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Totalisation des périodes d’assurance pour le risque d’invalidité : un cas d’application du Règlement n° 883/2004/CE

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er octobre 2020, R.G. 2018/AB/385

Mis en ligne le vendredi 14 mai 2021


Cour du travail de Bruxelles, 1er octobre 2020, R.G. 2018/AB/385

Terra Laboris

Dans un arrêt du 1er octobre 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions de la totalisation des périodes d’activité pour leur prise en compte dans l’octroi d’une prestation d’invalidité dans un autre Etat membre de l’Union européenne.

Les faits

Un citoyen allemand a travaillé en Belgique entre 1989 et 1995 et en Allemagne ensuite jusqu’en 2007. A cette époque, il a perçu des allocations de chômage en Allemagne et, à partir de 2011, une allocation spéciale (« arbeitslosengeld II »), allocation pour chômeurs de longue durée mais n’étant pas reprise dans le régime d’assurance d’allocations de chômage. Cette allocation permet uniquement d’acquérir un droit à une pension de vieillesse anticipée pour les assurés de longue durée. Depuis 2015, il bénéficie d’une pension d’invalidité de l’ordre de 810 EUR.

Il prouve, cependant, des périodes d’assurance en Belgique. L’organe compétent allemand a dès lors transmis le dossier à l’I.N.A.M.I. afin de vérifier les droits de l’intéressé dans le cadre des règlements européens de coordination en vue d’une totalisation éventuelle des périodes d’assurance.

Par décision du 8 décembre 2016, l’I.N.A.M.I. a considéré que les conditions n’étaient pas réunies pour bénéficier de droits sur la base de son occupation en Belgique, étant qu’au début de l’incapacité de travail, il ne répondait pas aux conditions de stage pour pouvoir bénéficier du droit aux indemnités sur le territoire.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui, par jugement du 15 mars 2018, a débouté le demandeur, considérant qu’il ne répondait effectivement pas aux conditions des articles 128, § 1er, et 130 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Il avait certes été titulaire pendant cent-vingt jours ouvrables durant les deuxième et troisième trimestres précédant la demande (vu la perception d’allocations de chômage en Allemagne), mais n’avait pas payé des cotisations pour le secteur « indemnités ».

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

Sur le Règlement européen n° 883/2004, l’intéressé signale qu’il répond aux conditions d’assurabilité en Allemagne. Le droit allemand permet en effet de proroger la période d’assurance avec les allocations de chômage. Il considère par ailleurs qu’il était dispensé du paiement des cotisations.

Quant à l’I.N.A.M.I., il demande la confirmation du jugement, sauf en ce que le tribunal a estimé que l’intéressé répondait à la première condition mise par la loi du 14 juillet 1994, considérant que la période de chômage ne pouvait être prise en compte dans la mesure où aucune cotisation n’avait été payée, sauf des cotisations pour la pension d’invalidité.

La décision de la cour

La cour rappelle, en droit, les conditions d’octroi dans le cadre de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 ainsi que les droits de l’intéressé fixés par le Règlement n° 883/2004.

En droit interne, celui qui demande le bénéfice d’indemnités d’incapacité de travail sur la base du droit belge doit prouver la qualité d’assuré (titulaire) dans ce secteur lors du début de l’incapacité ou ne pas avoir perdu cette qualité depuis plus de trente jours. Un stage doit avoir été accompli et, pendant les douze mois précédant la date d’ouverture du droit, un nombre de jours de travail déterminé doit avoir été presté, calcul dans lequel les jours d’inactivité professionnelle sont assimilés à des journées de travail effectif. La cour rappelle également les conditions dans lesquelles les prestations pour les deuxième et troisième trimestres précédant la demande peuvent être prises en compte. En outre, le demandeur doit prouver avoir payé des cotisations pour le secteur des indemnités et celles-ci doivent atteindre un montant minimum.

Les conditions légales n’étaient pas réunies dans le chef de l’intéressé.

La cour constate que le litige porte en réalité sur la question posée par l’organisme de sécurité sociale allemand, étant de savoir s’il ne devait pas être fait application d’une totalisation des périodes d’assurance accomplies en Belgique pour la fixation de la pension d’invalidité.

La question de la coordination des prestations dans ce secteur est visée au chapitre IV du Règlement. Celui-ci distingue deux régimes, étant celui des demandeurs qui ont été exclusivement assujettis à des législations appelées « de type A » (à savoir celles où le montant des prestations d’invalidité est indépendant de la durée des périodes d’assurance ou de résidence et qui ont été expressément incluses dans l’annexe VI au Règlement) et celui des demandeurs qui ne répondent pas à ce type de législation et qui bénéficient d’un régime « de type B » (étant toutes autres législations, et notamment celles qui font dépendre le montant des prestations d’invalidité de la durée des périodes d’assurance ou de résidence). Dans le premier cas, seul est compétent l’Etat où le demandeur est assuré au moment du début de l’incapacité qui a mené à l’invalidité, alors que, dans le second, les règles de coordination relatives aux pensions de vieillesse s’appliquent par analogie.

