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Harcèlement au travail : obligations de l’employeur lors de la remise au travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 décembre 2020, R.G. 2017/AB/959

Mis en ligne le mardi 13 avril 2021


Cour du travail de Bruxelles, 8 décembre 2020, R.G. 2017/AB/959

Dans un arrêt du 8 décembre 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les obligations de l’employeur dans le cadre de la remise au travail de travailleurs qui ont déclaré avoir été l’objet de violences et/ou de harcèlement moral ou sexuel au travail.

Les faits

Une employée, occupée dans une maison de quartier de la Région de Bruxelles, se retrouve en incapacité de travail, et ce suite à des menaces et intimidations de la part d’une personne tierce à l’institution où elle est occupée. Il s’agit d’un « ancien jeune », qui a bénéficié d’un encadrement assuré par l’ASBL et qui, quoique extérieur à celle-ci, intervient régulièrement dans le règlement de conflits, discussions, etc.

L’intéressée entreprend, pendant sa maladie, d’obtenir de son employeur que des mesures appropriées soient prises lorsqu’elle reprendra le travail. Elle refuse de réintégrer, en l’état, son poste de travail tant que des mesures spécifiques ne sont pas prises.

Le médecin-traitant délivre un certificat médical (les faits se déroulant en 2014), précisant que l’intéressée est actuellement apte au travail mais inapte pour cause de force majeure à reprendre son travail dans cette institution en tant que coordinatrice, et ce pour une période de quatre mois.

Elle est vue par le conseiller en prévention-médecin du travail (SEPPT) et celui-ci considère qu’elle est inapte définitivement. L’employeur établit un C4 pour force majeure invoquée par le travailleur.

L’employée conteste la rupture et introduit une procédure devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, demandant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis ainsi que la réparation d’un dommage moral et matériel.

Le tribunal statue par jugement du 1er mars 2017, faisant droit à la demande de paiement de l’indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’aux dommages et intérêts.

Appel est interjeté par l’institution.

La décision de la cour

La cour reprend les principes alors applicables en matière de rupture du contrat de travail pour cause de force majeure médicale. Elle renvoie, pour son examen, à l’arrêté royal du 28 mai 2003 et notamment aux conditions dans lesquelles le conseiller en prévention-médecin du travail pouvait à l’époque déclarer un travailleur définitivement inapte (articles 48 à 71 du texte).

Elle rappelle également que, dans divers arrêts, la Cour de cassation a considéré que, si l’employeur invoque à tort la fin du contrat pour force majeure, le travailleur peut considérer ce fait comme une rupture irrégulière du contrat (renvoyant notamment à Cass., 19 mai 2008, n° S.07.0068.N et Cass., 10 mars 2014, n° S.12.0019.N), la partie qui a constaté unilatéralement la rupture du contrat devant prouver l’existence de la force majeure invoquée à son appui, conformément aux articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, qui reprennent les principes en matière de preuve. Celle-ci peut être apportée par toute voie de droit (avec renvoi à Cass., 13 mars 1989, n° 6505).

En conclusion de son examen et vu les principes applicables, la cour conclut – comme le premier juge – que l’obstacle constitué par le risque d’agression ne présentait aucun caractère définitif ou irréversible, dans la mesure où il dépendait essentiellement du comportement d’un individu, dont aucun élément objectif du dossier ne permet d’ailleurs de considérer qu’il était lui-même définitif et irréversible. La cour conclut que l’institution ne rapportait nullement la preuve de ce que la rupture du contrat de travail était intervenue pour une force majeure avérée. Elle condamne dès lors celle-ci au paiement de l’indemnité compensatoire de préavis.

Le point relatif à la demande de condamnation en vue de la réparation d’un dommage moral fait également l’objet d’un examen approfondi, demande fondée sur la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail. La cour rappelle que les dispositions relatives aux comportements abusifs (violence et harcèlement) concernent non seulement les employeurs et travailleurs et les personnes assimilées, mais également les personnes, autres que ces dernières, qui entrent en contact avec les travailleurs lors de l’exécution de leur travail. Toutes sont tenues de s’abstenir de tout acte de violence ou de harcèlement au travail.

