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Contrôle judiciaire d’une décision de Fedris réduisant le montant d’une cotisation d’affiliation d’office à charge de l’employeur non assuré

Mis en ligne le mercredi 25 août 2021


Trib. trav. Liège (div. Liège), 22 mars 2021, R.G. 20/849/A

Contrôle judiciaire d’une décision de Fedris réduisant le montant d’une cotisation d’affiliation d’office à charge de l’employeur non assuré

Dans un jugement du 22 mars 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle les limites du contrôle judiciaire d’une décision de Fedris sur la réduction d’une cotisation d’affiliation d’office de l’employeur non assuré contre le risque d’accident du travail : il s’agit d’un contrôle de légalité externe qui ne peut déboucher que sur l’annulation de la décision.

Les faits

Une société du secteur Horeca se voit notifier une décision d’affiliation d’office par Fedris au motif de l’omission de souscription volontaire d’une assurance contre les accidents du travail.

L’établissement a occupé essentiellement des travailleurs sous statut d’étudiant. Ceux-ci, au nombre de seize, dans une période de près de deux ans au total, n’ont pas été couverts contre les risques d’accident du travail.

Fedris fixe la cotisation à un montant de l’ordre de 20.000 euros. La société fait un paiement de 10%, afin de pouvoir obtenir une réduction et une demande est introduite en vue de l’annulation de cette cotisation. La société fait valoir d’une part une erreur de son courtier et d’autre part le caractère manifestement disproportionné de la cotisation. Il ressort du dossier que le personnel occupé l’était en général pour quelques heures par mois.

La décision de Fedris est d’accorder une réduction de 25% de la cotisation. L’Agence donne, comme motivation, la circonstance retenue par le Comité de gestion que le montant est disproportionné par rapport aux prestations.

La société règle le montant réclamé et introduit parallèlement une procédure afin de contester la décision prise. Elle sollicite l’annulation ou, subsidiairement, une réduction plus importante (75%) de la cotisation.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend les articles 49 et 50 de la loi du 10 avril 1971 ainsi que l’article 59 de l’arrêté royal du 21 décembre 1971 portant exécution de certaines dispositions de celle-ci. Il est prévu dans ce texte que la cotisation est égale à 2,5% du montant de la rémunération de base, son montant variant de 3 à 5% dans certaines hypothèses de négligence.

La possibilité de solliciter une réduction est prévue par un arrêté royal du 30 décembre 1976 (arrêté royal du 30 décembre 1976 portant exécution de certaines dispositions de l’article 59quater de la loi du 10 avril 1971). La procédure y est prévue, étant que cette réduction peut être accordée par le Comité de gestion dans des cas dignes d’intérêt. La décision doit être prise à l’unanimité et doit être motivée. Trois hypothèses sont reprises, étant que (i) il n’y a pas de faute ou de négligence de l’employeur (le défaut d’assurance pouvant également résulter de circonstances exceptionnelles), (ii) le montant réclamé est excessif par rapport à la gravité de l’infraction ou (iii) la réduction se justifie exceptionnellement pour des raisons impérieuses d’intérêt économique, fédéral ou régional.

Le Comité de gestion peut déléguer sa compétence, dans les limites et conditions qu’il détermine, à la personne chargée de la gestion journalière de Fedris.

Le texte prévoit enfin un délai particulier pour introduire un recours contre la décision concernant la demande de réduction de la cotisation. Il s’agit d’un délai de forclusion de trois mois, à partir de la notification de celle-ci.

Le tribunal du travail rappelle que la compétence du Comité de gestion est discrétionnaire, renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 9 août 2016, R.G. 2009/AB/51.921, inédit), ainsi qu’à un jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles (Trib. trav. fr. Bruxelles, 8 avril 2020, R.G. 18/5.077/A).

S’agissant d’un pouvoir discrétionnaire, le contrôle judiciaire porte sur la légalité de la décision attaquée, le juge vérifiant si le ministre (ou le fonctionnaire) n’a pas exercé son pouvoir de manière déraisonnable ou arbitraire. Il n’y a pas de pouvoir de substitution du juge (avec renvoi à Cass., 11 décembre 2006, n° S.06.0016.N). Le contrôle est en conséquence un contrôle marginal, qui portera sur la compétence de l’auteur de l’acte, la violation des formalités prescrites à peine de nullité, des formes substantielles, sur le respect des principes d’une bonne administration ainsi que sur la légalité externe de la décision (exactitude des faits, de leur qualification juridique et existence d’un examen sérieux du dossier).

