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Accident du travail dans le secteur public et subrogation de l’organisme assureur pour ses décaissements en soins de santé et indemnités

Commentaire de Cass., 17 mai 2021, n° S.20.0066.F

Mis en ligne le vendredi 29 octobre 2021


Cour de cassation, 17 mai 2021, n° S.20.0066.F

Terra Laboris

Par arrêt du 17 mai 2021, la Cour de cassation a jugé que l’accord de la victime sur la proposition d’indemnisation de l’employeur public (C.P.A.S.) est inopposable à l’organisme assureur A.M.I. si celui-ci n’a pas marqué son accord sur ses termes.

Les faits

M. G.O. a été victime d’un accident de travail le 13 juin 2013 alors qu’il travaillait comme ouvrier pour le C.P.A.S. d’Arlon dans le cadre de l’article 60, § 7, de la loi organique des C.P.A.S.

A l’issue de la procédure administrative, le MEDEX a estimé que le cas était consolidé le 1er juin 2014 avec une incapacité permanente partielle de 15%. ETHIAS, assureur du C.P.A.S., en a informé l’organisme assureur de M. G.O.

Sur cette base, le C.P.A.S. a, par courrier recommandé du 1er octobre 2014, adressé à M. G.O. une proposition de règlement qui a été acceptée le 6 octobre 2014. Une rente viagère lui a été octroyée par décision notifiée le 13 novembre 2014.

ETHIAS, assureur du C.P.A.S., a informé l’A.N.M.C. de cette indemnisation et lui a demandé si elle entendait exercer son droit de subrogation. L’A.N.M.C. a réclamé la somme correspondant à la rente de 15% du 2 juin 2014 (lendemain de la consolidation) à la fin du mois de juin ; cette somme lui a été remboursée ainsi que divers frais.

Il convient de préciser que M. G.O. n’a pas repris le travail et a continué à être indemnisé par son organisme assureur qui, très rapidement, va contester la date de consolidation et le taux d’IPP et réclamer en outre le remboursement de soins de santé, ce qu’ETHIAS refuse, aux motifs que la détermination du taux d’I.P.P. et la date de consolidation sont du ressort du service médical déterminé par l’employeur, qu’il y eu accord de la victime sur ces éléments et que les périodes d’incapacité depuis la consolidation sont donc des périodes de maladie.

Par citation du 10 mars 2017 devant le Tribunal du travail de Liège (division Arlon), l’A.N.M.C. demande avant dire droit la désignation d’un expert médecin et réclame en outre des soins de santé. M. G.O. est appelé à la cause pour permettre sa présence à l’expertise.

L’accord de la victime sur la proposition d’indemnisation de l’employeur public (C.P.A.S.) est inopposable à l’organisme assureur A.M.I. si celui-ci n’a pas marqué son accord sur ses termes.

Par jugement du 11 septembre 2018, ce tribunal dit la demande recevable, désigne un expert médecin et condamne le C.P.A.S. à consigner la provision la convention conclue entre le débiteur de la réparation et la victime sans l’accord de l’organisme assureur étant inopposable à celui-ci.

Le C.P.A.S. interjette appel de ce jugement, que la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) confirme par un arrêt du 12 février 2020 (R.G. 2018/AU/96), publié avec un commentaire sur www.terralaboris.be.

L’arrêt fait une synthèse très claire des règles contenues dans l’article 136, § 2, de la loi relative à l’assurance soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994.

On en retiendra que la règle, rédigée en termes généraux, de l’inopposabilité à l’organisme assureur des accords conclus entre l’employeur public ou l’assureur-loi et la victime est applicable à la proposition d’indemnisation reprise dans une décision de l’autorité, qui s’analyse comme « un simple acte administratif individuel qui ne fait qu’exécuter l’accord des parties sur la proposition d’indemnisation elle-même fondée sur les conclusions du MEDEX ».

La cour du travail souligne également que : « L’action subrogatoire peut entraîner des expertises judiciaires, l’organisme assureur subrogé ayant intérêt à faire la lumière sur le dommage à réparer par une autre législation » et que la victime doit participer à cette expertise « car en revendiquant les indemnités d’incapacité de travail, elle contracte l’obligation de permettre à l’organisme assureur d’exercer son droit de subrogation ». L’action subrogatoire a été introduite dans le délai de trois ans prenant cours à partir de la notification de la proposition de rente et est donc recevable.

Sur la question, soulevée par le C.P.A.S., si M. G.O. a respecté le devoir d’information à l’égard de l’A.N.M.C. prévu par l’article 295 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996, obligation qui conditionne l’intervention de cet organisme en attendant la réparation du dommage, l’arrêt précise que la transmission d’information n’est soumise à aucune exigence de forme et a donc pu, comme en l’espèce, se réaliser par les éléments apportés par l’assuré social au médecin conseil.

La cour du travail écarte également le moyen du C.P.A.S. que l’organisme assureur serait intervenu sur la base de l’article 136, § 2, alinéa 1er, aux termes duquel, par exception à la règle de l’interdiction du cumul des réparations, lorsque les sommes accordées en vertu notamment d’une autre législation sont inférieures aux prestations de l’assurance, le bénéficiaire a droit à la différence à charge de l’organisme assureur. Le dommage résultant de l’accident du travail étant effectivement réparé à partir de la fin du mois d’octobre 2014, l’A.N.M.C. n’a plus payé depuis le mois de novembre des avances récupérables lui ouvrant le recours subrogatoire mais sa propre dette en vertu de la règle de la différence.

