C. trav. Liège (div. Namur), 6 mai 2021, R.G. 2020/AN/119
Mis en ligne le lundi 29 novembre 2021
Cour du travail de Liège (division Namur), 6 mai 2021, R.G. 2020/AN/119
Terra Laboris
Dans un arrêt du 6 mai 2021, la Cour du travail de Liège (div. Namur), ordonne une réouverture des débats afin d’examiner sous l’angle de l’obligation de standstill les conditions de cumul entre une activité lucrative et le statut d’étudiant pendant les dernières vacances avant l’exercice d’une activité professionnelle.
Les faits
Une mère de famille a deux enfants respectivement nés en 2000 et en 2011.
Pour l’année scolaire 2018/2019, elle informe FAMIFED (à l’époque) de l’inscription scolaire de l’aîné aux fins d’obtenir le paiement des allocations familiales pour l’année en cause. L’enfant obtiendra son CESS à la session de septembre 2019 et entretemps il a presté dans le cadre d’un contrat d’étudiant pendant les vacances d’été. Le nombre d’heures est de 349.
Il renonce à entreprendre des études supérieures, ayant la possibilité de trouver un emploi en septembre et ne s’inscrit dès lors ni comme étudiant ni comme demandeur d’emploi. Il a depuis la qualité de travailleur salarié. La mère informe l’institution correctement via renvoi du formulaire ad hoc (P7).
FAMIWAL (venu entretemps aux droits et obligations de FAMIFED) prend la décision de récupérer un indu, correspondant aux allocations familiales de juillet, août et septembre 2019, au motif que la limite des heures de travail autorisée a été dépassée pendant le troisième trimestre 2019. La décision renvoie à l’article 5, § 4, 3° du décret de la Région wallonne du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des allocations familiales.
Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (div. Dinant).
Le jugement du tribunal
Par jugement du 10 août 2020 (R.G. n° 20/33/A), le tribunal du travail accueille partiellement le recours essentiellement aux motifs suivants : (i) défaut de motivation adéquate de la décision, qui ne permet pas de vérifier le calcul de l’indu, (ii) limitation de ses effets aux allocations des mois de juillet et août et (iii) recalcul des allocations en faveur du deuxième enfant pour le mois de septembre.
Appel est interjeté par FAMIWAL.
Position des parties devant la cour
Pour FAMIWAL, il y a dépassement des 240 heures autorisées pendant les dernières vacances d’été après la dernière année d’enseignement des études secondaires supérieures. Il n’y a dès lors pas de droit aux allocations familiales pour les mois de juillet et août. Le rang des allocations familiales auquel peut prétendre le second enfant est le rang 1, puisque le premier enfant n’était plus bénéficiaire d’allocations pendant la période litigieuse. Pour la détermination du rang, il est en effet tenu compte de la chronologie des enfants bénéficiaires. Le fait que la réglementation fasse état de « suspension » plutôt que d’ « interruption » du droit ou de « fin de droit » implique qu’aucune nouvelle demande ne doit être faite au terme du trimestre au cours duquel le droit aux allocations est suspendu.
L’allocataire fait quant à elle valoir sa bonne foi, exposant avoir eu des difficultés de contact avec son fils à l’époque et avoir agi sans aucune intention de fraude. Elle considère que la suspension du droit doit se faire à partir du moment où le quota autorisé a été dépassé, le nouveau calcul des rangs devant intervenir en septembre et non en juillet.
Avis du Ministère public
Pour Mme l’Avocat général, le droit aux allocations familiales est acquis jusqu’à la fin du mois d’août, le paiement en étant simplement suspendu. Le rang est maintenu et le frère peut bénéficier du rang 2, et ce d’autant que le premier enfant a obtenu son diplôme en septembre. À partir de cette date, il ne peut plus prétendre aux allocations, n’ayant ni le statut d’étudiant ni celui de demandeur d’emploi.
La décision de la cour
La cour examine successivement le droit aux allocations familiales dans le cadre de la régionalisation, les règles de cumul avec une activité lucrative, l’incidence de l’obtention d’un diplôme en septembre ainsi que celle de la suspension des allocations sur le rang des autres enfants.