Le contrôle de légalité peut uniquement donner lieu à l’annulation de la décision en cause.

En l’espèce, la société conteste la compétence de l’auteur de l’acte, le Comité de gestion ayant délégué celle-ci à la personne chargée de la gestion journalière, argument rejeté par le tribunal, au motif que cette délégation est régulière, dans la mesure où le Comité de gestion n’était pas saisi d’une question de principe dont il aurait dû connaître lui-même.

Par ailleurs, existe un document de base du Comité de gestion, qui donne les lignes de conduite pour accorder des réductions. Celles-ci varient en fonction de la situation rencontrée et du type de dossier.

Le tribunal constate que la situation en l’espèce (régime de travail inférieur à huit heures par semaine) est une des hypothèses visées dans ce document pour décider de la réduction des 25%.

Pour le tribunal, ces lignes de conduite garantissent une certaine forme de sécurité juridique. Le renvoi à celles-ci ne devait, cependant, pas figurer dans le texte de la décision, dont la motivation a été admise. Ces lignes de conduite visent d’une part à lutter contre l’absence d’affiliation à une caisse d’assurance (carence qui peut être lourde de conséquences pour l’employeur non assuré) et, d’autre part, à tenir compte de la réalité des prestations effectuées (l’importance de celles-ci étant prise en compte).

Sur ce critère de huit heures de travail par semaine, le tribunal rappelle encore le jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles du 8 avril 2020 (R.G. 18/5.077/A), qui a lui-même renvoyé à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 2 novembre 2017 (R.G. non précisé). La cour du travail y avait retenu que, si la mesure peut paraître sévère, il avait été constaté en l’espèce que la plupart des employés avaient été exposés au risque d’accident pendant une longue durée (l’examen du dossier se faisant notamment à partir des DmfA). Le Tribunal du travail de Bruxelles précisait quant à lui que le critère de huit heures par semaine constitue une limite permettant de déterminer la hauteur du risque, FEDRIS n’étant pas un organisme assureur mais agissant comme fonds de garantie qui intervient en lieu et place des employeurs défaillants. Il s’agit en outre de rencontrer la mutualisation du risque encouru en raison de la négligence de l’employeur non assuré tant à l’égard des travailleurs concernés que de la sécurité sociale.

Le tribunal conclut dès lors au non-fondement du recours.

Intérêt de la décision

La Cour constitutionnelle avait confirmé dans son arrêt du 22 octobre 2015 (C. const., 22 octobre 2015, n° 146/2015) que la cotisation d’affiliation d’office est une sanction de nature essentiellement civile, dans l’intérêt du financement de la sécurité sociale. Elle n’entre pas dans le champ d’application de la Convention européenne des droits de l’homme, ne pouvant avoir, au sens de celle-ci, un caractère pénal.

Dès lors que la contestation est de nature civile, l’impossibilité pour les juridictions du travail d’appliquer une mesure comme le sursis est, pour la Cour constitutionnelle, raisonnablement justifiée. Les pouvoirs du juge quant à l’imposition de cette cotisation sont dès lors restreints.

Le Tribunal du travail de Liège confirme dans ce jugement du 22 mars 2021 les limites du contrôle judiciaire. Il s’agit d’un contrôle marginal, qui porte sur la légalité externe de l’acte. Au cas où le juge conclurait que ce critère de légalité externe n’est pas respecté, il peut annuler la décision. Il ne peut, cependant, dans l’hypothèse où la légalité externe est vérifiée, se substituer au Comité de gestion de Fedris.

L’on notera que celui-ci a établi des lignes directrices, reprenant certains critères à prendre en compte pour l’application d’une réduction éventuelle. Ces lignes de conduite facilitent l’harmonisation et la cohérence des décisions prises. Comme l’a relevé le Tribunal du travail de Bruxelles dans le jugement cité, il ne s’agit pas d’une condition ajoutée à la loi, mais d’un simple « guideline » qui prend en compte des critères objectifs, parmi lesquels la disproportion de la sanction et le temps de travail réel presté.


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