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Non-respect de l’article 14 de la Charte de l’assuré social et conséquences sur la recevabilité du recours

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 mars 2021, R.G. 2020/AB/188

Mis en ligne le jeudi 27 mai 2021


Cour du travail de Bruxelles, 2 mars 2021, R.G. 2020/AB/188

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 mars 2021, la Cour du travail de Bruxelles retient que, à défaut pour une institution de sécurité sociale d’avoir repris dans une décision administrative les six mentions exigées par l’article 14 de la Charte de l’assuré social, le délai de recours n’a pas commencé à courir, la cour précisant que le seul renvoi à une annexe qui contiendrait la liste des juridictions sociales du Royaume ne satisfait pas à la condition reprise à l’article 14, alinéa 1er, 2°, qui oblige l’institution à mentionner dans sa décision l’adresse de la juridiction compétente.

Les faits

Un travailleur indépendant, exploitant une petite entreprise de lavage de vitres, a un accident en 2013 entraînant une fracture de la cheville gauche. Il est en incapacité de travail pendant de très nombreux mois. Le 27 janvier 2017, l’organisme assureur constate la fin de l’incapacité de travail.

Aucun recours n’est introduit, mais l’intéressé dépose un rapport de son médecin, faisant un bilan orthopédique. Suite à ce rapport, l’organisme assureur maintient sa décision, au motif qu’aucun élément nouveau ne serait apporté. La décision de la mutuelle précise : « Les voies de recours vous ont été notifiées par notre courrier recommandé du 27 janvier 2017 ».

L’assuré social remet alors un nouveau rapport médical daté du 7 avril, ce qui donne lieu à une troisième décision de la mutuelle, qui maintient de nouveau sa position, au motif que ce rapport n’apporterait pas d’éléments nouveaux. La lettre de notification de la décision reprend les mêmes mentions quant à la communication des voies de recours que la précédente.

Dans les trois mois suivant cette troisième décision, un recours est introduit devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Nivelles).

Un jugement est rendu le 3 février 2020, déclarant le recours irrecevable, recours par lequel l’intéressé sollicitait l’annulation des trois décisions, demandant au tribunal de dire pour droit qu’il était toujours incapable de travailler au sens des articles 19 et 20 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971, ce qui emportait une demande de condamnation de la mutuelle aux indemnités.

Appel a été interjeté, l’intéressé formulant la même demande qu’en première instance et sollicitant, à titre subsidiaire, la désignation d’un expert médical.

La décision de la cour

La cour se prononce d’abord sur la recevabilité de l’action originaire, le tribunal ayant conclu que la troisième décision ne constituait pas une décision nouvelle mais bien une décision confirmative des deux décisions précédentes. Il avait retenu que ce que l’intéressé souhaitait contester était effectivement celle qui avait mis fin à l’incapacité de travail en janvier 2017 et avait conclu que les formes prescrites par l’article 14 de la Charte de l’assuré social avaient été respectées.

La cour, qui en rappelle les termes (cette disposition énumérant les mentions que doit contenir toute décision d’octroi ou de refus de prestations, mentions au nombre de six), souligne particulièrement (i) l’obligation d’indiquer l’adresse des juridictions compétentes, (ii) de même que le contenu des articles 728 et 1017 du Code judiciaire et (iii) les références du dossier et du service qui gère celui-ci. En vertu de l’alinéa 2 de cet article, si la décision ne contient pas les mentions prévues ci-dessus, le délai de recours ne commence pas à courir.

Sur le plan de la charge de la preuve, celle-ci est dans le camp de l’institution de sécurité sociale. Des présomptions sont admises (renvoyant à C. trav. Bruxelles, 13 mai 2020, R.G. 2018/AB/375).

