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Conditions d’intervention du Fonds spécial de solidarité : un arrêt de la Cour du travail de Liège

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 4 mars 2021, R.G. 2020/AN/62

Mis en ligne le vendredi 25 juin 2021


Cour du travail de Liège (division Namur), 4 mars 2021, R.G. 2020/AN/62

Terra Laboris

Dans un arrêt du 4 mars 2021, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle la limite du contrôle judiciaire d’une décision du Collège des médecins directeurs de l’I.N.A.M.I. relative à l’intervention du Fonds spécial de solidarité : il s’agit d’un contrôle de légalité externe, où sont vérifiés la motivation de la décision conformément aux obligations de la Charte de l’assuré social, ainsi que, sur le montant alloué, le caractère non manifestement déraisonnable, disproportionné ou abusif du montant octroyé.

Les faits

Le Fonds spécial de solidarité de l’I.N.A.M.I. a pris une décision en mars 2017, refusant d’intervenir dans les frais de soins prodigués à une mineure, et ce en Espagne. Il est fait grief aux parents de ne pas avoir sollicité de demande préalable auprès du Collège des médecins directeurs, et ce en l’absence de cas de force majeure. Le Fonds considère que le couple avait le temps d’introduire une demande auprès de l’organisme assureur, le Collège pouvant également statuer. L’intervention est rejetée pour ce motif.

Les parents font valoir pour leur part que la technique chirurgicale pratiquée n’existe pas en Belgique et que les spécialistes avaient conseillé de ne plus attendre, alors que le délai qui leur avait été annoncé pour l’autorisation du Fonds était de quarante-cinq jours ouvrables. Ces renseignements auraient été donnés par leur organisme assureur A.M.I.

Le tribunal du travail a rendu deux jugements, le premier en date du 2 mai 2019, ordonnant une réouverture des débats aux fins de mieux expliquer la situation des parents, qui avaient été confrontés à un cas de force majeure, ceci les empêchant d’obtenir en temps utile l’autorisation visée par l’article 25sexies de la loi coordonnée du 14 juillet 1994. Il a, dans un second jugement, daté du 5 mars 2020, accueilli le recours et annulé la décision du Collège des médecins directeurs, estimant que les conditions de l’article 25sexies étaient remplies.

L’I.N.A.M.I. a interjeté appel, contestant la force majeure retenue par le premier juge. Il fait valoir que celle-ci n’est pas visée à l’article 25 de la loi et il reproche également au tribunal d’avoir estimé que l’intervention chirurgicale répondait aux conditions de l’article 25sexies (étant notamment qu’elle présentait une valeur scientifique et une efficacité largement reconnue par les instances médicales internationales faisant autorité).

La décision de la cour

La cour rappelle les faits, étant que la fille du couple est atteinte de l’affection en cause depuis l’âge de deux ans (douleurs des membres inférieurs, avec une intensification des problèmes de santé depuis). A été diagnostiquée une maladie rare (malformation de Chiari – type I avec complications). Malgré une intervention et une hospitalisation dans le courant de l’année 2017, la situation s’est dégradée. Un neurologue a été consulté en urgence, lequel a souligné la gravité des douleurs et a conseillé une opération en Espagne. Contact ayant été pris avec la mutuelle quant à la prise en charge, l’information du délai de quarante-cinq jours a été donnée, de telle sorte qu’ils n’ont pas introduit la demande.

Le coût est de l’ordre de 18.500 euros et, après cette opération, il a été constaté que l’état de la jeune fille s’est considérablement amélioré. La demande d’intervention a dès lors été transmise.

La cour rappelle qu’après le jugement, le Collège a informé les parents qu’il intervenait, mais ce à concurrence d’un montant de l’ordre de 1.000 euros environ, paiement fait malgré la procédure pendante devant la cour.

