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Cumul de l’indemnisation en maladie professionnelle avec une pension

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 5 octobre 2020, R.G. 2015/AL/512

Mis en ligne le vendredi 14 mai 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 5 octobre 2020, R.G. 2015/AL/512

Terra Laboris

Un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 5 octobre 2020 pose la question du cumul entre une indemnisation pour maladie professionnelle et la perception d’une pension de retraite : si le cumul est autorisé pour l’incapacité temporaire totale, la question de la rémunération de base des indemnités journalières ne fait pas l’objet d’une règle légale claire.

Rétroactes

La Cour du travail de Liège rend ici un sixième arrêt dans une affaire relative à l’indemnisation d’ayants droit suite à une intoxication par le benzène, dont la réparation est demandée au titre de maladie professionnelle.

Dans cet arrêt, la cour du travail examine les conditions d’attribution aux ayants droit des rentes auxquelles ils peuvent prétendre suite à la reconnaissance de la maladie professionnelle dans le chef de leur de cujus.

Dans un arrêt interlocutoire du 1er avril 2019, la cour a statué sur le principe de l’octroi de rentes, ainsi les rentes viagères, de 30% du salaire de base, réservant à statuer sur le montant de celui-ci.

Elle reprend, dans cet arrêt du 5 octobre 2020, essentiellement les questions de droit au paiement et de forclusion de la demande.

Ces questions étant généralement peu abordées, cet arrêt, très motivé, prend ici tout son intérêt.

L’arrêt de la cour

La cour est saisie de plusieurs situations, qu’elle examine l’une après l’autre.

Le premier dossier concerne la rente viagère de 30% de la rémunération de base due au conjoint non divorcé ni séparé de corps. L’article 33 des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci prévoit en effet une indemnisation en cas de décès, pour laquelle il renvoie à la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.

Sur la question de savoir quel salaire de base doit être retenu, étant celui dû lors de l’apparition de la maladie ou lors du décès, vu la référence faite à la loi du 10 avril 1971, la cour confirme la position de FEDRIS, étant qu’il faut appliquer la règle fixée à l’article 34 de la loi sur les accidents du travail (telle qu’adaptée par l’article 49 des lois coordonnées) et retenir la rémunération de base lors de la demande.

La cour tranche ensuite une question de forclusion, étant de savoir si, dès lors que les ayants droit n’ont pas formé de demande dans les six mois du décès de la victime de la maladie professionnelle (ce décès étant en l’espèce survenu en cours d’instance), cette demande peut être formée dans les six mois de la notification de la décision judiciaire reconnaissant le droit à la réparation dans le cadre des lois coordonnées. La cour rappelle l’article 64bis de celles-ci, dont le dernier paragraphe dispose que le délai de six mois prend cours le jour du décès du bénéficiaire ou le jour de l’envoi de la notification de la décision, si celle-ci a été envoyée après le décès.

Pour la cour, il s’agit de préciser ce que l’on entend par « la décision ». Il ne peut s’agir de la décision administrative de refus, les seules décisions permettant de se poser utilement la question des arrérages étant les décisions reconnaissant le droit (décision administrative ou décision judiciaire réformant celle-ci). La circonstance qu’une décision judiciaire a en règle un caractère déclaratif et non constitutif de droit n’y change rien, dès lors que, si la créance à l’indemnisation remonte à une date lointaine (étant celle où les critères d’octroi ont été réunis – 2006 en l’occurrence), la reconnaissance de ce droit a nécessité une procédure et une décision judiciaire. En l’occurrence, la demande ayant été formulée avant la notification de l’arrêt (la cour prenant comme point de départ l’arrêt commenté), la demande formulée par voie de conclusions dans le cadre de la procédure n’est pas touchée par la forclusion.

La cour examine ensuite la délicate question du cumul, s’agissant d’un cumul entre indemnités d’incapacité temporaire totale (et non d’incapacité permanente) avec une pension. La question se pose pour toute la période indemnisable. En outre, l’intéressée (qui avait pris sa pension le 1er décembre 2003) a eu 65 ans le 25 novembre 2008.

L’examen de la question fait par la cour passe par l’article 22 de la loi du 10 avril 1971, auquel renvoie l’article 34, alinéa 1er, des lois coordonnées. L’article 22 dispose que, lorsque l’accident a été la cause d’une incapacité temporaire totale, la victime a droit, à partir du jour qui suit celui du début de l’incapacité de travail, à une indemnité journalière de 90% de la rémunération quotidienne moyenne. C’est dès lors le droit à ces indemnités journalières qui est ici à examiner.

Une partie de la période est prescrite et la cour examine celle qui ne l’est pas. La loi a changé en cours de période (loi du 20 juillet 2006 applicable au début et arrêté royal du 13 décembre 2006 portant exécution de l’article 66 des lois coordonnées applicable à dater du 1er juillet 2007). La cour souligne que les normes sont identiques. Le principe est le cumul des prestations d’incapacité temporaire avec tous les autres régimes de sécurité et de prévoyance sociale, l’exception étant la limitation ou l’interdiction de cumul selon les règles établies soit par la loi dans le régime en cause (régime des maladies professionnelles), soit dans d’autres régimes. Elle examine dès lors les règles en maladie professionnelle.

En cas de perception d’indemnités annuelles, par contre, il y a réduction des prestations (le montant étant réglé par l’arrêté royal du 17 juillet 1974).