La cour rappelle que les Etats ont eu la liberté de se soumettre à l’un ou l’autre régime, d’où la possibilité d’inscrire la législation en cause à l’annexe VI au Règlement. Or, ceci n’a été le cas pour les prestations d’invalidité, ni dans le chef dans l’Etat belge ni dans celui de l’Etat allemand. La loi belge, qui est par nature une législation de type A, constitue néanmoins, pour les règles de coordination, une législation de type B.

Renvoyant aux principes généraux de la coordination (G. PERL, « Algemene coördinatiebeginselen op het vlak van pensioenen », Revue belge de sécurité sociale, 2004, 4, p. 695), la cour rappelle que le choix fait par la Belgique (comme par la plupart des Etats membres) s’explique par un motif d’une répartition plus équitable des frais ainsi que d’équité (le but visé ici étant d’écarter le danger que seule la législation qui offre une protection moins bonne trouve à s’appliquer).

La question est dès lors de savoir si, aux termes du Règlement, l’intéressé, qui a été assuré dans le passé en Belgique et qui a cotisé, a droit à une prestation d’invalidité et peut bénéficier d’une totalisation des périodes.

La cour examine ainsi le mécanisme de la liquidation des prestations. L’Etat compétent effectue les calculs en vue d’obtenir le montant d’une pension autonome et, ensuite (en prenant en compte les autres Etats membres), détermine le montant d’une pension théorique, celle-ci étant proratisée en fonction des périodes accomplies sous sa législation par rapport aux périodes accomplies sous toutes les législations des différents Etats membres. Les deux montants sont comparés et le plus avantageux est versé.

Il faut dès lors, en condition première, que l’intéressé puisse bénéficier d’une prestation en droit interne, là où il y aurait lieu de faire application du régime de la totalisation. Or, comme le constate la cour, l’intéressé n’avait pas de droit à une prestation d’invalidité en Belgique, son assurance à cet égard ayant pris fin en même temps que son activité en Belgique. Il ne remplissait pas, dès lors, la condition de stage au moment de la demande.

La cour confirme le bien-fondé de la position de l’I.N.A.M.I., qui n’a pas appliqué les règles relatives à la totalisation des périodes en vue de calculer une prestation d’invalidité au prorata.

Intérêt de la décision

La question examinée par la cour en cette affaire est de savoir s’il n’y avait pas lieu d’appliquer, pour le droit à la pension d’invalidité en Allemagne, la totalisation des périodes d’assurance pour les prestations accomplies par l’intéressé en Belgique.

Les articles 44 et suivants du Règlement déterminent d’abord ce qu’il faut entendre par législations « de type A » ou « de type B » ainsi que les personnes soumises exclusivement à chacune de celles-ci (ou aux deux). Pour la Belgique, où le paiement de la prestation est indépendant de la période d’assurance ou de résidence, la législation est une législation de type B, alors qu’elle aurait pu, sur la base de ce seul critère, être une législation de type A. Or, elle ne figure pas à l’annexe VI du Règlement, l’Etat belge n’ayant pas fait usage de cette faculté.

S‘agissant de personnes soumises à plusieurs législations, dont l’une au moins n’est pas du type A, le droit à des prestations se règle conformément au chapitre V, qui concerne les prestations de pension de vieillesse et de survivant.

L’organisme allemand compétent s’est dès lors informé auprès de l’I.N.A.M.I. afin de vérifier les droits de l’intéressé dans le cadre de la législation belge, eu égard à la période de travail effectuée en Belgique. Il a été rapidement compris que les conditions de la loi coordonnée du 14 juillet 1994, et particulièrement la condition de stage de l’article 128, § 1er, n’étaient pas remplies. Depuis l’année 2011, en effet, plus aucune période d’assurance valable pour le risque de maladie et invalidité ne pouvait être comptabilisée, d’où la confirmation de la position de l’I.N.A.M.I.

Sur la question des prestations de maladie et des prestations d’invalidité en droit européen, l’on peut rappeler que, dans un arrêt du 1er février 2017 (C.J.U.E., 1er février 2017, Aff. C-430/15, SECRETARY OF STATE FOR WORK AND PENSIONS c/ TOLLEY), la Cour de Justice a rappelé les conditions dans lesquelles l’exportabilité des prestations sociales pouvait intervenir. La question y est examinée dans le cadre du Règlement n° 1408/71. La Cour y a décidé que constituent des prestations de maladie celles qui, dans une certaine mesure, se rapprochent des branches « invalidité » et « vieillesse ». Il s’agissait en l’espèce d’une prestation spéciale à caractère non contributif, entraînant l’examen de l’exportabilité de celle-ci vers un autre Etat membre. La Cour a qualifié celle-ci de prestation de maladie, permettant qu’elle soit perçue après le transfert de la résidence de l’intéressé vers un autre Etat membre.


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