Terralaboris asbl

Licenciement intervenu dans un contexte de manquements de l’employeur aux règles de sécurité et C.C.T. n° 109

Mis en ligne le mercredi 28 juillet 2021


C. trav. Bruxelles, 15 mars 2021, R.G. 2018/AB/497

Par un arrêt du 15 mars 2021, la Cour du travail de Bruxelles conclut, dans un contexte de manquements aux règles de sécurité dans une entreprise, qu’il est manifestement déraisonnable de faire porter la responsabilité d’un accident sur un travailleur en bout de chaîne et de le licencier en raison de ce fait. Le licenciement est manifestement déraisonnable, n’ayant pu être décidé par un employeur normal et raisonnable.

Les faits

Un ouvrier de maintenance effectue avec un collègue des travaux de préparation d’un local avant peinture. Le produit utilisé est un produit acide. Après l’application d’une deuxième couche, survient un dégagement de fumées toxiques, qui vont être inhalées par les intéressés et d’autres personnes présentes dans le local. L’ensemble de celles-ci sont prises en charge au service des urgences de l’hôpital où ces ouvriers étaient précisément affectés. Les déclarations d’accident du travail sont rédigées. L’ensemble de ces personnes étant en incapacité de travail pendant quatre jours, l’intéressé ne revient lui-même au travail que quelques jours plus tard. Il est alors licencié, ainsi que son collègue, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Un arrêt de travail étant survenu parmi le personnel, le collègue est réintégré. Celui qui ne l’est pas demande à connaître les motifs du licenciement. Ceux-ci sont précisés comme étant d’avoir répandu un produit dangereux sans l’avoir dilué, entraînant une réaction chimique et une émanation toxique de fumées, avec les conséquences que l’on sait.

Une plainte est alors déposée par le travailleur auprès de l’Auditorat du travail de Bruxelles et le Contrôle du bien-être au travail procède à une enquête. Il est conclu à l’absence de faute de la société en matière de prévention. La plainte est classée sans suite.

Une procédure est cependant introduite par l’intéressé aux fins d’obtenir une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable sur pied de la C.C.T. n° 109 ou, le cas échéant, des dommages et intérêts.

Le tribunal du travail donne gain de cause au travailleur, condamnant la société au paiement de l’indemnité réclamée, et ce à concurrence du maximum de la fourchette, soit, en l’espèce, environ 12.600 euros.

La société interjette appel. Elle conteste le caractère manifestement déraisonnable du licenciement.

La décision de la cour

La cour fait un rappel clair et structuré des règles de droit utiles pour l’examen de la demande. Elle fait une mise au point, en premier lieu, sur les conditions du licenciement manifestement déraisonnable. La société considère, en effet, que tel n’est le cas que si le licenciement répond cumulativement à deux critères, étant d’une part qu’il se base sur des motifs qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur et qui ne sont pas fondés sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, et, d’autre part, qu’il se base ou non sur l’un de ces motifs, qu’il n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable.

Pour la cour, interpréter ainsi la règle constitue un franc recul qui ne correspond pas à la volonté des partenaires sociaux. Elle rappelle que, si c’est la conduite du travailleur qui est invoquée, le juge doit vérifier si l’existence de la conduite reprochée et son lien causal avec le licenciement sont certains. Par ailleurs, lorsqu’il apprécie le caractère non déraisonnable du licenciement, il conclura qu’est déraisonnable un licenciement qui n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable, ce qui est un contrôle marginal. La restriction de l’étendue du contrôle judiciaire découle des adverbes « manifestement » et « jamais » et est confirmée par le commentaire de l’article 8 (les partenaires sociaux ayant précisé qu’il s’agit d’une compétence d’appréciation à la marge, étant donné que l’employeur est, dans une large mesure, libre de décider de ce qui est raisonnable : il faut respecter les différentes alternatives de gestion qu’un employeur normal et raisonnable pourrait envisager).

La cour aborde ensuite les obligations de l’employeur et du travailleur en matière de sécurité au travail, reprenant la loi du 4 août 1996 à cet égard (articles 5 et 6) ainsi que l’arrêté royal du 27 mars 1998, relatif à la politique du bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, et celui du 11 mars 2002, relatif à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs contre les risques liés à des agents chimiques sur le lieu du travail (arrêté royal intégré depuis dans le Code du bien-être au travail).

