pour conclure que le législateur a entendu confier au Roi une habilitation large, lui permettant de déterminer les conditions dans lesquelles les lois du 3 juin 1970 seraient applicables au secteur public et qu’aucune disposition légale n’interdit au Roi d’ériger des présomptions spécifiques aux régimes pour lesquels il est habilité à légiférer. Il n’y a dès lors pas excès de pouvoir.
Dans son argumentation, l’Agence fait également valoir l’existence d’une discrimination entre le secteur public et le secteur privé. A cet égard, renvoyant à divers arrêts de la Cour constitutionnelle (dont C. const., 9 août 2012, n° 102/2012), le tribunal estime que la différence de traitement est justifiée et raisonnable. Dans le secteur public en effet, l’employeur est responsable de la limitation du risque et en subit les éventuelles conséquences, puisqu’il indemnise celui-ci, au contraire du secteur privé.
En l’espèce, il n’y a pas de preuve d’une absence d’exposition au risque et le tribunal poursuit son examen sur le plan du lien de causalité. Ici, sont intervenus divers arrêts de la Cour de cassation, étant rappelé l’arrêt du 2 février 1998 (Cass., 2 février 1998, n° S.97.0109.N) ainsi que divers arrêts de la Cour du travail de Liège, toutes décisions portant sur la notion de cause déterminante et directe. Il appartient à la demanderesse, en application des principes dégagés en jurisprudence, de démontrer que l’exercice de l’activité de puéricultrice est un facteur qui, parmi d’autres, a joué un rôle décisif et sûr, sans cependant être prépondérant ou exclusif, dans la survenance ou le développement de la maladie. Ceci est le cas en l’espèce, puisque, sans l’exercice de la profession, l’intéressée n’aurait pas pris le traitement concerné et n’aurait dès lors pas développé la maladie en cause.
La relation causale est ainsi établie et le tribunal désigne, en conséquence, un expert.
Intérêt de la décision
C’est une nouvelle fois le rappel des importants arrêts rendus par la Cour de cassation sur la notion de cause déterminante et directe qui est au cœur de ce jugement, étant l’arrêt du 4 avril 2016 d’une part (concernant une pathologie de la liste et la Cour de cassation précisant dans sa décision que l’article 32 des lois coordonnées du 3 juin 1970 ne sont pas applicables au secteur public) et celui du 10 décembre 2018 (où la Cour a précisé que l’application de la présomption d’exposition vaut tant pour les maladies hors liste que pour celles de la liste) de l’autre.
Pour ce qui est de la cause déterminante et directe, le tribunal renvoie aux fondements, étant l’arrêt de la Cour de cassation du 2 février 1998. Son enseignement a été rappelé, quasi-textuellement, dans un arrêt très récent, rendu par la Cour le 22 juin 2020 (Cass., 22 juin 2020, n° S.18.0009.F), où celle-ci, confirmant sa jurisprudence sur la question, a inclus dans sa décision un léger ajout, étant que la victime (ou l’ayant droit) ne doit pas établir l’importance de l’influence exercée par la prédisposition et « notamment que cette influence est moindre que celle de cet exercice ».