La cour reprend ensuite l’avis du Ministère public, pour qui l’intervention présentait une valeur scientifique suffisante. Sur le montant de l’intervention, l’avocat général relève qu’il revient au Collège des médecins directeurs de fixer ce montant, celui-ci disposant d’un pouvoir discrétionnaire. Le juge doit vérifier, dans le cadre du contrôle judiciaire, si la décision n’est pas manifestement déraisonnable, arbitraire ou disproportionnée. Elle doit en outre faire l’objet d’une motivation formelle et adéquate. L’avocat général relève que le Collège n’explique pas le motif pour lequel il est intervenu à raison de 5,5% du montant total de l’intervention et il sollicite en conséquence l’annulation de la décision, le Collège devant être invité à se prononcer sur le montant octroyé.

La cour statue, ensuite, sur la recevabilité de l’appel et conclut que celui-ci est irrecevable à l’encontre du premier jugement et que l’existence du cas de force majeure a été reconnue dans celui-ci.

Elle aborde ensuite le fond et renvoie en premier lieu au Règlement européen n° 883/2004 à cet égard. Son article 20 prévoit, en ce qui concerne l’autorisation, qu’elle est accordée lorsque les soins dont il s’agit figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel réside l’intéressé et que ces soins ne peuvent lui être dispensés dans un délai acceptable sur le plan médical, compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution probable de la maladie. La loi coordonnée le 14 juillet 1994 consacre en son article 136, § 1er, le principe de la territorialité des prestations des soins de santé.

Lorsqu’ils ne sont pas prévus par la nomenclature, la cour rappelle qu’ils peuvent être pris en charge via le Fonds spécial de solidarité, auprès duquel une demande peut être introduite. La décision du Collège peut faire l’objet d’un contrôle de légalité, la cour soulignant que l’article 25 ne confère pas au Collège une compétence discrétionnaire en ce qui concerne le droit à l’intervention, mais pour ce qui est du montant. Celui-ci doit en effet être fixé dans les limites des moyens financiers du Fonds. Le contrôle judiciaire ne peut porter que sur le caractère manifestement déraisonnable, abusif ou disproportionné du montant alloué, la cour renvoyant ici à un arrêt de la Cour de cassation du 12 mars 2018 (Cass., 12 mars 2018, n° S.17.0077.N).

L’examen des conditions de l’article 25sexies vient ensuite, la cour reprenant celles-ci l’une après l’autre. Il s’agit de prestations onéreuses – le montant n’étant pas contesté. Ces prestations ne relèvent plus d’un stade expérimental et visent le traitement d’une affection qui porte atteinte aux fonctions vitales de la bénéficiaire, la cour relevant que certaines atteintes neurologiques peuvent occasionner des lésions irréversibles. Quant à l’absence d’une alternative thérapeutique acceptable en matière de diagnostic ou de thérapie en Belgique, elle relève que, nonobstant la consultation de nombreux spécialistes, aucun autre traitement thérapeutique n’a été suggéré en Belgique que ce qui avait été pratiqué auparavant. Ces prestations ont été prescrites par un médecin spécialisé dans le traitement de l’affection concernée et autorisé à pratiquer la médecine dans un Etat membre de l’UE ou de l’EEE. Elles présentent une valeur scientifique et une efficacité largement reconnues par les instances médicales internationales faisant autorité, question sur laquelle la cour s’attarde longuement, des discussions d’ordre purement médical ayant surgi dans l’argumentation des parties. Il est en effet relevé que la rareté du syndrome empêche de mener des études représentatives et qu’en conséquence, cet aspect doit être pris en considération dans l’appréciation de cette condition. La cour estime, eu égard aux éléments examinés, que la condition est remplie et qu’il n’y a pas lieu de recourir à une expertise.