La cour constate que la première décision ne reproduit pas le contenu des articles 728 et 1017 du Code judiciaire et que cette seule lacune fait que le délai de recours n’a jamais commencé à courir. En outre, elle ne contient pas l’adresse des juridictions compétentes et la cour précise que ne répond pas à l’exigence légale la mention selon laquelle un recours peut être introduit « auprès du tribunal correspondant à votre domicile (voir adresses en annexe) », soulignant que l’annexe annoncée ne figure pas au dossier des parties, non plus que dans le dossier du ministère public. Le conseil de la mutuelle déposant cette annexe à l’audience, la cour conclut néanmoins qu’il n’est pas établi que celle-ci était jointe à la décision. Elle ajoute que, même si c’était le cas – quod non –, le simple renvoi à une telle annexe n’aurait pas été suffisant, celle-ci se bornant à reprendre les adresses des juridictions du travail du pays mais n’identifiant pas le tribunal compétent pour l’affaire en cause.

Dès lors que le recours n’était pas tardif, elle estime ne pas devoir examiner la question de savoir si les deux décisions suivantes constituaient de nouvelles décisions ou des décisions confirmatives. La cour renvoie, pour la distinction entre les deux, à sa jurisprudence, selon laquelle n’est pas purement confirmative une décision maintenant une décision antérieure lorsque, comme en l’espèce, cette décision accuse réception d’un rapport médical transmis par l’assuré social après la décision antérieure et exprime en écarter l’argument après avoir soumis ce rapport au médecin-conseil (C. trav. Bruxelles, 7 mars 2019, R.G. 2018/AB/447).

Sur le fond, la cour reprend l’examen des articles 19 et 20 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971, fixant les conditions de reconnaissance de l’incapacité de travail pendant la première année et après celle-ci. L’incapacité de travail visée par ces dispositions est une incapacité physique ou psychique totalement étrangère à toute notion de réduction de capacité de gain. Elle ne doit pas être totale et ne s’apprécie pas en un pourcentage quelconque. Elle s’exprime par le constat posé que le travailleur indépendant a ou non concrètement la capacité physique et mentale d’accomplir l’ensemble des tâches associées à l’activité professionnelle considérée (11e feuillet). La cour prône la recherche d’une approche équitable.

Examinant les dossiers médicaux déposés, elle conclut à une sérieuse divergence des évaluations médicales et désigne un expert.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail est important à deux égards, étant d’une part sur le plan de la recevabilité de la demande devant les juridictions du travail et, de l’autre, sur la notion d’incapacité de travail dans le secteur des travailleurs indépendants.

Le cheminement de la cour sur la recevabilité du recours passe par une application stricte des exigences de l’article 14 de la Charte de l’assuré social et l’on notera à cet égard la sévérité de la vérification des conditions légales, la disposition prévoyant six conditions et, en l’espèce, trois étant manifestement manquantes.

La cour souligne, à propos de l’obligation pour l’institution de sécurité sociale de reprendre l’adresse des juridictions compétentes, qu’il ne suffit pas de faire figurer en annexe de la décision la liste de toutes les juridictions sociales du pays, mais qu’il faut indiquer, c’est-à-dire identifier, le tribunal compétent.

Sur le fond, la cour reprend la doctrine relative à l’interprétation à donner aux articles 19 et 20 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 (D. DESAIVE et M. DUMONT, « L’incapacité, l’invalidité et l’appréciation de la perte d’autonomie en sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants ainsi qu’en risques professionnels. Comment évaluer l’aspect médical ? », Regards croisés sur la sécurité sociale, Liège, Anthémis, 2012, p. 293 et jurisprudence citée). Selon ces auteurs, il faut se référer à une activité à temps plein pour évaluer s’il y a ou non incapacité de travail, cette recherche devant intervenir par le recours à des facteurs intrinsèques à la personne du travailleur (état de santé, condition, formation professionnelle).

Il appartiendra à l’expert, comme le précise la cour dans son arrêt, de préciser quels sont les emplois, indépendants ou salariés, qui restent accessibles au regard des pathologies dont souffre l’intéressé.


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