Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 25 mai 2021, R.G. 2021/AN/54
Mis en ligne le jeudi 21 octobre 2021
Cour du travail de Liège (division Namur), 25 mai 2021, R.G. 2021/AN/54
Terra Laboris
La cour est saisie d’une demande d’autorisation de licencier un travailleur protégé (loi du 19 mars 1991), et ce pour motif grave.
Le travailleur a une ancienneté de 24 ans, étant contrôleur qualité dans la société. Il fait partie d’un « groupe Facebook », qui compte plus de 500 membres, étant des personnes occupées (ou l’ayant été) au service de la société, ainsi que des personnes externes. Le groupe est privé, l’ensemble des membres ayant accès aux informations et messages qui y sont publiés. Il n’est pas géré par la société mais par un ancien membre du personnel.
Lors d’un événement dans l’entreprise, des photos ont été prises, et notamment de la conseillère en prévention-médecin du travail. Ces photos sont publiées sur Facebook, avec des commentaires désobligeants, ceux-ci émanant de plusieurs personnes. Certains de ces commentaires sont à caractère sexuel offensant.
L’intéressé, qui intervient dans ces échanges, le fait sous un pseudo. Deux jours plus tard, avec son identité complète, il poste un message d’excuse. L’employeur se trouve ainsi informé de l’identité d’un des auteurs et entame la procédure judiciaire aux fins d’être autorisé à licencier.
Le Tribunal du travail de Namur ne fait pas droit à la demande et la société interjette, en conséquence, appel.
Elle considère que le caractère fautif des faits en cause est évident, ceci d’autant plus qu’ils sont en contravention avec le règlement de travail et le code d’éthique ainsi que la politique d’utilisation des médias sociaux, soulignant également les objectifs de lutte contre le sexisme défendus par l’organisation syndicale qui a présenté la candidature de l’intéressé. Pour l’employeur, de tels propos ne sont pas couverts par la liberté d’expression, le droit à l’humour ou le respect de la vie privée.
Le travailleur et l’organisation syndicale font notamment valoir le caractère privé et fermé du groupe Facebook et minimisent la teneur des propos litigieux.
La cour examine les propos tenus, soulignant que, s’ils l’ont été au sein d’un groupe Facebook privé, ce groupe comporte de nombreuses personnes, membres et non-membres de l’entreprise, un nombre significatif d’entre eux étant des femmes. Il s’agit pour la cour d’un « public » diversifié plutôt que totalement homogène et acquis ou accoutumé aux commentaires reprochés.
Il est pour la cour difficile de considérer ces propos comme strictement privés, c’est-à-dire émis dans un cénacle restreint, amical, intime ou contrôlé par l’intéressé. Il s’agit au contraire de propos « publics » tenus à un très grand nombre de personnes, dont certaines inconnues de leur émetteur et non agréées par celui-ci, lesdits propos étant susceptibles d’être plus largement répercutés encore.
La cour renvoie, pour ce qui est du caractère public d’injures, à un arrêt de la Cour de cassation française du 10 avril 2013 (Cass. Fr., 10 avril 2013, n° 344, obs. A CASSART, in R.D.T.I., 2013, p. 101), celle-ci ayant considéré que tel n’est pas le cas lorsque les injures ont été émises sur un compte Facebook accessible aux seules personnes agréées par l’auteur et en nombre très restreint.
Pour la cour du travail, aucune de ces circonstances n’est rencontrée en l’espèce.
Elle reprend également la doctrine, pour qui l’utilisateur ne peut raisonnablement croire au caractère privé des contenus qu’il diffuse que s’il a lui-même la maîtrise de leur publicité et que le nombre de ses « amis », c’est-à-dire des destinataires, reste très limité.
Renvoyant encore à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (Cr.E.D.H., 17 juillet 2003, Req. n° 63737/00, PERRY c/ THE UNITED KINGDOM), la cour souligne que la vie privée n’est protégée que pour autant que la personne en cause ait pu nourrir l’espérance que son droit à la protection s’appliquait à la situation rencontrée et que cette espérance puisse être considérée comme raisonnable eu égard aux faits de la cause et à l’évolution des mentalités.
Pour la doctrine, voir notamment : F. RAEPSAET, « Les attentes raisonnables en matière de vie privée », J.T.T., 2011, p. 145 ; C. PREUMONT, « Les médias sociaux à l’épreuve du droit du travail », J.T.T., 2011, n° 12 ; A. FARCY, « Vie privée et liberté d’expression : application aux publications et ‘’likes’’ sur Facebook d’un travailleur », R.D.T.I., 2018, p. 117.