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Handicap et discrimination dans les relations de travail

Commentaire de Prés. Trib. trav. Liège (div. Liège), 17 septembre 2020, R.F. 20/16/C

Mis en ligne le jeudi 29 avril 2021


Président du Tribunal du travail de Liège (division Liège), 17 septembre 2020, R.F. 20/16/C

Terra Laboris

Par ordonnance du 17 septembre 2020, le Président du Tribunal du travail de Liège (division Liège) ordonne la cessation d’actes de discrimination fondée sur un handicap, l’Etat belge (employeur) étant tenu de fournir à l’intéressée une formation adaptée afin de pouvoir prendre les fonctions pour lesquelles elle est lauréate.

Les faits

Un agent statutaire du SPF Finances souffre d’un handicap de naissance (atrophie partielle de la main gauche). En décembre 2017, elle postule pour une fonction au service des douanes, candidature qui ne sera pas retenue au motif qu’un autre candidat a été sélectionné, « répondant mieux au profil exigé ».

Un courrier rectificatif intervient quelques jours plus tard, signalant qu’elle a bien été sélectionnée. Des échanges interviennent aux fins d’obtenir les avis de sécurité et les badges d’identification et la procédure suit son cours.

Cependant, au motif que le risque OCAM était maintenu à 3 au sein des divers aéroports de Belgique, un courrier électronique lui est envoyé de la part d’un responsable de la gestion du personnel, précisant qu’une formation ne pouvait lui être donnée en rapport avec les exigences sécuritaires et que sa sécurité ne pouvait être garantie. Elle ne pouvait dès lors être affectée à la fonction.

Après un échange avec son organisation syndicale, le SPF Finances a maintenu sa position, précisant que tous les agents devaient disposer d’un armement léger et que l’intéressée devrait pouvoir démontrer ses capacités à utiliser correctement celui-ci (gilet pare-balles, pepper spray, menottes et matraque télescopique).

Elle fut convoquée à un examen médical, dont la conclusion, selon le médecin du travail, était que, médicalement, rien ne l’empêchait d’exercer la fonction. Il précisait que, le handicap étant congénital, l’intéressée avait développé les attitudes nécessaires tout au long de sa vie pour compenser le manque de ses doigts, qu’il conviendrait qu’elle suive la formation pour la fonction et que l’avis du formateur puisse être connu.

Le SPF Finances confirma alors sa position, selon laquelle la formation comprenait de nombreuses techniques utilisant absolument l’usage des deux mains sans limitation (menottage, fouille corporelle, techniques spray, etc.) et qu’il était impossible d’y participer avec une limitation. L’intéressée ne put dès lors pas suivre celle-ci et ne put davantage prendre place dans la fonction pour laquelle elle avait été retenue.

Cet écartement discriminatoire étant directement lié à son handicap, elle se tourna vers UNIA, à qui elle exposa la situation.

Une action en cessation fut introduite par requête du 21 février 2020.

La décision du président du tribunal

Le président du tribunal rappelle en premier lieu que la procédure n’est pas un référé au sens habituel du terme, s’agissant d’une action en cessation. Il en retient l’urgence.

Sur le fond, il reprend les principes qui vont guider son examen de la cause, étant les articles 4 et suivants de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. Il renvoie ensuite au droit européen, étant les arrêts RING, RUIZ CONEJERO et LGBTI.

Il se penche ensuite sur la jurisprudence de la Cour de Justice sur l’exigence professionnelle directe et déterminante au sens de l’article 4, § 1er, de la Directive n° 2000/78. Si des arrêts sont intervenus au début des années 2010, le président constate qu’aucun arrêt de ce type n’a plus été rendu ces dernières années quant à cette notion au regard du critère du handicap, relevant que c’est un critère très particulier, ne serait-ce qu’au niveau de sa définition, qui mélange des aspects médicaux et sociaux.

Renvoyant plus particulièrement à l’arrêt LGBTI du 23 avril 2020, il rappelle un extrait de la conclusion de la Cour : la notion de conditions d’accès à l’emploi ou au travail doit être interprétée en ce sens que relèvent de cette notion des déclarations effectuées par une personne au cours d’une émission audio-visuelle, selon lesquelles jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler de personnes d’une certaine orientation sexuelle dans son entreprise, et ce alors qu’aucune procédure de recrutement n’était en cours ou programmée, à condition que le lien entre ces déclarations et les conditions d’accès à l’emploi ou au travail au sein de cette entreprise ne soit pas hypothétique.

En l’espèce, le président du tribunal examine le handicap (agénésie), dont il rappelle qu’une approche sociale s’ajoute à l’approche médicale, l’intéressée expliquant s’être bien adaptée à celui-ci depuis sa naissance et vivre une vie normale en s’adaptant à son environnement (conduite d’une voiture, vie scolaire, sociale et professionnelle).

L’ordonnance aborde ensuite les rétroactes, concluant que, selon les termes des courriers électroniques du SPF Finances, aucune chance ou essai n’avaient été accordés à l’intéressée de suivre la formation requise et de tester ses capacités à la réussir.

