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Ecartement du conseiller en prévention de ses fonctions : conditions

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 19 février 2021, R.G. 19/676/A

Mis en ligne le jeudi 14 octobre 2021


Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai), 19 février 2021, R.G. 19/676/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 19 février 2021, le Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai) examine le grief d’incompétence visé à l’article 3 de la loi du 20 décembre 2002 relative à la protection des conseillers en prévention, rappelant l’interprétation qu’en ont donnée les travaux préparatoires de la loi.

Les faits

Un employé, engagé depuis 1987 dans une société du secteur automobile en qualité de chef du service de sécurité, devient conseiller en prévention en 2000. Il informe son employeur, en 2017, de son souhait de quitter ce poste ainsi que de réorienter sa carrière. Des discussions interviennent au sein de la société, à cette fin. Elles n’aboutissent cependant pas. L’intéressé tombe en incapacité de travail et un entretien a lieu quelques mois plus tard afin de préparer son retour. La société décide alors de l’écarter de sa fonction.

Conformément à la procédure prévue, un courrier recommandé lui est envoyé, avec précision des motifs et preuve de ceux-ci. L’accord préalable du C.P.P.T. est demandé sur cet écartement, une copie de ce courrier étant envoyée à l’intéressé.

Celui-ci conteste alors les reproches qui lui sont faits. En fin de compte, cet écartement est décidé à l’unanimité par le C.P.P.T. Celui-ci a pu prendre connaissance du courrier de contestation de l’intéressé et il a été répondu à chacune de ses observations.

Un recours est alors introduit par celui-ci devant le tribunal du travail. Dans le cours de la procédure, un avenant est signé quant à ses nouvelles fonctions dans l’entreprise. Il retombe cependant assez rapidement en incapacité de travail. La procédure se poursuit.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle le dispositif de la loi du 20 décembre 2002 relative à la protection des conseillers en prévention. Ceux-ci ne peuvent être écartés de leur fonction que pour des motifs étrangers à leur indépendance ou qui démontrent leur incompétence à exercer leurs missions dans le respect des procédures fixées par loi.

Pour le tribunal, la loi en son article 3 autorise dès lors l’employeur à licencier soit pour un motif qui est sans lien avec l’indépendance garantie aux conseillers en prévention par l’article 43 de la loi du 4 août 1996, soit pour un motif qui démontre que le conseiller en prévention serait incompétent pour l’exercice de ses fonctions. Cette deuxième hypothèse ne vise que l’incompétence alléguée par l’employeur par rapport à l’exercice des missions du conseiller en prévention. Le tribunal renvoie notamment aux travaux préparatoires de la loi, qui ont défini la notion d’« incompétence » comme visant la formation de base et la formation complémentaire dont le conseiller en prévention dispose, ainsi que son expérience. Doit en outre exister une relation entre la compétence du conseiller en prévention et les compétences qui doivent être présentes dans son entreprise afin de pouvoir mener à bon terme la politique de prévention et l’exécution du plan global de prévention. Le tribunal renvoie expressément à l’Exposé des motifs (Exposé des motifs, Doc. parl. ch. repr., sess. ord. 2001-2002, n° 50.2032/001, p. 17).

Sur le plan procédural, l’employeur doit simultanément communiquer les motifs d’écartement (ainsi que la preuve de ceux-ci) au conseiller en prévention par lettre recommandée et solliciter l’accord préalable du Comité pour cet écartement (celui-ci devant recevoir également copie de la lettre envoyée au conseiller en prévention concerné). Si l’accord du comité est obtenu, l’employeur est autorisé à licencier. Une précision est apportée lorsqu’il s’agit d’un conseiller en prévention d’un service interne pour la prévention et la protection au travail (S.I.P.P.), étant qu’est visé ici par « comité » le C.P.P.T. (article 2, 3°, de la loi).

Un recours peut être introduit contre la décision d’écartement même s’il n’y a pas rupture du contrat.

Le tribunal aborde ensuite la sanction légale, étant l’indemnité prévue à l’article 10, rappelant que la charge de la preuve des motifs incombe à l’employeur.

En l’espèce, est essentiellement mis en cause le respect de la procédure d’écartement, le demandeur contestant par ailleurs les motifs, dont il estime qu’ils ne sont pas établis.

