Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 19 mars 2021, R.G. 19/121/A
Mis en ligne le mercredi 25 août 2021
Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 19 mars 2021, R.G. 19/121/A
Dans un jugement du 19 mars 2021, le Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai) rappelle la portée de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971, selon lequel un employeur qui occupe une travailleuse enceinte ne peut faire aucun acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail, sauf pour des motifs étrangers à l’état physique résultant de la grossesse.
Les faits
Une employée de magasin de vente au détail introduit une procédure devant le Tribunal du travail du Hainaut en contestation de son licenciement. Elle postule la condamnation de son employeur (personne physique) au paiement d’une indemnité de protection égale à la rémunération brute de six mois. Elle fait valoir qu’elle n’a jamais reçu d’avertissement quant à la qualité de son travail mais que son employeur a changé de comportement dès qu’il a été informé de son état de grossesse. Pour l’employée, la preuve de motifs étrangers à son état de grossesse n’est pas avérée. L’employeur considère de son côté que le licenciement n’est pas interdit mais que le pouvoir dont il dispose est restreint par l’article 40. Les motifs étrangers à l’état de grossesse sont, pour lui, des relations devenues « impossibles », vu une « démotivation croissante de l’intéressée », et une « certaine négligence dans l’exécution de son travail ». L’employeur fait valoir à cet égard que l’employée utilisait un ton sec pour répondre aux remarques qui lui étaient faites, ainsi qu’un comportement inadapté et insolent. Quant à la négligence dans l’exécution du travail, elle consistait à ne pas appliquer les règles convenues en cas de réservation d’une marchandise, à ne pas ouvrir les stores en cas de soleil et à ne pas être très active dans son magasin.
La décision du tribunal
Le tribunal reprend d’abord l’historique des relations professionnelles, constatant que la demanderesse a une ancienneté remontant à décembre 2008 et qu’elle n’a reçu aucun avertissement concernant son comportement au travail ou la qualité de ses prestations. Il note que, le jour du licenciement, l’intéressée a dû se rendre dans un autre magasin appartenant à l’employeur, qu’elle y a trouvé un mot de sa collègue (qui était par ailleurs la belle-mère de l’employeur) reprenant un ensemble de tâches qu’elle devait prendre en charge. Elle réagit par message également et fut licenciée le jour même avec comme motif sur le C4 : « communication et relations devenues impossibles entre nous suite à une démotivation croissante ».
C’est sur la base de ces éléments de fait que le tribunal examine le respect de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971. Celui-ci dispose en effet que, sauf pour des motifs étrangers à l’état physique résultant de la grossesse ou de l’accouchement, l’employeur qui occupe une travailleuse enceinte ne peut faire aucun acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail à partir du moment où il est informé de l’état de grossesse jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois prenant cours à la fin du congé post-natal. Il s’agit d’une restriction au droit de rupture et le tribunal renvoie à la doctrine de J. JACQMAIN (J. JACQMAIN, Obs. sous C. trav. Mons, 10 janvier 2011, Chron. D. S., 2013, p. 119), pour qui la portée de cette disposition est d’empêcher l’employeur de licencier en raison des « inconvénients » que peuvent lui occasionner les absences et congés garantis par la législation au titre de protection de la maternité, ainsi que, sans doute, une éventuelle perte de rendement due à des malaises induits par la grossesse.
Parmi les motifs pouvant être invoqués, peuvent être admis des motifs tirés du comportement de la travailleuse. Dans cette hypothèse, l’employeur doit cependant démontrer que les faits invoqués sont le résultat d’un comportement intentionnel de celle-ci, qui, sans être nécessairement un motif de licenciement pour motif grave, est néanmoins fautif. Il est renvoyé à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 27 mai 1981, J.T.T., 1982, p. 300) et à un autre de la Cour du travail de Gand (C. trav. Gand, 13 octobre 1997, T.G.R., 1997, p. 264). Un licenciement intervenant sur la base de la constatation d’erreurs commises ou de rendement insuffisant ne répond pas, pour le tribunal, à ce critère (5e feuillet). Les faits doivent en outre être objectivés, de simples affirmations ne suffisant pas.
Il rappelle que, dans le cadre du contrôle judiciaire de l’article 40, il n’y a pas de contrôle d’opportunité du licenciement mais que le juge va néanmoins vérifier la réalité du motif invoqué et celle du lien de causalité nécessaire entre celui-ci et le licenciement. Tel est le but poursuivi par le législateur. La preuve doit être apportée avec rigueur, et ce tant de la réalité du motif (faits étrangers) que de la relation causale.
