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Convention collective d’entreprise prévoyant une procédure préalable au licenciement et droit à l’indemnité prévue en cas de non-respect

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 11 janvier 2021, R.G. 19/3.975/A

Mis en ligne le vendredi 10 septembre 2021


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 11 janvier 2021, R.G. 19/3.975/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 11 janvier 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège), saisi d’une demande d’indemnité prévue par convention collective d’entreprise en cas de non-respect de la procédure préalable à un licenciement individuel, conclut que cette indemnité n’est pas cumulable avec celle prévue par la C.C.T. n° 109 pour licenciement manifestement déraisonnable.

Les faits

Une employée d’une société d’assurances a été engagée en juin 1999 en tant que juriste. Au fil du temps, elle a été intégrée au département des ressources humaines et, ensuite, a été responsable d’un autre département interne. En novembre 2017, elle est tombée en incapacité de travail (burnout). Une reprise de travail est envisagée six mois plus tard, et ce à une autre fonction. Des propositions de poste sont adressées par la société, l’une d’entre elles supposant la réalisation d’une formation en octobre de la même année. Cette formation est suivie par l’intéressée. En décembre, il est décidé de la licencier, avec paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, l’employeur se référant à un entretien entre les parties.

Le motif du licenciement ayant été demandé, la société répond en se référant à ce même entretien et aux échanges qui s’en sont suivis. Est reprise dans la genèse des motifs l’explication donnée par l’intéressée lors de l’entretien dont référence, selon lequel elle avait des difficultés dans l’exercice de la fonction de conseiller clients qui lui était confiée. Le détail de ces difficultés est repris (absence de maîtrise de la matière, etc.). Est également pointée une absence de remise en question dans son chef. L’intéressée ayant exprimé son souhait de ne pas poursuivre dans cette fonction, le représentant de la société expose qu’aucune alternative n’était envisageable et que, vu le refus des propositions faites quant à de nouvelles offres en interne, une fin de collaboration a été envisagée. Référence est faite à une poursuite de la discussion suite à l’entretien qui s’était tenu, discussion qui n’avait pu se tenir vu que l’intéressée avait remis un certificat pour une période d’incapacité d’un mois. La décision de mettre fin à la collaboration a dès lors été prise.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège, l’intéressée se fondant sur une convention collective d’entreprise (C.C.T. relative à la localisation des activités, la sécurité d’emploi, la mobilité et la procédure à respecter en cas de licenciement).

Position des parties devant le tribunal

Pour la demanderesse, l’employeur n’a pas respecté cette procédure en cas de modification de fonctions ni celle applicable en cas de licenciement. Une indemnité de stabilité d’emploi est dès lors réclamée. A titre subsidiaire, il est fait valoir que le licenciement est manifestement déraisonnable.

Pour l’employeur, la procédure de modification de fonctions n’est pas applicable, dans la mesure où elle concerne une décision unilatérale de changement de fonctions dans son chef, ce qui n’est pas le cas. Il estime avoir tout fait pour essayer de maintenir la travailleuse en son sein, mais que celle-ci a fait preuve de mauvaise volonté et que le licenciement était en conséquence la dernière solution envisageable.

La décision du tribunal

Le tribunal examine longuement la convention collective d’entreprise, dont il n’est pas contesté qu’elle s’applique au cas d’espèce. Celle-ci vise notamment à garantir l’emploi et le statut des membres du personnel et à déterminer les modalités en cas de licenciement individuel non motivé pour des raisons économiques ou techniques. Elle prévoit également les sanctions applicables à l’employeur en cas de violation de ces garanties.

Pour ce qui est de l’emploi, l’employeur s’interdit de licencier le personnel bénéficiaire, sauf dans certaines hypothèses (pension légale ou anticipée – pour laquelle le licenciement doit être motivé –, prépension conventionnelle, motif grave, licenciement pour un motif individuel à la condition qu’une procédure spécifique ait été respectée et autres hypothèses – non rencontrées).

De même, l’employeur s’interdit de modifier unilatéralement la fonction des membres du personnel ainsi que les garanties en cas de modification unilatérale définitive (souligné par le tribunal) dans ces hypothèses.

En l’espèce, lorsque la reprise du travail fut envisagée après la période d’incapacité de travail, l’hypothèse d’une nouvelle réaffectation fut discutée avec la possibilité d’une affectation temporaire afin d’envisager une solution structurelle. En réponse, l’intéressée expliquait que son souhait d’être affectée à une autre fonction n’était pas justifié par une volonté de réorientation professionnelle mais était dû à un état de fatigue émotionnelle et intellectuelle due au contexte professionnel. Vu qu’elle accepta une nouvelle fonction, le tribunal conclut que l’on n’est pas en présence d’une hypothèse de modification unilatérale des fonctions ni de celle d’une modification définitive. L’employée est en effet à l’origine du changement de poste intervenu. Il n’y a dès lors aucun manquement de l’employeur aux engagements pris en de telles hypothèses.

Le tribunal examine ensuite la question du respect de la procédure applicable au licenciement, s’agissant de vérifier si la convention collective d’entreprise a été respectée ou non. Le licenciement intervient pour motif individuel. Dans un tel cas, la convention collective prévoit que la procédure qu’elle définit doit être strictement (le tribunal souligne) respectée. Il s’agit des cas de licenciement individuel non lié à des causes d’ordre technique ou économique.

