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Appréciation des critères économiques et sociaux pour la réduction des cotisations de sécurité sociale (groupe-cible « nouvel engagement »)

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 9 février 2021, R.G. 18/749/A

Mis en ligne le vendredi 24 septembre 2021


Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai), 9 février 2021, R.G. 18/749/A

Terra Laboris

Par jugement du 9 février 2021, le tribunal du travail du Hainaut (division Tournai) rappelle que les critères sociaux et économiques à examiner aux fins de vérifier le bien-fondé d’une réduction des cotisations de sécurité sociale pour groupes-cibles « nouvel engagement » doit intervenir de manière globale, l’ensemble des critères généralement retenus en jurisprudence ne devant pas être réunis cumulativement.

Les faits

Une société a introduit un recours devant le Tribunal du travail du Hainaut (div. Tournai) aux fins de contester une décision prise par l’O.N.S.S. à propos de « premiers engagements » de deux travailleurs. Par celle-ci, l’Office annule des réductions de cotisations groupes-cibles accordées pour ceux-ci. Il est demandé à la société de payer, en conséquence, les cotisations afférentes à ces deux engagements pour une période de deux ans. Il s’agit d’un montant supérieur à 8.500 euros.

La société fait valoir que son objet social concerne toutes opérations de gestion, de conseil et de courtage dans le secteur de l’assurance, du financement, de crédits et de conseils financiers. L’objet social prévoit que l’énumération n’est pas exhaustive mais énonciative. Celle-ci élargit le champ des activités possibles en visant, de manière plus générale, la possibilité de réaliser d’autres opérations en rapport direct avec les opérations ci-dessus ou qui seraient de nature à en faciliter la réalisation.

La société a pris la forme d’une S.R.L.

En 2007, son gérant et un tiers constituent en sus une S.A., dont le sigle est proche de la première. Le siège est situé dans un immeuble propriété de cette société, qui le donne en location à la société nouvellement créée. L’objet social décrit son activité comme visant des opérations assez générales dans le secteur de l’assurance et des services bancaires. Cette seconde société sera déclarée en faillite en 2017.

Pendant les années 2013 à 2016 (incomplètes), deux travailleurs ont presté pour cette société et ils ont ensuite été repris par la première.

C’est dans ce contexte que l’O.N.S.S. a annulé les réductions groupes-cibles « premier engagement » à partir de leur reprise, et ce pour une durée de neuf trimestres.

Position des parties devant le tribunal

La société initialement constituée, demanderesse à la cause, conteste avoir formé avec la seconde une même unité technique d’exploitation, ainsi que le fait qu’elle n’aurait pas créé de nouveaux emplois.

Elle fait valoir que chacune des deux sociétés avait ses activités propres, la première exerçant une activité d’agent de services bancaires et investissements et la seconde de gestion, conseils, courtage, etc. Etaient également différents le secteur géographique ainsi que la clientèle. La société considère qu’il y a eu une création d’emplois, dans la mesure où elle a engagé les deux travailleurs pour d’autres fonctions que celles qu’ils exerçaient auprès de la société faillie.

Pour l’O.N.S.S., il y a une même unité technique d’exploitation. En conséquence, il n’y a pas de création d’emplois nouveaux. Les deux sociétés étaient gérées par la même personne. Les travailleurs concernés ont d’abord presté pour la société faillie et ensuite pour la société demanderesse. Les sièges sociaux sont proches, il y a des activités en commun, celles-ci étant complémentaires. Enfin, la clientèle est la même. Il demande dès lors confirmation de sa décision.

La décision du tribunal

La matière est réglée par la loi-programme du 24 décembre 2002, qui prévoit des dérogations au paiement de certaines cotisations.

Le tribunal rappelle l’absence de définition de l’unité technique d’exploitation et la non-application des critères de la loi du 20 septembre 1948 et de celle du 4 août 1996, dont l’objectif est différent, s’agissant d’organiser les élections sociales.

C’est dans la jurisprudence de la Cour de cassation qu’il y a lieu de rechercher les critères applicables, étant d’examiner si l’entité qui occupe le travailleur nouvellement engagé a des liens sociaux et économiques avec celle qui, au cours des douze mois précédant le nouvel engagement, a occupé un travailleur qui est remplacé par le nouveau (référence étant faite à l’arrêt de la Cass., 29 avril 2013, n° S.12.0096.N).

Le tribunal détaille ensuite les éléments du critère social et ceux du critère économique. Ces éléments ne doivent pas être réunis de manière cumulative. Il s’agit pour le juge d’apprécier si la situation dans son ensemble révèle une unité d’exploitation. Renvoi est fait à titre d’exemple d’une telle appréciation à un jugement du Tribunal du travail de Liège du 13 février 2017 (R.G. 14/421.533/A), dans une espèce où l’activité s’exerce au même endroit, dans les environs ou à proximité. Elle vise la même clientèle, sa nature étant identique, similaire ou complémentaire et il en va de même pour tout ou partie du matériel.