Il s’agit notamment de protéger un travailleur contre les comportements abusifs répréhensibles causés par un tiers sur le lieu du travail, et la cour renvoie ici aux travaux préparatoires, qui mentionnent expressément qu’il s’agit de protéger tous les travailleurs contre le harcèlement ou la violence, peu importe que l’auteur soit un collègue ou un tiers (Doc. parl., sess. ord., 2013-2014, n° 53 3101/001).

L’employeur a des obligations, dans ce cadre, étant de prendre les mesures nécessaires pour promouvoir le bien-être. Entrent dans cette notion de bien-être l’ensemble des facteurs concernant les conditions dans lesquelles le travail est effectué. Si l’employeur est informé d’actes de harcèlement au travail, il est tenu de prendre les mesures appropriées telles que prévues à l’article 32septies de la loi. Il doit également, en vertu de l’article 32quater, alinéa 3, 2°, de celle-ci, déterminer les procédures d’application quand de tels faits lui sont signalés, celles-ci ayant trait à l’accueil et au conseil. Ces procédures concernent la remise au travail de ces travailleurs et leur accompagnement lors de celle-ci.

Sur le plan de la sanction légale, les manquements de l’employeur peuvent faire l’objet d’une indemnisation, dans la mesure où la preuve d’une faute, du dommage subi et du lien de causalité est apportée par le travailleur.

En l’espèce, la cour retient que les plaintes de l’intéressée étaient pertinentes et que l’employeur n’a mis en place aucune procédure interne (formelle ou informelle), constatant, par ailleurs, qu’il n’existe au sein de l’association ni conseiller en prévention spécialisé dans les aspects psychosociaux ni personne de confiance.

L’ASBL est, vu les éléments du dossier, restée en défaut de prendre structurellement les mesures qui s’imposaient en son sein, aux fins de remédier, prévenir et gérer les risques psychosociaux et/ou de violence et de harcèlement au travail. Elle a en outre manqué à son obligation d’accueil, la cour rappelant que des conseils étaient légalement dus à la travailleuse, tels que invitation à se mettre en rapport avec la personne de confiance et/ou conseiller en prévention et appel à un centre spécialisé en vue de recevoir une éventuelle aide psychologique. Elle conclut que l’impossibilité pour l’intéressée de reprendre son travail pendant plusieurs mois résulte essentiellement des manquements graves de l’employeur à ses obligations légales en matière de gestion de risques psychosociaux en général et de faits de violence et harcèlement en particulier. L’ensemble des manquements relevés constitue des fautes au sens de l’article 1382 du Code civil et la responsabilité de l’institution est ainsi avérée. La cour confirme également le quantum de la réparation, qui est de 5.000 euros bruts ex aequo et bono.

Intérêt de la décision

Les deux points tranchés par la Cour du travail de Bruxelles dans cet arrêt sont des aspects complémentaires de la réparation d’une même situation.

Le premier, relatif à la force majeure, ne s’analyserait plus de la même manière si les faits étaient survenus depuis l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 28 octobre 2016. La matière a été modifiée et figure actuellement dans le Livre Ier, titre 4, chapitre VI du Code du bien-être au travail, étant les mesures relatives au trajet de réintégration du travailleur qui ne peut plus exercer le travail convenu temporairement ou définitivement. La sanction de l’absence de force majeure définitive reste cependant inchangée.

La solution dégagée par la cour quant aux obligations de l’employeur dans le cadre du bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail reste d’actualité, s’agissant d’obligations en matière de risques psychosociaux et/ou de violence et de harcèlement au travail. La cour fait ici application des obligations figurant à l’article 32quater, alinéa 1, 2°, de la loi, selon lequel l’employeur est tenu de déterminer, en application des principes généraux de prévention, les mesures devant être prises pour prévenir la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail. Ceci doit se faire sur la base d’une analyse des risques et en tenant compte de la nature des activités et de la taille de l’entreprise. Ces mesures portent notamment sur les conditions de la remise au travail des travailleurs qui ont déclaré avoir été l’objet de violence, de harcèlement moral ou sexuel au travail ainsi que sur l’accompagnement de ces personnes à l’occasion de leur remise au travail.

Un manquement à ces obligations constitue une faute, entraînant l’obligation de réparation, conformément aux principes généraux de la responsabilité civile.


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