Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 21 janvier 2021, R.G. 2019/AL/354
Mis en ligne le vendredi 25 juin 2021
Cour du travail de Liège (division Liège), 21 janvier 2021, R.G. 2019/AL/354
Terra Laboris
Dans un arrêt du 21 janvier 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège), renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation et à celle de la Cour constitutionnelle, rappelle la légalité de la présomption d’exposition au risque dans le secteur public en cas de maladie professionnelle, cette présomption valant tant pour les maladies de la liste que pour celles hors liste.
Les faits
Une employée communale adresse à sa hiérarchie, à plusieurs reprises entre 2005 et 2011, des plaintes eu égard à une surcharge de travail, surcharge constatée par le service de prévention et de médecine du travail (S.P.M.T.). Elle est victime d’un stress professionnel ayant des répercussions sur sa tension artérielle, ce qui entraîne des recommandations de la médecine du travail. Elle connaît, à partir de 2012, des périodes de maladie. Elle sollicite, ensuite, une réduction de son temps de travail. En 2015, un burnout est constaté, le médecin du travail soulignant qu’il était indispensable d’aider l’intéressée à gérer sa santé mentale. Vu l’aggravation de celle-ci, un état anxio-dépressif majeur est constaté par un médecin-psychiatre, en 2016, celui-ci concluant à une maladie professionnelle.
Une demande d’indemnisation est introduite pour une affection ne figurant pas sur la liste belge des maladies professionnelles. FEDRIS propose de rejeter la demande, considérant que le critère de l’origine (étant la cause déterminante et directe exigée) n’est pas rempli.
Une procédure est introduite en vue d’obtenir la reconnaissance du burnout en tant que maladie professionnelle.
Le Tribunal du travail de Liège (division Huy) rend un jugement le 8 mai 2019, désignant un expert et demandant à ce dernier notamment de décrire l’affection dont l’intéressée se plaint et de proposer une qualification médicale.
FEDRIS interjette appel du jugement, demandant, devant la cour, qu’il soit dit pour droit que les conditions d’indemnisation de l’article 30bis des lois coordonnées le 3 juin 1970 ne sont pas rencontrées et de conclure à l’illégalité de la présomption d’exposition au risque dans le secteur public, cette demande tendant, ainsi, à obtenir que l’exposition au risque dans ce secteur soit définie de manière similaire au secteur privé.
Une question préjudicielle est proposée, à destination de la Cour constitutionnelle, concernant l’habilitation donnée au Roi par les articles 1er et 2, alinéa 6, de la loi du 3 juillet 1967 d’instituer une présomption d’exposition pour les demandes hors liste, ce qui a pour effet de traiter différemment les victimes d’une maladie professionnelle du secteur privé (qui doivent démontrer l’exposition au risque pour les pathologies introduites dans le cadre du système hors liste) et celles d’une maladie professionnelle dans le secteur public (qui bénéficient d’une présomption d’exposition).
L’arrêt de la cour
La cour reprend le droit. S’agissant d’un membre du personnel statutaire d’une administration locale, elle se réfère notamment à l’arrêté royal du 21 janvier 1993 relatif à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles en faveur de certains membres du personnel appartenant aux administrations provinciales et locales.
Après le rappel des deux arrêts de la Cour de cassation des 4 avril 2016 (Cass., 4 avril 2016, n° S.14.0039.F) et 10 décembre 2018 (Cass., 10 décembre 2018, n° S.18.0001.F), elle précise qu’elle se rallie à cette jurisprudence, reprenant d’ailleurs des extraits des conclusions de M. l’Avocat général GENICOT avant l’arrêt du 4 avril 2016.
Elle examine ensuite la légalité de la présomption, étant l’habilitation donnée au Roi, faculté dont Il a fait usage dans l’arrêté royal du 21 janvier 1993 à son article 5. La cour constate que et FEDRIS et l’administration communale employeur contestent la légalité de cette présomption, étant qu’elles soulèvent une contestation des deux arrêts de la Cour de cassation ci-dessus.
L’argument est que, la Cour de cassation ayant estimé que la loi du 3 juillet 1967 ne renvoie pas à l’article 32 des lois coordonnées, il faudrait constater que le Roi n’était plus habilité à instaurer de présomption dans le secteur public. La cour renvoie alors à une abondante doctrine ainsi qu’à diverses décisions de jurisprudence très récentes, précisant qu’elle ne partage pas l’analyse de FEDRIS et de la Commune, retenant, au contraire, la légalité de la présomption d’exposition au risque professionnel de la maladie dans le secteur public.
Quant à l’habilitation, la loi précise que le Roi rend applicable le régime institué par elle « aux conditions et dans les limites qu’Il fixe ». Il y a donc une délégation étendue et aucune disposition dans la loi du 3 juillet 1967 n’interdit au Roi d’établir des présomptions. L’article 108 de la Constitution confère au Roi un pouvoir général d’exécution des lois qui L’autorise à dégager du principe de la loi et de son économie générale les conséquences qui en découlent naturellement d’après l’esprit qui a présidé à sa conception et les fins qu’elle poursuit (16e feuillet de l’arrêt – avec rappel à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 octobre 2018, n° 125/2018).
La cour rejette ensuite la demande faite de poser à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle. L’existence d’une discrimination suppose en effet notamment que la différence de traitement de catégories suffisamment comparables et/ou l’identité de traitement de catégories différentes ne soient pas raisonnablement justifiées.
