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Allocations aux personnes handicapées et standstill

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 20 avril 2021, R.G. 2020/AN/73

Mis en ligne le mercredi 25 août 2021


C. trav. Liège (div. Namur), 20 avril 2021, R.G. 2020/AN/73

Allocations aux personnes handicapées et standstill

Dans un arrêt du 20 avril 2021, la Cour du travail de Liège (division Namur) interroge la Cour constitutionnelle, vu que, dans le cadre de la Sixième Réforme de l’Etat, la réduction pour habitation unique n’intervient plus au niveau des revenus imposables globalement du ménage, mais a été remplacée par une réduction d’impôt régionale. La mesure a des effets négatifs en sécurité sociale.

Les faits

Un recours est introduit par une assurée sociale contre une décision de l’Etat belge prise en juillet 2019, dans le cadre d’une révision d’office de son droit aux allocations pour personnes handicapées. L’allocation de remplacement de revenus a été refusée en raison de l’importance des revenus à partir du 1er août 2019 et une allocation d’intégration de catégorie 2 a été accordée.

Le recours introduit devant le Tribunal du travail de Namur a été jugé non fondé.

L’intéressée interjette appel.

Position de l’appelante devant la cour

L’appelante considère que la décision prise est contraire à l’article 23 de la Constitution et, particulièrement, à l’effet de standstill que celui-ci garantit.

En effet, elle bénéficiait, jusqu’à l’année 2013, d’une déduction pour habitation unique d’environ 6.000 euros. La situation a été modifiée en 2014. En effet, suite à la Sixième Réforme de l’Etat, cette réduction de revenus imposables a été remplacée par une réduction d’impôt régionale. Elle fait valoir que sa situation de revenus et de patrimoine est restée inchangée mais que le revenu imposable globalement de son ménage a ainsi été majoré d’environ 6.000 euros. Cette majoration vient en déduction de ses allocations de personne handicapée et entraîne, par rapport aux décisions précédentes, un recul de protection sociale significatif et injustifié.

La décision de la cour

La cour reprend les dispositions légales. En vertu de l’article 7, § 1er, de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées, les (trois) allocations prévues ne peuvent être octroyées que si le montant du revenu de la personne handicapée ainsi que de celui de la personne avec laquelle elle forme un ménage ne dépasse pas le montant des allocations visé par la loi (selon la catégorie).

La notion de « revenu » à prendre en compte est déterminée par le Roi. En vertu de l’arrêté royal d’exécution du 6 juillet 1987, l’on entend par « revenu » les revenus de la personne handicapée et ceux de la personne avec laquelle elle forme un ménage. Il s’agit des revenus imposables globalement et distinctement admis en matière fiscale. La référence est faite à l’avertissement-extrait de rôle. Certains revenus (ou certaines parties de revenus) sont immunisés.

La cour constate en l’espèce qu’il s’agit d’une révision d’office, qui est justifiée, et, reprenant l’année prise en compte, la décision est, sur ce plan, correcte. De même, il a été procédé aux abattements applicables et le calcul fait par l’administration est exact.

La cour en vient, ainsi, à l’examen de la contestation de l’appelante, étant de déterminer si la situation nouvelle est conforme à l’article 23 de la Constitution. Elle en reprend les principes, en matière de sécurité sociale, ainsi que les étapes du contrôle judiciaire quant au respect de cette obligation. Il s’agit, conformément à la doctrine (la cour citant ici D. DUMONT, « Le ‘’droit à la sécurité sociale’’ consacré par l’article 23 de la Constitution : quelle signification et quelle justiciabilité ? » in D. DUMONT (coord.), Questions transversales en matière de sécurité sociale, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 68), de vérifier (i) s’il y a un recul de protection sociale par rapport à l’état du droit immédiatement antérieur, (ii) si ce recul est sensible ou significatif, en termes relatifs (et non absolus), (iii) s’il est justifié par des motifs d’intérêt général et, enfin, (iv) s’il est proportionné à ces motifs.

La décision étant un acte administratif et non une norme légale et son auteur n’étant pas le débiteur de l’obligation de standstill, la cour décide de ne pas écarter celle-ci par application de l’article 159 de la Constitution. C’est à la Cour constitutionnelle de vérifier la question de la violation. Elle décide, en conséquence, de poser à la Cour deux questions.

Elle réserve dès lors à statuer, signalant cependant d’ores et déjà que, si la réponse de la Cour constitutionnelle devait s’avérer négative, elle invite les parties à examiner la question d’une violation de l’article 23 de la Constitution du fait de l’absence de modification de l’arrêté royal du 6 juillet 1987 afin de compenser l’augmentation du revenu imposable globalement engendrée par l’abrogation de la déduction anciennement prévue par les dispositions correspondantes du C.I.R.

La première question concerne l’article 13 du décret-programme du 12 décembre 2014, qui a supprimé le régime de la déduction pour habitation unique prévu aux articles 115 et 116 anciens du C.I.R. 1992, cette disposition ayant pour conséquence de modifier la déduction pour habitation unique en réduction d’impôt, ce qui augmente fictivement les revenus imposables globalement pris en considération par les institutions de sécurité sociale en vue de l’octroi des prestations. La première question est dès lors de savoir si cette disposition engendre un recul significatif dans le droit à la sécurité sociale.

La seconde question concerne l’article 7 de la loi du 27 février 1987 et certaines dispositions de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions (introduits par la loi spéciale du 6 janvier 2014) et certaines dispositions de la loi du 8 mai 2014 modifiant le C.I.R. 1992, ces dispositions ayant mené au remplacement de la réduction de revenus imposables pour certaines sommes relatives à l’acquisition ou la conservation d’une habitation unique par une réduction d’impôt pour des dépenses similaires. Ceci avec pour conséquence une majoration du revenu imposable globalement et une diminution potentielle des allocations aux personnes handicapées, même en cas de revenus restés inchangés.

Intérêt de la décision

Dans la matière, le législateur a confié au Roi le soin de déterminer ce qu’il faut entendre par « revenu ». Il doit être tenu compte des « revenus annuels d’une année ». Il s’agit de l’année de référence. Sont en principe retenus les revenus imposables globalement et distinctement pris en considération pour l’imposition des personnes physiques (les revenus imposables distinctement n’étant pris en compte que s’ils se rapportent effectivement à l’année de référence).

Le contentieux judiciaire sur la question concerne généralement la question de l’année de référence, celle-ci étant l’année « -2 », mais pouvant être l’année « -1 » si les revenus de l’année « -1 » ont diminué ou augmenté de 20% au moins par rapport aux revenus de l’année « -2 ».

Font également l’objet de discussions les abattements autorisés ainsi que l’incidence d’une indemnisation en droit commun sur l’octroi de l’allocation de remplacement de revenus et de l’allocation d’intégration.

La question soumise à la cour dans cet arrêt est, à notre connaissance, soulevée pour la première fois. L’administration a correctement effectué les calculs et procédé à une révision d’office, aboutissant – malgré une situation inchangée dans le chef de la bénéficiaire – à une restriction importante de ses droits dans l’octroi des allocations.

Un recul de la protection sociale est évident à l’œil nu. La Cour constitutionnelle apportera dès lors une réponse d’ores et déjà vivement attendue…


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