L’arrêt attaqué y répond que ce n’est qu’à l’issue de la procédure judiciaire de l’A.N.M.C. que l’on pourra déterminer si le dommage en loi était effectivement réparé par la rente déterminée par la procédure administrative non opposable.

L’appel est donc déclaré non fondé, sous la seule réserve que le C.P.A.S. ne peut être condamné à consigner la provision de l’expert, la règle de l’article 26, § 1er, de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 ne concernant que l’action de la victime.

La cause est renvoyée au tribunal du travail.

La requête en cassation

Le C.P.A.S. d’Arlon, qui a appelé M. G.O. en déclaration d’arrêt commun, propose un moyen unique de cassation comportant deux branches.

La première branche invoque la violation de l’article 136, § 2, spécialement alinéas 1er, 2, 5 et 6, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994 et des articles 8, 9, 10 et 11 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 relatif à la réparation en faveur de certains membres du personnel des services ou établissements public du secteur local, des dommages résultant des accidents du travail et des accidents survenus sur le chemin du travail dans la version applicable au litige.

Après avoir rappelé le contenu de ces dispositions, le demandeur soutient, en substance, que le MEDEX, chargé d’apprécier s’il existe une relation de cause à effet entre l’accident et les lésions et de fixer le taux d’incapacité permanente de la victime, est un service administratif autonome et indépendant de l’employeur public ; que ses conclusions lient a minima cet employeur et lient l’agent s’il n’introduit pas un recours ; que s’il accepte la proposition de l’autorité, celle-ci est reprise dans une décision et que cette décision ne peut être considérée comme une convention au sens au sens de l’article 136, § 2, alinéa 5, de la loi coordonnée du 14 juillet 1994, qui consacre la règle de l’inopposabilité à l’organisme assureur des conventions conclues entre la victime et le tiers responsable. La seule action qui reste ouverte à cet organisme, comme à la victime, est donc la demande en révision des rentes prévue à l’article 11 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970.

La seconde branche invoque la violation de l’article 136, § 2, alinéas 1er, 3, 4, 6 et 7, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994 et critique la décision de la cour du travail que les prestations octroyées par l’A.N.M.C. à partir du 1er novembre 2014 l’ont été en attendant que le dommage soit effectivement réparé au sens de l’article 136, § 2, alinéa 3, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. En effet, à partir de la fin du mois d’octobre, l’organisme assureur était averti par le courrier d’ETHIAS que le dommage de M. G.O. était effectivement réparé, ce qui était le cas puisqu’il percevait la rente prévue par la décision administrative notifiée le 13 novembre 2014. Il ne pouvait donc plus octroyer des prestations en attente de la réparation.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour rejette le pourvoi, ce qui prive d’intérêt la demande en déclaration d’arrêt commun.

Sur la première branche, après avoir rappelé le contenu des dispositions légales pertinentes, elle retient que :

« L’accord de la victime sur la proposition de rente du centre public d’action sociale qui l’occupait au moment de l’accident forme une convention entre ce débiteur de la réparation et le bénéficiaire des prestations de l’assurance soins de santé et indemnités, au sens de l’article 136, § 2, alinéa 5, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994, même si la volonté du centre est partiellement liée par la décision du service médical sur le pourcentage d’incapacité permanente et si, dans ce cas d’accord, la proposition de rente est reprise dans une décision du centre notifiée à la victime.

Cette convention est inopposable à l’organisme assureur sans l’accord de ce dernier et la décision du centre qui la met en œuvre est, de même, sans effet à l’égard de l’organisme assureur ».

Sur la seconde branche, la Cour reprend les constatations et énonciations de l’arrêt attaqué dont il ressort « que, selon l’arrêt, les sommes dont (l’A.N.M.C.) demande le remboursement consistent en la différence entre celles accordées (par le centre) sur la base de la législation sur les accidents du travail et les prestations de l’assurance soins de santé et indemnités. »

La convention intervenue entre le C.P.A.S. et M. G.O. n’étant pas opposable à l’organisme assureur, il est donc indispensable de vérifier par l’expertise médicale si les éléments de l’indemnisation étaient conformes aux exigences de la législation sur les accidents du travail.

Intérêt de la décision

L’arrêt attaqué avait exposé très clairement les règles applicables et démontré que les particularités de la procédure de réparation des accidents du travail dans le secteur public étaient sans incidence sur l’application de l’article 136, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et ne rendaient donc pas opposable à l’organisme assureur subrogé dans les droits de la victime l’acceptation par celle-ci des éléments de son indemnisation en loi.

En réponse à la première branche du moyen, la Cour de cassation confirme cette solution, ce qu’à notre connaissance elle n’avait jamais eu l’occasion de faire.

Une fois cette question d’opposabilité tranchée, la réponse à la seconde branche s’imposait d’évidence, à peine de priver de tout effet pratique l’article 136, § 2, alinéa 5, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 dans le secteur public.

Cette procédure permet donc d’attirer l’attention des employeurs publics sur la nécessité d’obtenir l’accord de l’organisme assureur sur les éléments de l’indemnisation en loi et, à défaut, de prendre des mesures pour faire trancher contradictoirement ces éléments dans les relations entre le débiteur de la réparation et cet assureur subrogé.


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