Il faut, pour la cour, analyser en priorité la mesure dans laquelle les catégories visées sont identiques ou suffisamment comparables. Or, elles sont différentes, et ce notamment en raison du principe de mutabilité de l’agent public. Renvoyant à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 9 août 2012 (C. const., 9 août 2012, n° 102/2012), elle en confirme le principe, étant que l’indemnisation d’une maladie professionnelle dans le secteur public et le secteur privé répond à des logiques fondées sur un risque différent. Dans le secteur privé, la prévention de ce risque repose sur l’employeur privé, mais le risque est indemnisé par FEDRIS, lequel est sans pouvoir pour le limiter, alors que, dans le secteur public, la limitation et l’indemnisation sont à charge de l’employeur public.
La cour retient encore d’autres distinctions en ce qui concerne les deux secteurs au niveau des conditions d’accès aux informations relatives à l’occupation du travailleur. Elle en déduit qu’il n’y a pas de discrimination, dans la mesure où l’employeur public dispose de la capacité de limiter l’apparition de maladies professionnelles par l’établissement d’une stratégie de limitation des risques adéquate et que les éléments nécessaires au renversement de la preuve de l’exposition au risque sont en sa possession.
Elle aborde, enfin, dans un important rappel, la définition de l’exposition au risque dans le secteur public, avec l’évolution historique, reprenant notamment les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 1990 portant des dispositions sociales, qui a introduit l’article 30bis dans les lois coordonnées du 3 juin 1970, pour conclure que l’exposition au risque professionnel n’est pas liée à une profession particulière mais peut relever du milieu professionnel dans lequel évolue le travailleur indépendamment de son travail effectif, les travaux, tout comme les milieux de travail, pouvant ainsi exposer au risque professionnel.
Plusieurs renvois sont faits à la doctrine de Laurent VOGEL (L. VOGEL, « De la silicose des mineurs aux lombalgies des infirmières : réflexions critiques sur le droit des maladies professionnelles », R.D.S., 2015/3, pp. 475 et s.), qui a souligné que l’impact négatif du travail sur la santé a fait l’objet d’observations multiples tout au long de l’histoire. Cet impact ne résulte pas uniquement des conditions matérielles de la production mais également des rapports sociaux. La division du travail ne se limite pas à une distribution fonctionnelle et technique de tâches suivant des compétences propres aux individus. Elle a une dimension sociale et collective, l’auteur citant notamment le syndrome des téléphonistes (névrose des téléphonistes), qui ne leur est pas propre mais concerne tous les emplois comportant, avec ou sans fatigue musculaire, un rythme excessivement rapide des opérations. De même, les pathologies qui portent atteinte à la santé mentale, celles qui sont liées aux risques psycho-sociaux (dont le burnout), les dépressions, le stress post-traumatique, corrélés avec des risques du travail.
La cour va, en conséquence, admettre l’exposition au risque (qui peut être renversée par FEDRIS et/ou la Commune) ainsi que le lien causal.
Sur l’exposition au risque de la maladie, la cour demande à l’expert de dire s’il peut être exclu, avec le plus haut degré de vraisemblance, selon les connaissances médicales actuelles, que l’employée a été exposée au risque de la maladie professionnelle en cause, sachant qu’il y a risque professionnel lorsque le milieu professionnel génère un danger potentiel pour la santé (un risque) pouvant provoquer la maladie (c’est en ce sens que l’agent nocif doit être inhérent à la profession entendue au sens large du terme). L’exposition doit être suffisante (en durée, en fréquence et/ou en intensité) pour créer le risque que le travailleur contracte la maladie et elle doit être plus grande que celle subie par la population en général.
Intérêt de la décision
Après les deux arrêts de principe de la Cour de cassation des 4 avril 2016 et 10 décembre 2018, qui sont décisifs quant aux règles applicables à la reconnaissance d’une maladie professionnelle dans le secteur public, la présomption d’exposition au risque et son application en cas de maladie hors liste semblent tout à fait acquises, ce deuxième arrêt rendu par la Cour du travail de Liège le confirmant d’ailleurs.
L’on peut rappeler un précédent arrêt rendu le 9 septembre 2020 par la même cour du travail, mais autrement composée (C. trav. Liège, div. Liège, 9 septembre 2020, R.G. 2019/AL/344 – précédemment commenté). Un travail d’investigation dans les travaux préparatoires y avait également été mené quant à la volonté du législateur. L’arrêt du 9 septembre 2020 avait déjà retenu que celle-ci excluait de considérer que l’exposition au risque professionnel soit inhérente à l’exercice de la profession au sens strict du terme limité aux tâches à effectuer, la cour précisant que le facteur d’exposition au risque était acquis au travailleur qui séjournait dans une section d’entreprise même sans y appartenir.
Le parallélisme avait été fait avec le régime des accidents du travail, dont l’article 7, alinéa 1er, de la loi du 10 avril 1971 exige que l’événement soudain survienne dans le cours de l’exécution du contrat de travail, cette disposition étant également présente à l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967, où, cependant, il n’était pas fait référence au cours du travail ou des fonctions au sens de l’exécution des prestations de travail, s’agissant d’une notion plus large liée non à l’exécution du travail mais au fait de l’autorité de l’employeur.