En l’espèce, il ne s’agit pas d’indemnités annuelles mais d’une incapacité temporaire, pour laquelle la limitation ci-dessus n’est pas applicable. Pour FEDRIS, au contraire, il s’agit d’un revenu de remplacement qui indemnise la perte de salaire concrètement subie et qui n’est pas cumulable avec le versement d’un plein salaire ou d’une allocation de chômage et ne peut être versé durant une période de congés légaux. Il ne peut y avoir non plus cumul avec une pension de retraite.

La cour confirme qu’il s’agit de deux prestations qui ont la nature de revenus de remplacement mais déclare ne pas voir la base légale de la position de l’Agence. Elle en conclut que, sous réserve d’une disposition propre à un autre régime, les indemnités sont dues. Dans le régime des pensions, si une règle existait, ceci concernerait ce régime et c’est le SPF Pensions qui devrait prendre une décision à cet égard et non FEDRIS. Dès lors que le montant de l’indemnité journalière à laquelle la victime avait droit est de 90% de la rémunération quotidienne moyenne, il faut se référer à l’article 34 de la loi du 10 avril 1971 et retenir le salaire de base de l’année de la demande.

En l’espèce, en outre, l’intéressée ne travaillait plus depuis près de trois ans lors de la demande, ayant pris sa pension de retraite en 2003 et la demande datant de 2006. Le salaire réel ne peut être connu. La cour examine dès lors l’article 37 de la loi du 10 avril 1971, qui prévoit un régime dérogatoire. A l’époque, le texte disposait que, dans cette hypothèse, la rémunération de base était déterminée en fonction exclusive de la rémunération due en raison de l’accomplissement du travail autorisé. Ceci vise tous les pensionnés ressortissant d’un régime de sécurité sociale en Belgique, mais suppose pour la cour la poursuite d’un travail après l’âge de 65 ans. Or, tel n’a pas été le cas, l’intéressée étant dans l’impossibilité médicale de poursuivre une activité.

La disposition ne peut dès lors trouver à s’appliquer et la cour voit deux solutions, soit l’application du mécanisme prévu par l’article 36 de la loi du 10 avril 1971, soit celle de l’article 49, alinéas 5 et 6, des lois coordonnées du 3 juin 1970.

L’article 36 de la loi du 10 avril 1971 contient en effet un mécanisme de recours à une rémunération de base hypothétique, tandis que l’article 49 dispose que, si une victime n’a plus travaillé pendant la période de quatre trimestres complets précédant la demande, le salaire de base est la rémunération à laquelle le travailleur a droit pour la période des quatre derniers trimestres complets au cours desquels il a travaillé (avec indexation).

Cette dernière règle concerne la version actuelle de la loi et il y aurait lieu de vérifier ce qu’il en était à l’époque. La cour ordonne dès lors une réouverture des débats, demandant des pièces complémentaires à FEDRIS et réservant à statuer sur la question. Etant en possession d’un chiffre (de l’ordre de 24.000 EUR), la cour condamne d’ores et déjà à la régularisation sur la base de ce montant, les indemnités devant être limitées à 90% et majorées des intérêts dus en vertu de la Charte de l’assuré social pour une première période et des intérêts judiciaires pour la suite.

Reste encore une question d’indemnisation pour frais funéraires, question d’un intérêt plus factuel.

Intérêt de la décision

Cette affaire est une véritable saga, la cour constatant dans cet arrêt du 5 octobre 2020 qu’elle a précédemment déjà rendu cinq arrêts. Deux d’entre eux ont été précédemment commentés (arrêts des 6 février 2017 et 5 novembre 2018). La matière est, selon les propres termes de la cour, « d’une complexité abasourdissante » (17e feuillet), les dernières questions, résumées dans le commentaire ci-dessus, posant à elles seules, sur le plan de l’indemnisation et des règles de cumul, des difficultés évidentes.

Un renvoi est fait, sur divers points, par les lois coordonnées le 3 juin 1970 à la matière des accidents du travail, mais ce renvoi n’est pas général, certaines dispositions spécifiques se trouvant dans les lois coordonnées elles-mêmes.

S’est ajoutée à la discussion la question de la modification de l’article 66 des lois coordonnées. Il faut rappeler l’arrêt de la Cour de cassation du 27 février 2006 (Cass., 27 février 2006, n° S.05.0033.F), rendu en matière de cumul de pension de retraite et d’indemnités pour maladie professionnelle. Cet arrêt a statué sur la légalité d’un arrêté royal du 13 janvier 1983 pris en exécution de cet article 66. La Cour de cassation a considéré que, le Conseil d’Etat n’ayant pas été consulté, l’inobservation de cette formalité substantielle sans que soit justifiée l’urgence invoquée entraînait l’illégalité de l’arrêté royal qui fixait les conditions de cumul entre une pension et une indemnité pour maladie professionnelle. L’on notera que la situation se posait en de termes identiques pour un autre arrêté royal du 13 janvier 1983 portant exécution, en matière d’accident du travail, de l’article 42bis.

La loi du 20 juillet 2006 est venue régler des questions de cumul d’indemnités, tant dans le secteur des maladies professionnelles que dans celui des accidents du travail. Le principe est celui du cumul intégral des prestations et l’exception est un cumul partiel avec des pensions. Comme l’a très judicieusement rappelé la cour du travail, cette limitation de cumul concerne les allocations annuelles, c’est-à-dire l’indemnisation de l’incapacité permanente et non celle de l’incapacité temporaire. Le droit à ces indemnités journalières est dès lors maintenu en totalité. La question se complexifie encore en l’espèce du fait que, sur le plan de la rémunération de base, la base légale n’est pas claire, l’intéressée ayant arrêté de travailler depuis près de trois ans lorsque la demande d’indemnisation fut introduite – objet de la réouverture des débats…


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