Le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2007 (Cass., 12 novembre 2007, n° S.06.0108.N), rendu dans le cadre du texte de loi précédent, étant la loi-programme du 30 décembre 1988 : le nouvel engagement ne donne droit à la réduction des cotisations que s’il crée réellement un emploi. L’augmentation nette de l’effectif du personnel requise est appréciée à la lumière du total des travailleurs occupés et de la masse salariale à 100% déclarée, et ce sans distinction du statut des travailleurs ou de la nature de leurs prestations.

Un rappel est également fait de l’arrêt récemment rendu par la Cour suprême le 13 mai 2019 (Cass., 13 mai 2019, n° S.18.0039.N), où la méthode de calcul a été explicitée : il faut comparer l’effectif du personnel de l’unité technique d’exploitation au moment de l’engagement du nouveau travailleur avec l’effectif maximal de l’unité technique d’exploitation au cours des quatre trimestres précédant cet engagement. La Cour a accueilli le pourvoi qui reprochait à la cour du travail de ne pas avoir pris en compte l’augmentation de l’effectif du personnel mais uniquement le volume du travail presté.

En l’espèce, le tribunal fait un examen des critères sociaux d’abord. La personne qui assume la direction des sociétés est la même. Pour ce qui est des travailleurs en question, le tribunal souligne que le fait qu’ils aient exercé précédemment des fonctions différentes (ce qui n’est d’ailleurs pas démontré à suffisance) est sans incidence.

Sur les critères économiques, il y a cohésion économique entre les deux sociétés, et ce via l’examen de la gestion des sociétés, de l’activité et de la clientèle, ainsi que des sièges sociaux et d’exploitation.

Le tribunal déboute dès lors la société de son recours.

Intérêt de la décision

L’octroi de réductions de cotisations de sécurité sociale suppose que certains critères soient réunis quant à l’activité des deux sociétés (celle qui occupait les travailleurs précédemment et celle qui les met à l’emploi en son sein ensuite). La notion d’engagement d’un nouveau travailleur n’est pas définie par la loi et les recours sont fréquents, des sociétés considérant que les critères économiques et sociaux ne sont pas suffisants pour que soit retenue une seule unité technique d’exploitation.

Dans ce jugement du 9 février 2021, le tribunal du travail souligne que les critères exigés ne doivent pas être remplis de manière cumulative, le juge devant examiner la situation dans son ensemble. Toujours est-il qu’est généralement prise en compte la localisation des deux lieux d’activité, dont découlera vraisemblablement l’appel à la même clientèle. De même, sont retenus l’identité (similarité ou complémentarité) des activités et l’usage du matériel d’exploitation.

Dans ce jugement, le tribunal du travail a rappelé l’arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 2019 (n° S.18.0039.N – précédemment commenté), où la Cour a énoncé que, pour déterminer si le nouvel engagé remplace un travailleur qui était actif dans la même unité technique d’exploitation au cours des quatre trimestres précédant l’engagement, il y a lieu de faire une comparaison entre la consistance du personnel de cette unité au moment de l’entrée en service du nouvel engagé d’une part et le nombre maximal de personnel occupé dans celle-ci dans le cours des quatre trimestres précédant l’engagement d’autre part. Ce n’est alors que si la consistance du personnel dans l’unité au moment de l’entrée en service du nouvel engagé est augmentée et qu’il est également satisfait aux autres conditions légales que la réduction peut être accordée. En l’occurrence, la cour du travail n’avait pas pris en compte l’augmentation du personnel mais uniquement le volume de travail.

L’on avait, à l’occasion de cet arrêt, déjà pu souligner que les dispositions à appliquer (article 344 et suivants de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002) faisaient l’objet de contestations régulières devant les cours et tribunaux.

Ainsi, dans un arrêt du 3 février 2021 (C. trav. Bruxelles, 3 février 2021, R.G. 2019/AB/623), la Cour du travail de Bruxelles a été amenée à statuer dans une affaire ayant le même objet. La cour a retenu que les critères requis étaient réunis aux motifs que (i) trois des cinq travailleurs engagés avaient été occupés dans la société précédente jusqu’à la veille de l’engagement (aucune réelle interruption n’existant ainsi entre les deux entités), (ii) deux des trois administrateurs, dont l’administrateur-délégué, étaient communs, (iii) les sièges sociaux étaient identiques, (iv) les deux entités étaient actives dans l’édition et (v) elles s’adressaient à une même clientèle. La cour a ainsi conclu à l’existence de critères socio-économiques d’interdépendance entre les deux sociétés. Il a découlé de son examen que ces travailleurs ne représentaient pas une création d’emplois mais qu’ils avaient simplement été transférés au sein d’une même unité technique d’exploitation.


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