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Recommandations du conseiller en prévention-médecin du travail : rappel de l’obligation de reclassement

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 12 mars 2021, R.G. 19/490/A

Mis en ligne le mardi 14 septembre 2021


Tribunal du travail de Liège (div. Liège), 12 mars 2021, R.G. 19/490/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 12 mars 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) examine le respect par une institution hospitalière de l’obligation mise à charge de l’employeur par l’article I.4.68 du Code du bien-être au travail d’affecter le plus rapidement possible à un autre poste ou à une autre activité conforme aux recommandations fournies par le conseiller en prévention-médecin du travail tout travailleur dont le formulaire d’évaluation de santé en fait la recommandation.

Les faits

Une employée d’une institution hospitalière travaillait au secrétariat d’un service de celle-ci depuis plusieurs années lorsqu’elle subit une incapacité de travail d’environ quatre mois (hospitalisation). Elle reprit le travail et retomba plus de deux ans plus tard en incapacité, vu des difficultés liées à son environnement de travail. La médecine du travail rédigea un formulaire d’évaluation de santé, concluant qu’elle avait les aptitudes suffisantes pour le poste mais qu’il était recommandé que les prestations de travail soient fournies dans un autre service. L’institution ne suivit pas cette recommandation et l’intéressée fut placée en chômage temporaire pour force majeure médicale. Elle en fut exclue sept mois plus tard sur la base de l’avis du médecin agréé par l’ONEm. Celui-ci considérait que l’intéressée était définitivement inapte à un emploi d’assistante de consultation. Cette inaptitude définitive fut confirmée par le tribunal du travail, qui fut saisi d’un recours de l’intéressée. Celle-ci s’est dès lors retrouvée sans allocations de chômage et n’a perçu aucune rémunération de son employeur.

Suite au jugement rendu, le conseil de l’employée prit contact avec les ressources humaines de l’hôpital, considérant qu’il fallait constater la rupture du contrat de travail et proposa de rechercher une solution transactionnelle. Il confirma après un entretien qu’il avait été convenu d’y mettre un terme. Il précisait que cette rupture intervenait « tout droit sauf ».

L’employeur, pour sa part, confirma une semaine plus tard qu’il ne pouvait que constater qu’il y avait force majeure mettant l’employée dans l’impossibilité de poursuivre son contrat de travail. Il précisait que les recherches en vue d’un reclassement remontaient à une période antérieure à la législation sur les trajets de réintégration (janvier 2016) et qu’il serait inopportun d’entamer un tel trajet à ce moment, l’issue étant déjà connue. Le C4 fut délivré avec pour mention « force majeure », le motif précis étant « pas de poste adapté ».

Une procédure fut introduite en contestation de celle-ci. L’intéressée y postule notamment le paiement de sa rémunération pour la période se situant entre l’arrêt du paiement des allocations de chômage par l’ONEm et le constat de rupture (soit vingt-trois mois), une indemnité de rupture et la réparation d’un préjudice pour licenciement abusif ou manifestement déraisonnable.

La décision du tribunal

Le tribunal examine en premier lieu la qualification de la rupture. Le fait que le conseil de l’employée ait mentionné que celle-ci était réalisée tout droit sauf signifie qu’elle ne renonce pas à ses droits. Cependant, en réalité, le mode de rupture du contrat est une rupture d’un commun accord. Le tribunal tire cette conclusion de l’examen des échanges de correspondance. Il rejette la thèse de l’hôpital selon laquelle cet échange contenait un accord de l’intéressée sur un constat pour force majeure de la part de l’employeur. Pour le tribunal, l’employée a marqué son accord sur une rupture, et ce sans autre précision. Les mentions du C4 n’y changent rien. Aucune indemnité compensatoire de préavis n’est dès lors due, dans la mesure où il n’y a pas eu licenciement. L’indemnité pour licenciement abusif ne peut davantage être accordée.

Le tribunal en vient à la période non indemnisée (période consécutive à l’arrêt du paiement des allocations de chômage et précédant la rupture) et constate que la demanderesse ne donne pas de fondement à sa demande, se bornant à retenir que l’employeur a commis une faute en ne la réintégrant pas alors qu’elle avait postulé à divers emplois dans l’hôpital.

L’employeur soutenant qu’il n’a pas commis de faute, au motif qu’aucun poste de travail administratif n’était disponible en son sein, le tribunal rappelle les règles d’indemnisation du travailleur qui ne peut fournir son travail par suite de maladie ou d’accident, étant l’obligation pour l’employeur de payer une rémunération garantie, la possibilité d’obtenir ensuite des indemnités de mutuelle et le droit de bénéficier d’allocations de chômage temporaire (article 27, 2°, a), de l’arrêté royal organique) si le travailleur ne peut plus bénéficier des indemnités de mutuelle.

Sur la force majeure médicale, le jugement reprend l’article 34 L.C.T. et rappelle également que les modalités du trajet de réintégration sont en vigueur depuis le 1er décembre 2016 et ont actuellement été intégrées dans le Code du bien-être au travail (depuis le 12 juin 2017).