Dans l’examen de la justification objective et raisonnable de la mesure au sens de l’article 7 de la loi, elle rappelle notamment l’avis du médecin du travail, concluant sur ce point que l’Etat belge doit démontrer que la discrimination directe répond à une telle justification. Quant à la fonction elle-même, qui pourrait justifier une exigence professionnelle essentielle et déterminante, l’ordonnance poursuit qu’il s’agit de s’occuper en tant que collaborateur opérationnel du fret vers un aéroport mexicain (Tenochtitlan), cet aéroport n’étant pas actif dans le transport de passagers. Le contrôle de personnes n’étant pas le core business de la fonction, elle retient que celle-ci est principalement administrative et non une fonction d’intervention et que de nombreuses tâches sont confiées aux collaborateurs selon la description de fonction. Le contrôle des personnes physiques, pour lequel l’utilisation d’un armement léger serait un prérequis, apparaît dès lors comme accessoire.

Il n’est en conséquence pas démontré que la réussite de la formation relative à l’armement léger constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

L’Etat belge doit fournir cette formation, le cas échéant adaptée, et, parallèlement, désigner l’intéressée dans la fonction de collaborateur opérationnel à laquelle elle est lauréate.

Le président du tribunal ordonne en conséquence la cessation des faits discriminatoires dans le délai fixé dans le dispositif de son ordonnance et selon les modalités y précisées.

La demanderesse postulant la condamnation de l’Etat belge à une astreinte, il estime que celle-ci est justifiée, ayant pour seul objectif de faire progresser rapidement la situation effective dans le processus d’entrée en fonction.

Sur l’indemnisation forfaitaire du préjudice subi du fait de la discrimination, prévue à l’article 20, § 2, de la loi du 10 mai 2007, le président du tribunal retient que celle-ci doit être de six mois de rémunération brute mais qu’elle ne peut être chiffrée, les éléments permettant de la calculer n’étant pas connus. L’Etat belge est en conséquence condamné à produire la rémunération mensuelle brute applicable pour la fonction.

Intérêt de la décision

L’on peut rappeler en premier lieu la notion de handicap au sens de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne.

Les arrêts importants ont été repris :

  • RING (C.J.U.E., 11 avril 2013, Aff. n° C-335/11, C-337/11, HK DANMARK, agissant pour JETTE RING c/ DANSK ALMENNYTTIGT BOLIGSELSKAB et HK DANMARK, agissant pour LONE SKOUBOE WERGE c/ DANSK ARBEJDSGIVERFORENING, agissant pour PRO DISPLAY A/S) ;
  • RUIZ CONEJERO (C.J.U.E., 18 janvier 2018, Aff. n° C-270/16, RUIZ CONEJERO c/ FERROSER SERVICIOS AUXILIARES SA et MINISTERIO FISCAL) ;
  • LGBTI (C.J.U.E., 23 avril 2020, Aff. n° C-507/18, NH c/ ASSOCIAZIONE AVVOCATURA PER I DIRITTI LGBTI – RETE LENFORD).

Dans son arrêt DAOUIDI du 1er décembre 2016 (C.J.U.E., 1er décembre 2016, Aff. n° C-395/15, DAOUIDI c/ BOOTES PLUS SL e.a.), celle-ci a rappelé qu’en droit européen, il s’agit d’une notion autonome. Cette notion doit être interprétée de façon large et évolutive, et ce sous l’angle fonctionnel. Elle implique une limitation à la participation pleine et active de la personne à la vie professionnelle de longue durée. Il y a dès lors lieu de savoir s’il y a entrave à celle-ci.

Dans l’appréciation du handicap, intervient, comme l’ordonnance l’a relevé à juste titre, une dimension sociale, qui traduit l’incidence du handicap médical sur la vie de la personne porteuse de celui-ci. En l’occurrence, est retenu le fait de l’accoutumance à cette limitation, l’intéressée ayant établi pouvoir vivre « normalement », étant qu’elle a pu s’adapter à l’existence de son handicap et gagner sa vie par son travail.

Il s’agit, dans l’espèce commentée, d’une discrimination directe, celle-ci étant visée comme telle par l’Etat belge dans sa gestion administrative du dossier.

Considérant que l’exigence requise n’est pas une exigence professionnelle essentielle et déterminante et que l’Etat belge n’apporte pas la preuve de celle-ci, non plus que de l’impossibilité pour l’intéressée de remplir la fonction, l’ordonnance conclut, dans le cadre des pouvoirs du juge dans l’action en cessation, à une injonction donnée à l’Etat belge aux fins de mettre un terme à la pratique discriminatoire. Après avoir constaté l’existence d’actes constituant un manquement aux dispositions de la loi du 10 mai 2007, en l’espèce une discrimination directe fondée sur le handicap, il ordonne la cessation de ces actes de discrimination et ordonne à l’Etat belge de fournir une formation adaptée et, parallèlement, de désigner l’intéressée dans la fonction à laquelle elle est lauréate.

La condamnation est assortie d’une astreinte et le juge fait également droit à l’indemnisation pour préjudice moral et matériel du fait de comportements de discrimination.


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