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Immunité de juridiction des organisations internationales et article 6 de la C.E.D.H.

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 octobre 2020, R.G. 2018/AB/22

Mis en ligne le jeudi 27 mai 2021


Cour du travail de Bruxelles, 28 octobre 2020, R.G. 2018/AB/22

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 octobre 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les principes en matière d’immunité de juridiction des organisations internationales ainsi que la position de la Cour européenne des droits de l’homme quant au droit d’accès à un juge, en matière de relations de travail. Il s’agit en l’espèce d’un contrat de consultant pour l’OTAN.

Les faits

Une doctoresse a conclu un contrat de consultant avec l’OTAN en 2008, pour des prestations à temps partiel. Ce contrat est à durée déterminée. Il sera reconduit et le temps de travail augmenté.

Un litige survient en 2013, alors qu’elle est occupée dans le cadre d’un contrat devant se terminer fin 2014. Elle considère, via un courrier de son conseil, que la relation d’emploi ne répond pas aux caractéristiques d’un contrat de consultant tel que visé par le Règlement du personnel civil. Il est notamment fait valoir que la relation de travail devrait être à durée indéterminée.

L’OTAN répond qu’une procédure de recours hiérarchique devrait être suivie et le Tribunal administratif de l’OTAN est en fin de compte saisi, afin de se prononcer sur la qualification du contrat de consultant et la nature de celui-ci (contrat d’agent permanent – à durée indéterminée).

Les relations se terminent à l’issue de ce dernier contrat et d’autres recours internes interviennent, le tribunal administratif étant de nouveau saisi.

Celui-ci statuera finalement par jugement du 28 octobre 2015, rejetant les requêtes.

Un recours est ensuite introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, étant à la cause non seulement l’OTAN, mais également l’Etat belge.

Par jugement du 26 octobre 2017, le tribunal du travail s’est déclaré incompétent pour connaître des demandes, au motif de l’immunité de juridiction dont bénéficie l’OTAN.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour examine successivement les demandes contre l’OTAN et contre l’Etat belge.

Sur la question de l’immunité de juridiction de l’organisation internationale, elle procède à un examen de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en sa partie relative, parmi les principes du droit à un procès équitable, à l’accès à un juge.

La cour rappelle le principe selon lequel l’immunité de juridiction des organisations internationales est en règle générale formulée de manière absolue et se distingue ainsi de l’immunité de juridiction des Etats, considérée comme restreinte dans la mesure où elle ne s’applique pas aux actes de gestion.

Vient ensuite un long examen des principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme en matière de droit d’accès aux tribunaux.

Diverses décisions sont rappelées, dont l’arrêt STICHTING MOTHERS OF SREBRENICA (Cr.E.D.H., 11 juin 2013, Req. n° 65.542/12, STICHTING MOTHERS OF SREBRENICA et alii c/ PAYS-BAS), qui a nuancé la portée d’arrêts plus anciens sur le droit à un recours effectif au sens de l’article 6. Cet arrêt a rappelé que peuvent intervenir des restrictions au droit d’accès à un tribunal, parmi lesquelles figurent les limitations généralement admises par la communauté des nations comme relevant de la doctrine de l’immunité de juridiction, qu’il s’agisse de l’immunité d’un Etat étranger ou de celle d’une organisation internationale.

Est cite également l’arrêt CHAPMAN (Cr.E.D.H., 5 mars 2013, Req. n° 39.619/06, CHAPMAN c/ BELGIQUE), rendu dans une affaire opposant une personne ayant travaillé pour l’OTAN dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée successifs et revendiquant le droit à voir sa relation d’emploi requalifiée en contrat à durée indéterminée sur la base du Règlement du personnel civil. La Cour européenne avait jugé que la Cour du travail de Bruxelles n’avait pas excédé sa marge d’appréciation en entérinant l’immunité de juridiction de l’OTAN, ceci dans la mesure où existait une autre voie ouverte au requérant. Les restrictions de l’accès aux juridictions belges pour régler le différend avec l’OTAN n’avaient pas porté atteinte à la substance même du droit du requérant à un tribunal ou n’étaient pas disproportionnées sous l’angle de l’article 6, § 1er, de la Convention.