Enfin, sur le montant de l’intervention, elle confirme qu’elle ne peut déterminer le montant lui-même, mais se limiter à un contrôle externe concernant notamment la motivation formelle adéquate et suffisante au regard de la Charte de l’assuré social. Elle relève que les frais pour lesquels une intervention est demandée entrent dans des frais d’hospitalisation normalement couverts par une éventuelle assurance hospitalisation, s’agissant de frais d’hospitalisation de clinique privée et/ou de chambre privée. La décision du Collège des médecins directeurs se fonde sur les tarifs de ces prestations reprises dans la nomenclature des prestations de soins de santé. La cour y voit un critère objectif et conclut que la décision n’est pas déraisonnable, abusive ou disproportionnée. Il n’y a dès lors pas lieu de l’annuler.

Intérêt de la décision

Les critères d’octroi d’une intervention du Fonds spécial de solidarité sont repris à l’article 26sexies de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Ils sont passés en revue successivement par la cour et celle-ci a ainsi pu conclure que les conditions légales étaient remplies. La cour – comme l’avocat général – rappelle la limite du contrôle judiciaire quant au montant de l’intervention du Fonds spécial de solidarité, le contrôle étant un contrôle externe (de légalité) de la décision, la vérification du montant alloué ne pouvant se faire que par le prisme du caractère arbitraire ou disproportionné de celle-ci. En l’occurrence, un critère objectif a été retenu, de telle sorte que la cour limite son contrôle judiciaire à la reconnaissance de celui-ci.

Renvoi a été fait dans cet arrêt à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 mars 2018 (n° S.17.0077.N). Dans celui-ci, la Cour a conclu que le contrôle de légalité de la décision prise par le Collège des médecins directeurs est de la compétence des juridictions du travail (articles 167, 1er alinéa, de la loi O.N.S.S., ainsi que 580, 2°, et 581, 2°, du Code judiciaire), celles-ci connaissant des litiges relatifs aux droits des travailleurs salariés et indépendants dans le cadre de la législation en matière d’assurance maladie-invalidité. L’article 25, 3e alinéa, de la loi O.N.S.S. ne confère pas au Collège des médecins directeurs une compétence discrétionnaire en ce qui concerne le droit à l’intervention du Fonds. Relève cependant de la compétence discrétionnaire du Collège le montant de celle-ci, qui doit être fixé dans les limites des moyens financiers de celui-ci. Le juge ne peut que vérifier si la décision n’est pas manifestement déraisonnable, abusive ou disproportionnée.

Relevons encore que, dans un arrêt plus récent du 7 octobre 2019 (Cass., 7 octobre 2019, n° S.18.0092.N), elle a jugé en substance que le Fonds spécial de solidarité intervient lorsqu’il est satisfait aux conditions fixées par la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et à la condition que l’assuré social ait fait valoir ses droits en vertu d’une législation belge, étrangère ou supranationale, ou encore d’une convention individuelle ou conclue collectivement. Il n’intervient (pour ce qui est de l’espèce visée) que dans le coût des prescriptions médicales pour lesquelles il n’y a aucune intervention prévue dans les dispositions réglementaires de l’assurance soins de santé belge ou dans des dispositions légales d’une réglementation étrangère relative à l’assurance obligatoire. Les articles 25 à 25decies de la loi, qui renferment les dispositions relatives au Fonds spécial de solidarité, ne prévoient pas d’exception aux dispositions de la loi sur les médicaments.

Les juridictions sont régulièrement saisies quant aux conditions légales et l’on peut à cet égard encore renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 juillet 2020 (C. trav. Bruxelles, 9 juillet 2020, R.G. 2015/AB/265), relatif à la question de l’alternative acceptable sur le plan médico-légal. La cour du travail a précisé à cet égard que la condition légale d’une alternative acceptable sur le plan médico-social signifie notamment que la situation doit être examinée, au cas par cas, par le Collège des médecins directeurs. Le caractère acceptable sur le plan médico-social de l’alternative ne doit, en d’autres termes, pas être détaché d’une approche spécifique du cas individuel posé, outre qu’il doit être examiné, non seulement sur le plan médical mais également sur le plan social, le second pouvant tempérer le premier.


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