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Sanction du non-respect d’une promesse d’engagement

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 10 juin 2021, R.G. 20/1.314/A

Mis en ligne le vendredi 29 octobre 2021


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 10 juin 2021, R.G. 20/1.314/A

Terra Laboris

Par jugement du 10 juin 2021, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles fait droit à une demande d’indemnisation pour non-respect d’une promesse d’engagement, allouant au travailleur diverses sommes suite à la rupture, en ce compris une indemnité pour abus de droit de licencier.

Les faits

Une promesse unilatérale de contrat est signée entre une société du secteur de l’Horeca et un travailleur. Elle porte sur des fonctions de plongeur, pour lesquelles est prévue, avant l’engagement, une « formation ». La formation (plusieurs en réalité, semble-t-il) a été suivie par le travailleur. A l’issue de celle-ci, le représentant de la société lui notifié téléphoniquement qu’elle ne « continuerait » plus avec lui, d’autres personnes ayant été recrutées. L’intéressé fait alors plusieurs démarches, dont à l’O.N.S.S., où il découvre qu’il n’y a pas de déclaration Dimona. Son syndicat intervient, réclamant, suite à la rupture ainsi intervenue, diverses sommes (indemnité de rupture, paiement de la rémunération pour la période prestée, éco-chèques, un jour férié, ainsi qu’une indemnité pour abus de droit de licencier).

Le tribunal souligne que divers contacts très pressants (voire même harcelants) ont alors été pris avec le travailleur. La société n’a cependant pas donné suite aux demandes de paiement.

Une procédure est ainsi introduite devant le tribunal du travail.

Position des parties

La société expose avoir dû faire des travaux et avoir, dans ce cadre, fait signer une « promesse unilatérale » de contrat de travail à durée indéterminée, en vue de fixer les conditions de la collaboration entre les parties. Il était fait référence à une « période d’essai », la promesse d’embauche précisant en outre que l’engagement était soumis à une condition suspensive, étant l’ouverture effective du restaurant. Celle-ci fut postposée, vu un dégât des eaux. C’est dans ce contexte que la société expose avoir dû agir comme elle le fit.

En ce qui concerne la condition suspensive de l’ouverture du restaurant, la société considère que celle-ci rendait caduque la promesse unilatérale, dès lors que le dégât des eaux est survenu. Elle considère qu’une telle condition est légale.

Quant au travailleur, il plaide qu’il y a eu contrat de travail, vu les prestations effectuées, contrat auquel il fut mis fin unilatéralement par la société. Le travailleur fait également grief à celle-ci de ne pas avoir effectué les déclarations à la sécurité sociale. Il souligne que le licenciement est intervenu dans des conditions qui lui ont causé un préjudice, vu sa brutalité.

Le jugement du tribunal

Le tribunal considère, eu égard aux pièces déposées, que le demandeur a presté pendant la période réservée à des « formations » et qu’il y a donc eu prestations de travail. Il constate également que le restaurant a été ouvert mais un peu plus tard seulement et qu’il y a eu rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur. Celle-ci justifie que soient alloués au demandeur les montants réclamés, ainsi que des dommages et intérêts (trois semaines de rémunération) pour abus de droit, celui-ci existant vu le non-respect des termes du contrat et vu l’absence de déclaration à la sécurité sociale et l’absence de paiement.

Intérêt de la décision

Dans ce bref jugement, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles aborde la sanction à réserver à une promesse d’embauche. Son non-respect se voit appliquer les règles générales de la rupture, ce qui justifie en l’espèce l’octroi d’une indemnité de préavis d’une semaine de rémunération.

Les faits de l’espèce permettaient par ailleurs de constater que les prestations exigées du travailleur, en principe préalablement à l’engagement, constituaient déjà en elles-mêmes des prestations de travail et que, eu égard à celles-ci, la rupture était intervenue de manière irrégulière.

L’on notera que le comportement général de l’employeur a été retenu comme constitutif d’abus de droit.

Si la question ne fait plus débat en ce qui concerne le droit à une indemnité compensatoire de préavis en cas de non-respect d’une promesse d’embauche, il est plus délicat de déterminer les conséquences du non-respect par l’employeur d’engagements contractuels, relatifs aux conditions de rémunération, par exemple.

A cet égard, il est intéressant de renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 21 septembre 2017 (R.G. 2016/AL/498 – précédemment commenté), où celle-ci s’est penchée sur les conditions de réparation d’un préjudice subi en cas de non-respect par l’employeur d’avantages contractuels annoncés. Il s’agissait en l’espèce d’une assurance de groupe et d’une assurance hospitalisation. Celles-ci, garanties dans des discussions précontractuelles, n’avaient cependant pas été retenues dans le contrat. Se posait plus particulièrement la question de l’assurance de groupe, qui, à l’époque de l’engagement, n’était pas mise en œuvre dans l’entreprise, mais ne l’avait été qu’après le départ de l’employé.

La cour du travail a considéré qu’il fallait renvoyer à la théorie de la perte d’une chance aux fins d’évaluer le dommage subi. Renvoi a été fait à un arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 2013 (Cass., 6 décembre 2013, n° C.12.0245.F), et particulièrement aux conclusions de l’Avocat général WERQUIN. Cet arrêt a précisé que la perte d’une chance est un dommage spécifique qui se distingue de l’avantage qui a été perdu. C’est la perte certaine d’un avantage probable. Celui qui perd un avantage certain subit un préjudice différent de la perte d’une chance. Chaque perte de chance ne peut, cependant, selon l’Avocat général, conduire à un dédommagement. Il faut que deux conditions soient remplies, étant d’une part que la perte de la chance soit établie et, d’autre part, que la chance soit sérieuse ou réelle.

Il a par ailleurs été jugé récemment par le Tribunal du travail de Liège (Trib. trav. Liège, div. Namur, 8 septembre 2020, R.G. 18/983/A) que le fait que l’octroi d’un avantage ait été mentionné par l’employeur dans le cadre de propositions formulées avant l’engagement ne suffit pas à le faire entrer dans le champ contractuel et à mettre à charge de celui-ci une obligation de paiement autre que celle pouvant éventuellement résulter d’un usage.


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