Sur la procédure, le tribunal conclut que celle-ci a été respectée, les communications légales ayant été régulièrement faites, l’accord préalable du C.P.P.T. demandé et celui-ci ayant été obtenu avant la décision elle-même. L’unanimité a été acquise. Il ne peut dès lors qu’être conclu au respect de la procédure.

Sur le plan des motifs, le tribunal rappelle que l’employeur doit établir tant la réalité des griefs que leur imputabilité au travailleur concerné en sa qualité de conseiller en prévention et leurs effets sur la poursuite par celui-ci de cette mission.

Avec la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 24 février 2017, R.G. 2016/AM/366), le tribunal rappelle que le juge ne peut se prononcer sur l’opportunité de la gestion de l’employeur, sa saisine étant limitée au constat que les motifs ne sont pas contraires à l’une ou l’autre des deux conditions émises par la loi. Le contrôle judiciaire est un contrôle de pleine juridiction, mais non un contrôle d’opportunité (avec renvoi également à C. trav. Bruxelles, 16 novembre 2017, R.G. 2017/AB/753).

Il passe ensuite en revue les divers griefs qui sont faits (touchant essentiellement à des absences d’avis, à une non-sécurisation des données, à une absence de visites fréquentes et systématiques des lieux du travail, à une absence de rédaction, ou à une rédaction incorrecte, ou encore à des incohérences dans la rédaction des procès-verbaux, etc.).

Il examine ces griefs, dans leur contenu. Il constate notamment qu’en sa qualité de directeur du S.I.P.P. et de conseiller en prévention, l’intéressé était censé prendre toutes les initiatives souhaitables pour la bonne exécution de ses tâches et que les griefs faits par son employeur sont établis, celles-ci n’étant pas effectuées de manière satisfaisante. Est également constaté un manque de sérieux en ce qui concerne certaines obligations (avis sur les postes de travail ainsi que mise en service des équipements, etc.). Le tribunal souligne que le S.E.P.P. et le S.I.P.P. ont des obligations distinctes et que l’intéressé ne peut, pour se dédouaner, renvoyer aux rapports du S.E.P.P. Le manque de rigueur et de la nonchalance dans la rédaction des procès-verbaux sont encore pointés. Pour le tribunal, ces manquements constituent, vu leur nombre, de l’incompétence, celle-ci pouvant s’expliquer par la volonté de l’intéressé de changer de fonction depuis plusieurs années.

Le demandeur est dès lors débouté de son action.

Intérêt de la décision

Le motif d’incompétence, qui est admis par la loi, en vue de l’écartement du conseiller en prévention de sa fonction, peut prêter à discussion.

La notion n’est en effet pas précisée dans la loi et, comme le fait le tribunal, il faut puiser dans les travaux préparatoires l’interprétation de ce terme. Celle-ci doit se faire en fonction de la formation de base et de la formation complémentaire du conseiller en prévention ainsi qu’en fonction de son expérience. Il faut tenir compte en outre de la nécessaire relation entre la compétence du conseiller en lui-même et les compétences qui doivent être présentes dans l’entreprise. L’objectif est de mener à bon terme la politique de prévention et l’exécution du plan global de prévention.

L’indépendance du conseiller en prévention est en effet garantie par la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs, qui précise en son article 43 que les conseillers en prévention remplissent leur mission en toute indépendance vis-à-vis de l’employeur et des travailleurs. Ils bénéficient ainsi d’une protection spécifique contre le licenciement, protection qui connaît les deux tempéraments repris par le tribunal, étant que soit les motifs sont étrangers à l’indépendance du conseiller en prévention, soit qu’ils démontrent son incompétence à exercer ses missions dans le respect des procédures fixées par la loi.

La charge de la preuve repose sur l’employeur et l’on peut à cet égard renvoyer à un arrêt récent de la Cour de cassation rendu en matière de motif grave (Cass., 12 avril 2021, n° S.20.0050.N), qui a jugé qu’il découle des articles 3, 4 et 10 de la loi du 20 décembre 2002 portant protection des conseillers en prévention qu’en cas de licenciement pour motif grave non admis par le tribunal ou la cour du travail, l’indemnité de protection visée à l’article 10 de la loi est due si le juge constate soit que les motifs invoqués par l’employeur pour licencier ne sont pas étrangers à l’indépendance du conseiller en prévention, soit, lorsqu’a été avancée comme motif du licenciement l’incompétence du conseiller en prévention à exercer ses missions, que l’employeur n’établit pas ce manque de compétence.


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