Pour être étranger à l’état de grossesse, il est exigé que le motif le soit totalement, dans la mesure où, s’il est en partie lié à celui-ci et en partie étranger, la preuve légale n’est pas rapportée (le tribunal renvoyant ici à C. trav. Bruxelles, 8 décembre 2010, R.G. 2009/AB/52.266)
Vient ensuite un examen des éléments figurant au dossier suite auquel le tribunal souligne que la preuve du changement dans le comportement de l’employeur est évidente.
En outre, s’il n’est pas contesté que la travailleuse a fait preuve d’une certaine irritation, le tribunal estime que celle-ci est tout à fait admissible, dans la mesure où l’employeur a exercé, via des caméras installées dans le magasin, une surveillance régulière et soutenue de l’activité de l’intéressée, lui envoyant des messages critiques sur son comportement. Pour le tribunal, ceci constitue un manquement à l’article 16 de la loi du 3 juillet 1978. La réaction de l’intéressée n’est dès lors pas critiquable et le tribunal la juge non disproportionnée.
Intérêt de la décision
Dans cette espèce, où le fait l’emporte dans le texte de la décision, des principes importants sont rappelés en ce qui concerne la nature du motif étranger admis par l’article 40 de la loi du 16 mars 1971.
L’on rappellera le libellé de la disposition en ce qu’il vise non seulement le licenciement lui-même, mais également un acte que poserait l’employeur tendant à mettre fin unilatéralement au contrat, à savoir un acte préparatoire du licenciement. Ce principe a été rappelé par l’arrêt PAQUAY de la Cour de Justice (C.J.U.E., 11 octobre 2007, Aff. n° C-460/06, PAQUAY c/ SOCIETE D’ARCHITECTES HOET – MINNE S.P.R.L.).
L’article 40 de la loi du 16 mars 1971 contient les règles de protection contre le licenciement d’une travailleuse enceinte. Deux règles de preuve y figurent, étant d’une part qu’il incombe à la travailleuse d’établir qu’elle a informé l’employeur de l’état de grossesse et, d’autre part, que l’employeur est tenu, s’il pose un acte en vue de mettre fin à la relation de travail, d’établir un motif étranger à l’état physique résultant de la grossesse (ou de l’accouchement).
Ces éléments de preuve doivent être examinés avec rigueur, ainsi que l’a rappelé la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 24 mars 2010 (C. trav. Bruxelles, 24 mars 2010, R.G. 2008/AB/51.333 – précédemment commenté).
Lorsque le motif invoqué est d’ordre économique, la jurisprudence admet celui-ci pour autant que la nécessité d’une restructuration impliquant une réduction du personnel soit établie et que cette diminution soit elle-même impérative : il s’agit de prouver la relation causale entre les faits étrangers à l’état de grossesse invoqués et la décision de licenciement elle-même. Dès lors, également, que le motif invoqué ne concerne pas l’entreprise mais la travailleuse elle-même, étant qu’il pourrait s’agir des motifs tirés de sa conduite ou de son aptitude, le même contrôle judiciaire est exercé, tant sur la réalité du motif que sur le lien causal.
La jurisprudence citée dans le jugement admet que, dès lors qu’il s’agit de faits du comportement, l’employeur est tenu de démontrer qu’ils sont le résultat d’un comportement intentionnel de la travailleuse, qui, sans être nécessairement un motif de licenciement pour motif grave, est néanmoins fautif. Une faute est ainsi exigée, cette jurisprudence excluant expressément que soit admis un licenciement opéré uniquement sur la base de constatations d’erreurs commises ou de rendement insuffisant.
L’on peut à cet égard renvoyer également à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 5 septembre 2017 (C. trav. Bruxelles, 5 septembre 2017, R.G. 2015/AB/268 et 2015/AB/183), selon lequel le motif étranger est établi dans l’hypothèse d’une travailleuse licenciée à la suite de l’évaluation finale de ses objectifs et qui, antérieurement, a déjà fait l’objet de mises en garde, de mesures d’encadrement, de soutien et de coaching, ainsi que de précédents rapports d’évaluation faisant état de ses insuffisances et n’ayant fait l’objet d’aucune contestation de sa part.