Les diverses obligations de l’employeur sont reprises, étant de procéder à une évaluation écrite des risques, obligation détaillée aux articles 8, 9 et 12, en ce compris lorsqu’une activité nouvelle impliquant des agents chimiques dangereux est envisagée. Sont également reprises les obligations en matière de prévention.

En cas d’accident du travail grave, le S.P.P.T. a également un rôle à jouer, devant notamment établir un rapport circonstancié à destination du Contrôle du bien-être au travail.

En l’espèce, la cour considère que l’employeur a commis des manquements en matière de sécurité au travail. Le caractère dangereux de l’agent chimique en cause n’est pas contesté, non plus que celui d’accident grave de l’accident du travail survenu.

L’utilisation du produit constituait pour la cour une activité nouvelle, impliquant des agents chimiques dangereux. Elle reprend les consignes de sécurité, qui imposaient notamment une aération des lieux où il était utilisé. Elle constate que la société ne s’est pas conformée à ses obligations de prévention et de protection des travailleurs.

Quant à l’intéressé, la cour examine si lui-même a commis un manquement en matière de sécurité au travail et constate que les reproches qui lui sont adressés ne sont pas établis. Elle détaille longuement les éléments à partir desquels elle retient cette conclusion et constate également que la société n’a pas suffisamment investigué quant aux causes et aux circonstances de l’accident (absence d’audition de deux travailleurs présents, absence de visite de la délégation restreinte du C.P.P.T. dans le décours de l’accident, etc.).

Elle conclut au caractère manifestement déraisonnable du licenciement, relevant encore que la société fait porter au travailleur l’ensemble de la responsabilité de l’accident survenu alors qu’elle-même n’a pas rempli ses obligations légales et qu’il y a un doute quant à une éventuelle responsabilité du travailleur, doute découlant des carences de l’enquête menée par l’employeur (ligne hiérarchique et conseiller en prévention). Le licenciement n’aurait dès lors jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable. Celui-ci a finalement eu pour effet de faire porter toute la responsabilité de l’accident sur le travailleur et, ainsi, de dédouaner la hiérarchie de sa responsabilité. Il ne s’agit pas ici d’une alternative de gestion qu’un employeur normal et raisonnable aurait pu envisager dans les circonstances de la cause.

Intérêt de la décision

Le libellé de la convention collective n° 109 en son article 8 a prêté à diverses interprétations, précisément eu égard à la conjonction « et » utilisée après l’énonciation des motifs visés (aptitude, conduite ou nécessités de fonctionnement), cette conjonction introduisant un nouveau membre de phrase, étant : « et qui n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable ».

Pour la cour, cette conjonction « et » doit en réalité se lire comme signifiant « ou », l’arrêt énonçant que la disposition doit être interprétée en ce sens que le licenciement manifestement déraisonnable est le licenciement qui :

  • soit se base sur les motifs énoncés,
  • soit, qu’il se base ou non sur l’un de ces motifs, n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable.

Le comportement de l’employeur dans la décision de licenciement fait l’objet du contrôle judiciaire, celui-ci étant cependant un contrôle marginal. La cour y voit comme confirmation l’usage des adverbes « manifestement » et « jamais » à l’article 8. Ce contrôle judiciaire intervient, ainsi, eu égard au pouvoir de gestion de l’entreprise, l’employeur étant dans une large mesure libre de décider ce qui est raisonnable.

La cour rappelle que, dans leur commentaire de l’article 8, les partenaires sociaux ont précisé qu’il faut respecter les différentes alternatives de gestion de l’employeur, à l’aune cependant de l’employeur normal et raisonnable. Il découle de l’arrêt commenté que n’est pas un employeur normal et raisonnable celui qui a manqué à ses obligations de prévention, s’agissant en l’occurrence des obligations prévues en matière de bien-être, ainsi que, plus précisément, celles relatives aux risques liés à l’utilisation d’agents chimiques sur les lieux du travail.

Comme l’a libellé la cour in fine de son arrêt, il y a eu une chaîne des manquements qui ont conduit à un accident et il est, dans ce contexte, « manifestement déraisonnable de faire porter toute la responsabilité sur le seul exécutant en bout de chaîne, à qui il est finalement imposé de dédouaner sa hiérarchie de toute responsabilité » (10e feuillet).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be