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Licenciement pour motif grave par courrier ordinaire : conséquences

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 janvier 2021, R.G. 2018/AB/288

Mis en ligne le vendredi 25 juin 2021


Cour du travail de Bruxelles, 18 janvier 2021, R.G. 2018/AB/288

Terra Laboris

Dans un arrêt du 18 janvier 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que les conditions de fond, de forme et de délai reprises à l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 sont des conditions strictes et qu’une lettre ordinaire n’équivaut ni à une lettre recommandée ni à la remise d’un écrit.

Rétroactes

Un conducteur de véhicule d’une société de transport de voyageurs est licencié pour motif grave, eu égard à une condamnation pénale du chef de faux, usage de faux et escroquerie.

La société n’est pas en mesure d’apporter la preuve de la notification par voie recommandée de la lettre de licenciement et le travailleur affirme que celle-ci est intervenue par courrier ordinaire.

Une procédure ayant été introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, l’employeur se voit condamner au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis et à la délivrance des documents sociaux.

La société interjette appel, demandant à la cour de débouter l’intéressé de sa demande, celui-ci sollicitant pour sa part la confirmation du jugement sur la question de l’indemnité compensatoire de préavis. Il introduit cependant une demande relative à l’octroi d’une prime de fin d’année (qui a été rejetée par le premier juge) et conteste également que chaque partie doive prendre ses propres dépens en charge.

La décision de la cour

La cour reprend les principes en matière de notification d’un licenciement pour motif grave, étant les règles reprises à l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978. Elle rappelle qu’il s’agit de conditions strictes de fond, de forme et de délai. Si la loi n’impose aucune condition de forme pour la notification du congé en lui-même (c’est-à-dire la manifestement de la volonté de rompre pour motif grave), de telles conditions existent aux alinéas 4 à 8 de la disposition légale, étant relatives au fond, à la forme et au délai.

Pour ce qui est de la notification, deux modes sont prévus à l’alinéa 5, étant que celle-ci se fait soit par lettre recommandée à la poste, soit par exploit d’huissier. L’alinéa 6 prévoit qu’elle peut également être faite par la remise d’un écrit à l’autre partie. Il en découle, pour la cour, que, sur le plan du fond, seuls peuvent être invoqués comme motifs graves ceux notifiés selon les formes et dans le délai définis. Si la notification a été faite en-dehors des formes prévues, elle est nulle et équivaut à une absence de notification. La partie qui invoque le motif grave doit dès lors établir la régularité de celle-ci.

Elle examine dès lors la question de l’envoi recommandé, aucun récépissé n’étant produit. Elle rappelle à cet égard que la preuve de l’envoi recommandé se rapporte par excellence par la production de celui-ci, mais que la preuve peut être apportée autrement. Aucune conclusion ne peut par ailleurs être tirée de l’absence de contestation du travailleur, dans la mesure où celui-ci n’était pas nécessairement informé des formalités légales. La production par lui d’une copie du courrier notifiant le licenciement pour motif grave n’implique pas que les conditions de fond et de forme imposées par la loi puissent être écartées.

La cour fait grief à l’employeur de ne pas établir que le seul objectif de ces conditions serait de donner une date certaine à la notification des motifs du licenciement et que, dès lors que cette date serait acquise, les exigences de la loi pourraient être ignorées.

Si cette notification n’a pas eu lieu dans les formes prescrites, elle est nulle, des motifs non régulièrement notifiés ne pouvant être invoqués. Pour la cour, il s’agit d’une règle rigoureuse qui doit être respectée, et ce que la notification irrégulière des motifs ait ou non une date certaine.

La société ne peut non plus, dans une telle hypothèse, invoquer qu’il y a eu remise d’un écrit à l’autre partie, ainsi que l’autorise l’alinéa 6 de l’article 35. Pour la cour, l’envoi d’une lettre par courrier simple n’équivaut pas à cette remise d’un écrit. Elle puise dans l’alinéa 7 une explication de la volonté du législateur, étant que, par « remise d’un écrit », est visée la remise de l’écrit en mains propres contre accusé de réception (la signature du travailleur apposée sur le double de celui-ci n’ayant que cette valeur) et non l’envoi par courrier simple.