La procédure est prévue dans la convention. Il s’agit d’informer par écrit (le tribunal souligne) le membre du personnel concerné, vu les manquements disciplinaires ou professionnels susceptibles de lui être reprochés. Cette information doit intervenir dans les trois jours ouvrables de la connaissance que l’employeur acquiert d’un fait unique ou de faits répétés ou d’un ensemble d’éléments qui, combinés, peuvent conduire à la rupture. Dans cet avertissement écrit, le délai laissé au membre du personnel concerné pour redresser la situation lorsque celle-ci n’est pas irrémédiable doit également être mentionné.

En l’espèce, aucun écrit de ce type n’a été adressé et les échanges d’emails ne peuvent être compris comme valant celui-ci. L’employée n’a dès lors, pour le tribunal, disposé d’aucun délai pour redresser la situation relatée dans les courriels lui envoyés. Ceci est d’autant plus flagrant, est-il souligné dans le jugement, qu’elle était en incapacité de travail à partir du 17 décembre 2018, le licenciement étant intervenu le 21 du mois. En outre, des solutions alternatives devaient être envisagées, en termes notamment de formation ou de réorientation professionnelle ou, si ces solutions n’étaient pas envisageables, les raisons retenues doivent être explicitées.

Le tribunal constate que, sur ce point également, il n’y a pas respect de la convention collective, puisqu’aucune solution alternative n’a été proposée à l’intéressée.

Enfin, en ce qui concerne l’avertissement écrit, la délégation syndicale doit être informée dans un délai déterminé et, si le licenciement est envisagé, l’employeur doit convoquer le travailleur par écrit à un entretien, qui doit également avoir lieu dans un certain délai.

Rien n’est établi par l’employeur, au niveau du respect de la procédure, étant qu’aucune convocation n’est produite et qu’un entretien avait été fixé et devait se tenir, mais n’eut pas lieu vu que l’intéressée était tombée en incapacité de travail. De même encore, doit être communiqué le dossier du licenciement dans un délai après la date de l’entretien, et ce avant que la décision définitive ne soit prise. Celle-ci doit, enfin, faire l’objet d’une notification écrite.

Le tribunal relève encore que la décision n’est assortie d’aucune motivation, celle-ci n’étant communiquée qu’à la demande de l’intéressée. Il y a dès lors eu non-respect de la procédure de licenciement applicable. L’indemnité forfaitaire de stabilité d’emploi est due au titre de sanction, non de la décision de licencier, mais du non-respect de la procédure préalable. Les griefs reprochés à l’intéressée concernent les motifs du licenciement et ne dispensent pas l’employeur du respect de la procédure elle-même. L’indemnité spéciale est dès lors due.

Le tribunal en vient enfin au chef de demande relatif au licenciement manifestement déraisonnable mais conclut très rapidement que le cumul n’est pas autorisé, la C.C.T. n° 109 excluant de son champ d’application les « travailleurs qui font l’objet d’un licenciement pour lequel l’employeur doit suivre une procédure spéciale de licenciement fixée par la loi ou par une convention collective de travail ».

Intérêt de la décision

Ce cas d’espèce met en perspective les garanties données par une convention collective de travail d’entreprise en elle-même, ainsi que la réparation qui peut être demandée en cas de non-respect d’une procédure préalable, en articulation avec la C.C.T. n° 109.

Sur le plan de la procédure interne, le texte vise les hypothèses de licenciement individuel non lié à des causes d’ordre technique ou économique. Les hypothèses d’un licenciement dû à des causes d’ordre technique ou économique ne font pas l’objet de la présente affaire. Ces critères ne sont en général pas précisés dans le texte des conventions collectives elles-mêmes et il est régulièrement renvoyé, pour les hypothèses visées, à la loi du 19 mars 1991, le licenciement pour raison d’ordre économique ou technique d’un travailleur protégé par cette loi étant l’un des cas où le licenciement est autorisé (moyennant le respect d’une procédure particulière).

Reste en l’espèce que la procédure vise tous les autres cas de licenciement individuel (hors les cas repris ci-dessus (pension, prépension, etc.). Vu son libellé large, la convention recouvre ainsi tous les cas de licenciement individuel, que ce soit pour faute ou non. En l’espèce, aucune faute n’était à reprocher à l’employée, celle-ci ayant expliqué les difficultés qu’elle avait à assumer ses fonctions, eu égard au contexte professionnel.

Signalons sur la question que, dans le secteur des banques, existe une convention collective de travail au niveau sectoriel, convention du 9 octobre 2009, qui a remplacé une précédente du 2 juillet 2007. Sont actuellement visés les manquements du travailleur (fautifs et non fautifs) et non plus les carences disciplinaires ou fautes professionnelles telles que figurant dans le texte originaire. La Cour du travail de Bruxelles a rappelé le changement des critères dans un arrêt du 25 novembre 2020 (C. trav. Bruxelles, 25 novembre 2020, R.G. 2018/AB/220).

Enfin, quant à l’articulation avec la C.C.T. n° 109, la position du Tribunal du travail de Liège est de considérer que, dans la mesure où l’article 2, § 3, de celle-ci exclut de son champ d’application les travailleurs qui font l’objet d’un licenciement pour lequel l’employeur doit suivre une procédure spéciale fixée par la loi ou par une convention collective de travail, il y a exclusion du champ d’application de celle-ci pour les travailleurs concernés.


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