La possibilité de restriction à l’article 6 a également été rappelée dans un arrêt de la Cour de cassation (Cass., 21 décembre 2009, n° S.04.0129.F), arrêt dont la cour du travail reprend de larges extraits, soulignant que, dans l’examen de l’admissibilité de l’immunité de juridiction invoquée par une organisation internationale, intervient la circonstance que la personne à laquelle l’immunité est opposée dispose de la possibilité de soumettre le litige à une commission de recours.

Un autre arrêt de la Cour de cassation est également repris (Cass., 27 septembre 2018, n° C.16.0346.F), dans lequel la Cour a admis que la règle de l’immunité de juridiction des organisations internationales poursuit un but légitime et que, pour déterminer si l’atteinte aux garanties de l’article 6, § 1er, est admissible, il faut examiner si la personne contre laquelle l’immunité de juridiction est invoquée dispose d’autres voies raisonnables pour protéger efficacement les droits que lui garantit la Convention.

La cour du travail examine également la question de l’autorité de la chose jugée, eu égard à la saisine du Tribunal administratif de l’OTAN, rappelant que la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 21 juin 2004, n° S.03.0139.N) enseigne que l’autorité de la chose jugée des décisions d’une juridiction administrative existe également en vertu d’un principe général de droit administratif.

La cour du travail procède ensuite à l’application de ces principes, vérifiant si l’intéressée a disposé d’une voie de droit utile pour faire entendre sa cause au regard de l’article 6. Les deux recours introduits par elle ont en effet été considérés comme irrecevables (et non comme non fondés).

L’OTAN (rejoint par l’Etat belge) considère pour sa part que l’intéressée reste en défaut d’établir qu’elle serait titulaire d’un droit entrant dans les prévisions de l’article 6 de la C.E.D.H. Ceci amène la cour du travail à examiner le point de savoir si une contestation sur des droits prétendument issus du Règlement du personnel civil constitue une contestation sur les droits et obligations de caractère civil reconnues en droit interne. La réponse de la cour est positive, eu égard au caractère autonome de cette notion au sens de l’article 6.

Reste cependant à déterminer si l’intéressée établit à suffisance le caractère défendable de ses droits. La cour examine, ainsi, les motifs pour lesquels les recours ont été rejetés et elle conclut que le caractère défendable des droits revendiqués est sérieusement mis en doute par l’examen des recours et l’instruction du dossier.

La cour rencontre encore d’autres arguments tirés de l’existence d’une clause d’arbitrage et conclut à l’absence de violation du droit d’accès à un tribunal.

Pour ce qui est des demandes contre l’Etat belge (fondées sur l’argument selon lequel l’Etat belge est responsable en tant que pays hôte de la légalité des actes pris par l’OTAN), la cour renvoie à l’arrêt GASPARINI (Cr.E.D.H., 12 mai 2009, Req. n° 10.750/03, GASPARINI c/ ITALIE et BELGIQUE), rappelant les obligations des Etats lorsqu’ils transfèrent une partie de leur pouvoir souverain à une organisation internationale ainsi que les conditions de la mise en cause de leur responsabilité. En l’espèce, aucune faute ne peut être retenue dans son chef.

Intérêt de la décision

La question de l’immunité de juridiction des organisations internationales est rarement abordée en jurisprudence, celle-ci étant plus généralement invoquée dans le chef d’Etats étrangers. Elle y est généralement rejetée, en matière de contrats de travail, s’agissant d’actes de gestion et non d’actes émanant de la puissance publique de l’Etat.

En l’espèce, était invoquée l’immunité de juridiction de l’OTAN, et particulièrement eu égard aux restrictions qu’elle apporte à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit notamment, dans le droit au procès équitable, l’accès à un juge. Dès lors que cette immunité est admise, en effet, la juridiction interne est sans pouvoir pour connaître du litige. La cour s’est ici déclarée, en effet, sans juridiction à l’égard de l’OTAN.

L’arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 28 octobre 2020 fait un rappel très structuré des principes de droit international abordés, l’accent étant mis sur la portée de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. La jurisprudence de la Cour européenne, dans plusieurs arrêts récents, a été reprise, la cour en retenant des extraits significatifs. L’on rappellera, à cet égard, l’arrêt CHAPMAN, concernant une affaire belge, le demandeur ayant travaillé pour l’OTAN dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée successifs. Il revendiquait le droit à un contrat à durée indéterminée, se fondant sur le Règlement du personnel civil. La cour du travail avait exposé les raisons pour lesquelles la procédure présentait des garanties suffisantes au regard de la Convention européenne des droits de l’homme.


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