Pour ce qui est du paiement de la rémunération en tant que telle, le tribunal rappelle qu’elle est la contrepartie du travail fourni et qu’il ne peut dès lors faire droit à la demande ainsi libellée. Il examine celle-ci sous l’angle des dommages et intérêts, l’arrêt de la Cour de cassation du 20 avril 2009 (Cass., 20 avril 2009, n° S.08.0015.N) faisant obligation au juge d’examiner la nature juridique des faits et actes invoqués par les parties et de la faculté pour lui, quelle que soit la qualification juridique que les parties leur ont donnée, de suppléer d’office aux motifs qu’elles ont proposés (à condition cependant de ne pas soulever une contestation dont les parties ont exclu l’existence dans leurs conclusions, de se fonder uniquement sur des éléments régulièrement soumis à son appréciation, de ne pas modifier l’objet de la demande et de ne pas violer les droits de la défense).

La question à examiner ici est de savoir si l’hôpital a commis un manquement contractuel.

Le trajet de réintégration n’est, comme le rappelle le tribunal, obligatoire que dans la perspective (notamment) d’un constat de rupture du contrat pour force majeure médicale en raison de l’inaptitude définitive du travailleur. Cependant, d’autres obligations figurent dans l’arrêté royal du 28 mai 2003 (actuellement article I.4.68 du Code du bien-être au travail), faisant obligation à l’employeur d’affecter le plus rapidement possible à un autre poste ou à une autre activité conformes aux recommandations fournies par le conseiller en prévention-médecin du travail tout travailleur dont le formulaire d’évaluation de santé en fait la recommandation. Il s’agit d’une obligation de moyen, étant qu’il doit tout mettre en œuvre pour affecter le travailleur à un poste conforme aux recommandations de la médecine du travail.

S’il est dans l’impossibilité de ce faire, l’employeur doit fournir une justification au médecin-inspecteur social de la Direction générale C.B.E.

En l’espèce, l’intéressée était parfaitement apte à exercer toute fonction, mais en-dehors du service auquel elle était affectée.

Cette aptitude avait par ailleurs été confirmée par l’expert judiciaire désigné par le tribunal dans la précédente affaire introduite par l’intéressée (contestation de la décision de l’ONEm).

Le tribunal analyse les éléments de fait, constatant que l’intéressée a un curriculum vitae fourni, des expériences professionnelles variées et qu’elle a notamment posé sa candidature pour divers postes ouverts au sein de l’hôpital (six sollicitations).

L’employeur objecte qu’il aurait intégré l’intéressée dans le processus de sélection des divers candidats aux postes vacants et qu’il n’aurait de ce fait commis aucune faute.

Le tribunal ne partage pas cet avis, concluant à l’existence d’une réelle réticence dans le chef de l’employeur et d’un manque d’implication dans l’objectif de réintégration de l’employée. Il analyse les postes en cause et note que l’employeur avait, dans la correspondance avec le conseil de la demanderesse, pris des positions contradictoires, faisant à la fois état du caractère neutre des procédures de recrutement et, par ailleurs, de la possibilité d’une intervention personnelle du responsable des ressources humaines. Le tribunal voit, dans les conditions spécifiques émises par ce dernier dans la procédure de sélection, un traitement défavorable de l’intéressée. Il conclut qu’un manquement contractuel est avéré, l’employeur n’ayant pas tout mis en œuvre pour affecter l’employée à un poste conforme aux recommandations de la médecine du travail.

Les débats sont rouverts en ce qui concerne le préjudice.

Intérêt de la décision

L’actuelle procédure de trajet de réintégration est entrée en vigueur alors que le contrat de travail n’était pas encore rompu. Il aurait dès lors pu être suivi. Le trajet de réintégration peut aboutir, selon le cas, à la reprise du travail (ou d’un travail) ou, en cas d’inaptitude définitive et si le travailleur n’est pas en état d’effectuer chez le même employeur un travail adapté ou un autre travail, au constat de rupture pour force majeure due à cette inaptitude définitive.

Aucune des parties n’a en l’espèce décidé d’entamer cette procédure de trajet de réintégration. Elles ont, en-dehors de celle-ci, fait le constat de la rupture du contrat, que le tribunal a retenue comme étant intervenue d’un commun accord. Même dans cette hypothèse (qui va dès lors priver le travailleur du droit à une indemnité compensatoire de préavis et également à une autre indemnité due en cas de rupture unilatérale à l’initiative de l’employeur), d’autres obligations figurent dans l’arrêté royal du 28 mai 2003 (actuellement dans le Code du bien-être) concernant la réaffectation du travailleur suite à la fiche d’évaluation de santé remise par le médecin du travail. L’article 70, § 1er, de la disposition prévoit en effet à cet égard que l’employeur s’efforce d’affecter le plus rapidement possible à un autre poste ou à une autre activité conformes aux recommandations fournies par le conseiller en prévention-médecin du travail tout travailleur dont le formulaire d’évaluation de santé en fait la recommandation. L’employeur est tenu de présenter les justifications de l’impossibilité d’offrir un autre poste ou une autre activité au Contrôle du bien-être au travail.

Le jugement n’investigue pas ce qu’il en est en l’espèce de cette dernière obligation, ayant constaté que, même s’il s’agit d’une obligation de moyen, son respect doit faire l’objet du contrôle judiciaire. La conclusion dégagée dans le jugement est qu’il n’a pas été satisfait à l’obligation de reclassement, malgré la taille de l’entreprise, la période pendant laquelle des discussions sont intervenues, ainsi que malgré les offres auxquelles l’intéressée a postulé en interne.


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