Terralaboris asbl

Accident sur le parking de l’employeur : accident du travail ou accident sur le chemin du travail ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 3 septembre 2020, R.G. 2019/AN/104

Mis en ligne le lundi 12 avril 2021


Cour du travail de Liège (division Namur), 3 septembre 2020, R.G. 2019/AN/104

Terra Laboris

Dans un arrêt du 3 septembre 2020, la Cour du travail de Liège (division Namur) admet que constitue un accident sur le chemin du travail celui survenu à une employée d’un hôpital, à la sortie de son travail, alors qu’elle se trouvait sur le parking, la liberté de la travailleuse n’étant plus limitée, vu qu’elle ne se trouvait plus sous l’autorité de l’employeur.

Les faits

Une employée d’une institution hospitalière fait une déclaration d’accident, décrivant celui-ci comme une agression. Les faits sont, selon elle, qu’elle a été agressée et menacée, ainsi que son mari, par les gardiens de la clinique qui l’occupe. A sa sortie du travail, ces gardiens ont immobilisé le véhicule, ouvert les portières pour les faire sortir et les ont poursuivis. L’événement soudain est ainsi une agression, la lésion étant un choc consécutif à celle-ci. L’intéressée a été en incapacité temporaire immédiatement.

Il résulte par ailleurs du dossier que la police locale a été appelée vu la présence à l’intérieur du bâtiment d’un homme décrit comme « incontrôlable ». Il s’agit du mari, et ce après l’altercation qui avait débuté sur le parking devant l’entrée de l’hôpital avec les gardes. Le mari a été entendu et un procès-verbal a été rédigé à son encontre pour menaces.

L’assureur refuse son intervention, au motif de la tardiveté de la consultation du médecin (étant trois jours après les faits – ceux-ci étant survenus le vendredi et la consultation datant du lundi suivant) et vu que la déclaration à l’employeur n’était intervenue que six semaines plus tard.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur), qui déclare la demande non fondée, par jugement du 4 juin 2019.

L’intéressée est appelante devant la cour.

La position des parties devant la cour

L’appelante considère, sur le plan des faits, que l’agression des gardiens était délibérée, ceux-ci harcelant régulièrement son mari. Elle expose être rentrée dans les locaux de la clinique pour se mettre à l’abri et y a rencontré la médiatrice de l’établissement. Elle a subi un choc psychologique et estime que ceci constitue un accident sur le chemin du travail.

L’assureur nie l’agression par les vigiles mais attribue l’incident au mari (agressif et agité). Les faits s’étant par ailleurs déroulés sur le parking de l’employeur (puis au sein de l’institution hospitalière elle-même), il n’y a pas chemin du travail. Subsidiairement, l’assureur conteste l’accident du travail au motif que la preuve certaine n’est pas rapportée vu qu’elle ne peut résulter des seules déclarations de la victime. Il estime que l’intéressée n’a subi ni agression ni menaces.

La décision de la cour

La cour reprend les deux présomptions légales de la loi du 10 avril 1971. L’article 7, alinéa 2, énonce que l’accident survenu dans le cours de l’exercice des fonctions est présumé jusqu’à preuve du contraire survenu par le fait de cet exercice et l’article 9 contient la présomption de causalité, étant que, dès que sont établis une lésion et un événement soudain, la lésion est présumée jusqu’à preuve du contraire trouver son origine dans un accident.

Il y a donc, à charge de la victime, trois éléments de preuve et la cour rappelle que cette preuve doit être certaine. Dès lors que la victime a satisfait à son obligation, les présomptions légales jouent en sa faveur.

La cour reprend ensuite la définition de l’événement soudain : c’est un élément multiforme et complexe, soudain, qui peut être épinglé, qui ne doit pas nécessairement se distinguer de l’exécution normale de la tâche journalière et qui est susceptible d’avoir engendré la lésion.

Elle s’attache ensuite à la question de l’exécution du contrat. Elle rappelle qu’il s’agit d’une notion large, dénotant la volonté du législateur de considérer que le contrat est la source de diverses obligations, parmi lesquelles celle de travailler n’est qu’une parmi d’autres. Le critère est dès lors de déterminer si le travailleur se trouvait sous l’autorité de l’employeur, c’est-à-dire dans les temps et lieu où celle-ci s’exerce. La cour rappelle que cette autorité peut n’être que virtuelle, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 3 octobre 1983 (Cass., 3 octobre 1983, n° 6862) ainsi qu’à celui du 26 septembre 1989 (Cass., 26 septembre 1989, n° 2933 ; 2991), ce dernier ayant énoncé que l’autorité dure tant que la liberté personnelle du travailleur est limitée du fait de l’exécution du contrat. Il faut dès lors distinguer l’exécution du contrat avec l’exécution du travail lui-même.