Elle examine encore la question sous l’angle de la renonciation (qui est rejetée, dans la mesure où elle ne se présume pas) ainsi que de la mauvaise foi procédurale (non établie), pour en venir aux nouvelles dispositions du Code civil, en ses articles 8.5 et 8.6 relatifs au degré de preuve.

Pour la société, il y a en effet une certitude raisonnable ou, à tout le moins, une vraisemblance selon laquelle la lettre a été envoyée à la date prévue par courrier recommandé. Pour la cour, cette conclusion ne peut être admise. Le juge doit, en vertu de l’article 8.5, fonder sa conviction sur une certitude raisonnable, c’est-à-dire qui exclut tout doute raisonnable. Or, celui-ci existe, vu l’absence de production du récépissé et le peu de fiabilité des présomptions invoquées par la société. Par ailleurs, reprenant l’article 8.6, qui permet de retenir la preuve par vraisemblance, la cour rappelle qu’elle est limitée à deux hypothèses, étant s’il s’agit d’apporter la preuve d’un fait négatif et, pour le fait positif, si par la nature même du fait à prouver, il n’est pas possible ou pas raisonnable d’exiger une preuve certaine.

En l’espèce, une preuve certaine est requise. En conclusion, le jugement est confirmé, en ce qu’il a alloué une indemnité compensatoire de préavis.

Intérêt de la décision

Dans cette espèce, la société qui a licencié invoque à la fois avoir notifié le motif grave par lettre recommandée et par la remise d’un écrit, les deux hypothèses s’excluant cependant (sauf si deux formalités distinctes étaient intervenues). Il s’agit, pour l’employeur, de tenter de rentrer dans un des trois modes de notification admis, alors qu’il n’est pas contesté qu’un quatrième mode a été utilisé, à savoir l’envoi d’une lettre ordinaire.

La cour confirme (avec le tribunal) que la production d’une lettre ordinaire ne peut être comprise comme atteignant le but voulu par le législateur en cas d’envoi par voie recommandée ou par notification via un huissier de justice.

Quant à la forme relative à la remise d’un écrit, il s’agit d’un mode strict, qui ne peut concerner que la remise d’un écrit en mains propres.

Les nouvelles dispositions du Code civil ne viennent, par ailleurs, pas à la rescousse de l’employeur, puisque les articles 8.5 et 8.6 ne peuvent valoir, pour le premier, qu’en l’absence de tout doute raisonnable (un tel doute existant cependant quant à l’absence d’envoi recommandé) et que la preuve par vraisemblance ne peut être retenue que dans des hypothèses limitées, là où la preuve certaine ne peut être exigée (ou lorsqu’il s’agit d’un fait négatif).

Sur la question du respect des formes en matière de licenciement, soulignons que, concomitamment à cet arrêt, la Cour du travail de Liège (division Liège) (C. trav. Liège, div. Liège, 13 janvier 2021, R.G. 2020/AL/194) a été saisie quant au sort à réserver à une lettre de licenciement non signée. Elle a rappelé que la signature doit permettre d’identifier l’auteur de l’acte et de vérifier qu’il adhère à son contenu, les écrits non signés ne faisant pas preuve. En raison de l’absence de signature, il ne peut s’agir d’un acte sous seing privé. L’écrit non signé peut cependant servir de commencement de preuve par écrit, pour autant qu’il émane de celui à qui on l’oppose, ce qui nécessite un manuscrit ou, à la rigueur, un texte dactylographié dont l’origine est reconnue. Il doit être daté pour sortir valablement ses effets à une date déterminée et c’est la date de l’envoi recommandé à la poste ou de l’exploit de l’huissier qui détermine cette date. Aussi a-t-elle considéré que, l’employeur ne s’étant pas identifié comme étant l’expéditeur du courrier et ne s’étant pas approprié son contenu, il ne pouvait être établi que le courrier avait été envoyé par lui ou par une personne dûment mandatée par lui.

En l’espèce, en effet, l’employeur le contestait, précisant que le courrier avait été envoyé par son secrétariat et qu’il s’agissait d’une erreur.

Pour la cour, le défaut de signature rend le courrier inexistant, celui-ci atteignant la substance de l’expression de la volonté de rompre. La cour a par conséquent fait droit à la demande de l’employeur, qui avait considéré que le travailleur s’était prévalu à tort d’un congé immédiat et que celui-ci est redevable d’une indemnité de rupture.


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