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Grève perlée dans le secteur public et droit à la rémunération

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 28 mai 2021, R.G. 2020/AL/258

Mis en ligne le vendredi 25 juin 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 28 mai 2021, R.G. 2020/AL/258

Terra Laboris

La cour du travail a été saisie d’une affaire opposant la Zone II Intercommunale d’Incendie de Liège et environs à cent-nonante-sept pompiers occupés par elle sous statut.

Suite à un conflit social important survenu à la fin de l’année 2013 (ayant pour origine la question de la masse d’habillement), une grande partie du personnel a entrepris de faire grève. A la suite de celle-ci, qui dura six jours, certains firent une « grève administrative », étant qu’ils ont presté leur horaire de travail complet, mais n’ont délibérément pas effectué certaines des tâches qui leur incombaient. Il s’agit, en d’autres termes, d’une « grève perlée ». L’administration retint 10% de leur rémunération à partir du mois de février 2014, demandant le remboursement de 10% pour le mois de janvier.

Suite à l’action introduite par les intéressés, le Tribunal du travail de Liège condamna l’employeur à payer les rémunérations brutes complètes.

Suite à l’appel de celui-ci, la cour du travail statue d’abord sur la qualification du mouvement social collectif entamé par les pompiers, rappelant que les actions collectives qui ne prennent pas la forme d’un arrêt de travail mais d’une exécution délibérément défectueuse du travail ne relèvent pas de celui-ci. Ce type de grève ne correspond pas aux conditions d’authenticité de la grève, s’agissant de l’exécution défectueuse du contrat de travail mais non d’une modalité de l’exercice du droit de grève tel que reconnu par la Cour de cassation.

La cour du travail examine ensuite le droit au traitement des agents du service public, actant que l’agent en activité de service a droit au traitement et à l’avancement de traitement, puisqu’il est dans une position administrative qui lui vaut, de par son statut, son traitement d’activité ou, à défaut, la conservation de ses titres à l’avancement de traitement. La cour note qu’il s’agit d’une différence notable entre travailleurs contractuels et statutaires : alors que la rémunération d’un travailleur salarié constitue la contrepartie de ses prestations de travail, le droit au traitement d’un agent découle de la position administrative qu’il occupe. Sur la base de leur position administrative et en l’absence de disposition formelle contraire, ils avaient dès lors droit à leur traitement complet.

Elle constate par ailleurs que les retenues effectuées sont intervenues en dehors de toute procédure disciplinaire et ne correspondent dès lors pas à des sanctions disciplinaires. Elles sont illégales au sens de l’article 23 de la loi du 12 avril 1965 relative à la protection de la rémunération, applicable aux travailleurs du service public.

Vient ensuite l’examen de ce qui constitue, selon l’employeur public, un principe général de droit, étant la « règle du service fait ». Cette thèse, puisée dans le droit français, est une référence peu pertinente pour fonder un principe général de droit belge. Dans sa jurisprudence, la Cour de cassation a certes considéré que le travailleur n’a pas droit à sa rémunération pour la période pendant laquelle il n’a pas travaillé, même du fait de l’employeur. Cette jurisprudence est régulièrement appliquée dans le secteur privé pour justifier l’absence de rémunération de travailleurs grévistes. La cour relève cependant qu’il n’est pas certain qu’elle puisse être appliquée dans le secteur public, vu que la rémunération est la contrepartie du travail fourni en exécution du contrat de travail. S’agissant d’agents statutaires, le traitement ne constitue pas la contrepartie des prestations de travail mais découle de la position administrative dans laquelle l’agent se trouve.

Enfin, l’exception d’inexécution ne peut justifier de retenir une partie de la rémunération d’un travailleur au motif qu’il n’exécuterait pas convenablement ou pas complétement le travail convenu, fût-ce dans le cadre d’un mouvement de contestation collectif (la cour renvoyant ici à la doctrine de F. LAMBINET, « La protection de la rémunération, le point sur les retenues, saisies et cessions », La protection de la rémunération – 50 ans d’application de la loi du 12 avril 1965, Anthémis, 2016, p. 151).


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