La survenance de l’accident par le fait de cette exécution est également une notion large et la cour rappelle ici qu’il en est question dès que l’accident est la réalisation d’un risque auquel la victime est exposée soit en raison de son activité professionnelle, soit en considération du milieu naturel, technique ou humain dans lequel elle se trouve placée. Le fait du travail est tout événement que le milieu du travail a rendu possible (8e feuillet, point 18).

En l’espèce, les faits se sont produits après la fin du travail, l’employée attendant sur le parking devant l’hôpital son mari venu la chercher en voiture. Elle est montée dans la voiture et l’incident a eu lieu. Dès lors que les prestations de travail étaient terminées, vu l’horaire de travail, et que l’intéressée se dirigeait vers son domicile, il n’y avait plus autorité de l’employeur et le cours de l’exécution des fonctions était lui-même expiré. L’intéressée était, après la fin de l’exécution de son travail, sur le parking et, ensuite, dans l’entrée de l’hôpital, soit en des lieux accessibles au public. L’entrée de l’hôpital était d’ailleurs située sur le trajet normal que l’intéressée devait parcourir pour rentrer chez elle à partir du lieu d’exécution de son travail. En outre, il n’y a eu aucune interruption du trajet, sauf une interruption insignifiante (étant les quelques instants pendant lesquels elle a attendu l’arrivée de son mari). Il y a dès lors chemin du travail au sens légal.

Pour ce qui est de l’événement soudain, la cour considère que l’altercation visée a bien eu lieu, ceci ressortant non seulement des procès-verbaux de la police mais également de diverses auditions. Celle-ci était sérieuse et s’est déroulée en présence immédiate de l’intéressée, qui est restée à proximité de son mari. Ces faits sont constitutifs de l’événement soudain requis, pouvant être épinglés, c’est-à-dire décrits avec suffisamment de précision et identifiés dans le temps et dans l’espace. Le fait que l’intéressée n’ait pas été menacée ou agressée personnellement est indifférent.

La cour rappelle à cet égard que le seul fait d’être témoin direct d’une altercation sérieuse mettant en cause un proche est constitutif d’un événement soudain. En outre, elle a joué un rôle dans les faits, dans la mesure où elle a tenté de calmer son époux. Le fait que ce dernier ait eu des mauvaises relations avec le service du gardiennage ne remet pas en cause le caractère d’événement soudain des faits intervenus.

L’événement soudain est dès lors établi, ainsi que la lésion, l’intéressée ayant été prise en charge sur le plan psychologique pendant plusieurs mois et ayant été en incapacité de travail.

La cour réforme le jugement et désigne un expert aux fins de donner un avis sur les séquelles de l’accident. Conformément au mécanisme légal, la cour lui demande d’émettre une opinion motivée sur la question de savoir si, avec la plus grande certitude que permettent les connaissances médicales, il peut être raisonnablement exclu que les lésions présentées puissent trouver leur origine dans l’événement soudain ou que cet événement ait pu aggraver un état antérieur préexistant (14e feuillet, point 3, de la mission) et, en cas de réponse négative (étant qu’il ne peut être raisonnablement exclu que les lésions ou l’aggravation de lésions antérieures trouvent leur cause dans les faits décrits), de dire si ces lésions ont entraîné une incapacité temporaire de travail et une incapacité permanente (14e feuillet, point 4, de la mission).

Intérêt de la décision

Après un rappel synthétique du mécanisme probatoire, qui reprend d’abord les éléments de preuve à la charge de la victime et, ensuite, le jeu des présomptions légales, la cour du travail donne la solution à une question essentielle : s’agit-il d’un accident du travail ou d’un accident sur le chemin du travail ?

La distinction est ici d’importance, dans la mesure où la présomption d’exécution de l’article 7 de la loi ne trouve pas à s’appliquer en cas d’accident sur le chemin du travail. Elle permettrait, par son renversement, d’établir que, même si l’événement soudain est admis (ainsi que la lésion), l’accident n’est pas survenu par le fait du contrat.

En l’espèce, même si l’institution hospitalière est le lieu d’exécution du travail de la victime, elle a perdu cette qualité dès que cette dernière n’a plus à y exécuter une obligation de son contrat. La cour a judicieusement relevé que, si l’employée est retournée à l’intérieur des bâtiments pour s’y réfugier, il s’agit de lieux accessibles au public, tout comme le parking d’ailleurs. Dans cet espace et à ce moment, la liberté de la travailleuse n’était pas entravée par l’autorité de son employeur.

Les faits sont dès lors constitutifs d’un accident indemnisable dans le cadre de la loi du 10 avril 1971, la avril cour ayant, pour ce qui est de l’événement soudain, judicieusement rappelé que le fait d’être témoin d’un fait choquant, de menaces, etc. (ainsi d’un hold-up, de faits de violence, …) est un événement soudain et que n’est pas exigé une agression directe ou un contact physique.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be