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Intérêts sur un remboursement d’indu de prestations de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 14 septembre 2020, R.G. 2016/AL/173

Mis en ligne le vendredi 30 avril 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 14 septembre 2020, R.G. 2016/AL/173

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 septembre 2020, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’en cas de remboursement d’un indu au titre de prestations sociales, des intérêts moratoires sont dus au taux de l’intérêt en matière sociale et qu’une demande de capitalisation des intérêts peut être accueillie en matière de prestations sociales.

Rétroactes

Un assuré social en incapacité de travail avait exercé une activité non autorisée, mettant ainsi fin à son incapacité de travail. L’I.N.A.M.I. prit une décision en ce sens et des montants lui furent réclamés pour une longue période. Il fut cependant conclu à la prescription de la demande. Des montants ayant été récupérés d’office, la mutuelle fut condamnée par un premier arrêt de la Cour du travail de Liège (du 28 avril 2017) à rembourser les sommes déjà récupérées à ce titre. Elle fixa celles-ci provisionnellement à 1 euro, à majorer des intérêts de retard au taux légal depuis les dates des retenues.

Reste à déterminer les montants exacts, des décomptes différents étant soumis par les parties.

La cour rend dès lors l’arrêt commenté, dans lequel elle tranche les questions juridiques relatives à ceux-ci. Le litige porte essentiellement sur les intérêts, un montant important étant réclamé par l’assuré social. Pour la cour, est en cause le mode d’imputation des remboursements auxquels la mutuelle a procédé, ainsi que le taux des intérêts moratoires et l’application de l’anatocisme.

Elle procède en conséquence à l’examen de ces questions.

L’arrêt de la cour

Le premier point est relatif à la nature des intérêts réclamés par l’assuré social, qui s’est vu récupérer des montants au titre d’indu, alors que ces retenues ne se justifiaient pas. Pour la cour, il ne s’agit pas d’intérêts qui ont pour objet de compenser l’inexécution d’une obligation ou d’équilibrer un dommage (tels les intérêts compensatoires), mais d’intérêts qui sanctionnent l’exécution tardive d’une obligation, l’organisme assureur étant tenu de verser des indemnités dans le régime des travailleurs salariés et l’ayant fait avec retard. C’est ce retard qui a entraîné un préjudice. La cour conclut dès lors à la nature d’intérêts moratoires.

Renvoyant à l’article 1254 du Code civil, dont elle rappelle qu’il s’applique à tous les intérêts (sauf intérêts compensatoires en matière aquilienne), et ce quelle que soit leur source, la cour rappelle qu’à défaut d’accord du créancier, il faut imputer les versements partiels opérés par la mutuelle sur les intérêts déjà échus au moment de ces paiements et non sur le capital jusqu’à remboursement intégral.

Quant au taux de l’intérêt, il faut se référer à la loi du 5 mai 1985 relative au prêt à intérêts. Celle-ci dégage plusieurs hypothèses, étant (i) le taux d’intérêt en matière civile et commerciale, (ii) le taux d’intérêt en matière fiscale et (iii), depuis le 1er janvier 2009, le taux d’intérêt en matière sociale. Le premier est de 1,75% depuis le 1er janvier 2020 et les deux autres de 7%.

Sur la question de savoir s’il faut appliquer le taux en matière sociale (ce que demande l’assuré social) ou le taux en matière civile (ce que soutient la mutuelle), la cour renvoie à la nature de la dette, étant qu’il s’agit de prestations de sécurité sociale et non de dommages et intérêts. Elle reprend l’arrêt du 6 janvier 2014 de la Cour de cassation (Cass., 6 janvier 2014, n° S.12.0067.F), selon lequel, à défaut de dérogation expresse, quel que soit le fondement de l’action en répétition, le taux d’intérêt légal en matière sociale s’applique au remboursement par l’organisme percepteur de sommes qui lui ont été payées indûment au titre de cotisations de sécurité sociale.

Il y a lieu pour la cour de procéder par analogie et de suivre ce raisonnement pour le remboursement par la mutuelle de sommes retenues indûment sur des indemnités d’assurance maladie-invalidité et de remboursement de soins de santé. C’est dès lors ce taux de 7% qui est applicable.

Enfin, se pose une dernière question relative à la capitalisation des intérêts, demandée par l’assuré social, conformément à l’article 1154 du Code civil. La cour en reprend les conditions, constatant qu’elles sont remplies en l’espèce, des conclusions ayant été déposées au greffe (celles-ci valant sommation judiciaire au sens de la disposition en cause).

L’organisme assureur conteste l’application de l’anatocisme à une prestation de sécurité sociale. Il renvoie à des décisions de jurisprudence à cet égard, mais la cour ne suit pas cette manière de voir, rappelant qu’elle s’est positionnée en sens contraire dans un arrêt du 27 mai 2019, au motif que l’article 1154 du Code civil a reçu une portée très large en doctrine et jurisprudence, s’appliquant à toutes les obligations de sommes d’argent (avec renvoi ici à divers auteurs, dont M. DELANGE, « Les intérêts dus par le Fonds de fermeture – Intérêts moratoires et anatocisme », Chron. D. S., 1991, p. 392 et J.-F. NEVEN, « Prestations de sécurité sociale et capitalisation des intérêts », Chron. D. S., 2006, p. 555).

Vient ici un débat sur l’application de la Charte de l’assuré social, qui, pour l’organisme assureur, prévoit un régime dérogatoire au droit commun, son objectif étant d’assurer l’équilibre entre la protection de l’assuré social et la viabilité de la sécurité sociale.

Pour la cour, la Charte n’a pas vocation à régler toutes les questions posées par l’octroi de prestations de sécurité sociale et rien dans son texte ne permet d’exclure l’application de l’article 1154 du Code civil. Elle souligne que la Cour du travail de Bruxelles a, ainsi, jugé de la sorte dans divers arrêts en AMI, en prestations aux personnes handicapées et que la doctrine y est favorable sans réserves en accidents du travail (la cour ajoutant de très nombreuses références asseyant cette position). La demande d’anatocisme étant régulière, la cour fait également droit à ce chef de demande.

En conséquence, elle procède au calcul des décomptes définitifs, faisant droit à la demande.

Intérêt de la décision

Tout règlement d’une affaire judiciaire va nécessairement poser la question des intérêts sur les sommes faisant l’objet d’une condamnation au principal.

Dans l’arrêt du 14 septembre 2020 commenté, la Cour du travail de Liège fait le point sur plusieurs questions essentielles, étant la nature de l’intérêt sur une restitution d’indu non justifiée, le taux de l’intérêt en matière sociale ainsi que l’application de l’anatocisme à des prestations de sécurité sociale. Elle aborde également la règle en matière d’imputation des paiements.

La cour a souligné la rare doctrine sur ces questions, tout en renvoyant, malgré tout, à des contributions déterminantes (citées ci-dessus).

Enfin, elle rappelle dans cette décision un arrêt rendu le 27 mai 2019 (C. trav. Liège, div. Liège, 27 mai 2019, R.G. 2015/AL/277 – précédemment commenté). Cette décision était axée sur les obligations de la Charte de l’assuré social, ainsi que sur la nature des intérêts sur les chefs de demande admis et la capitalisation de ceux-ci. Elle y avait déjà affirmé que la circonstance que les intérêts courent de plein droit en vertu de la Charte ne permet pas de déduire la volonté du législateur de 1995 à déroger à une disposition du Code civil et qu’il n’y avait aucune raison de ne pas appliquer cette disposition à des prestations de sécurité sociale.


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