Depuis la régionalisation, est intervenu le décret wallon du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des allocations familiales. Celui-ci est entré en vigueur le 1er janvier 2019 à l’exception de certains articles concernant les enfants nés à partir du 1er janvier 2020, pour qui l’entrée en vigueur a été fixée à cette date.
Il suit de ce décret que la loi générale relative aux allocations familiales du 19 décembre 1939 ainsi que celle du 20 juillet 1971 instituant des prestations familiales garanties sont abrogées avec effet au 1er janvier 2019, hors certaines dispositions, que la cour reprend.
Les droits ouverts en vertu des législations abrogées sont maintenus pour autant que l’allocataire désigné respecte les conditions fixées par le décret wallon et ce jusqu’à la survenance d’un élément nouveau qui entraînerait le réexamen du dossier.
En vertu de l’article 5, les prestations familiales sont accordées sans condition en faveur de l’enfant bénéficiaire (qui remplit les conditions légales) jusqu’au 31 août de l’année civile au cours de laquelle il atteint l’âge de dix-huit ans. Les prestations sont également accordées à partir du 1er septembre de cette même année jusqu’à la fin du mois au cours duquel il atteint l’âge de vingt et un ans sauf s’il se trouve dans une des situations visées par la réglementation (étant notamment l’exercice d’une activité professionnelle hors des limites autorisées ou bénéfice d’une prestation relevant de la sécurité sociale non autorisée).
La cour rappelle qu’un décret modificatif est intervenu le 11 février 2021 (avec d’entrée en vigueur au 1er janvier 2021) modifiant l’article 121 du décret initial prévoyant pour les enfants nés avant le 1er janvier 2001 que les contrats d’étudiant prestés dans les limites du contingent de 475 heures par année civile ainsi que le chômage temporaire (et le revenu y afférent) ne font pas obstacle à l’octroi des allocations familiales.
L’article 62 de la loi générale (qui figure parmi les dispositions non abrogées) reste dès lors d’application, combiné avec l’article 121 du décret ci-dessus.
Cet article 62 prévoit le droit aux allocations familiales jusqu’au 31 août de l’année civile au cours de laquelle l’enfant devient majeur, la disposition confiant au Roi le pouvoir de lier l’octroi des allocations familiales à l’inscription scolaire et ce dans les conditions qu’Il détermine.
Celles-ci sont reprises à la même disposition (article 62, § 3), qui permet le bénéfice des allocations jusqu’à l’âge de 25 ans pour l’enfant qui suit un enseignement ou qui effectue un stage pour pouvoir être nommé à une charge.
Le Roi a prévu par arrêté royal du 10 août 2005 les conditions auxquelles les allocations familiales sont accordées en faveur de l’enfant qui suit des cours ou qui poursuit sa formation. S’il n’y a pas de suspension lorsque l’activité est exercée pendant les mois de juillet, août et septembre, un sort particulier est fait aux périodes de vacances intervenant notamment après la dernière année non supérieure, se terminant au 31 août lorsque l’enfant ne reprend pas effectivement la fréquentation scolaire : dans cette hypothèse l’activité lucrative n’entraine pas la suspension de l’octroi des allocations familiales si elle n’excède pas 240 heures durant le trimestre civil dans lequel elles s’inscrivent.
La cour constate que cet arrêté royal du 10 août 2005 abrogeait un texte précédent (arrêté royal du 30 décembre 1975 fixant les conditions auxquelles les allocations familiales sont accordées en faveur de l’enfant qui suit des cours). Celui-ci prévoyait un droit inconditionnel en juillet et un droit durant le mois d’août – ou le cas échéant septembre – à condition que l’activité soit exercée soit (la cour souligne) dans le cadre d’un contrat de travail d’étudiant soit durant moins de 80 heures par mois.
Son article 12 prévoyait en effet textuellement que l’activité lucrative de l’enfant n’est pas un obstacle à l’octroi des allocations familiales lorsqu’elle est exercée durant le mois de juillet, lorsqu’elle est exercée dans le cadre d’un contrat d’occupation d’étudiant visé au titre VII de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, lorsqu’elle est exercée au cours d’un mois civil pendant moins de 80 heures ou lorsqu’elle est exercée pendant les vacances d’été visées aux articles 9 et 10 bis (c’est-à-dire pendant les vacances entre deux années d’études) (article 12, 1° à 4° de l’arrêté royal en cause).
Pour ce qui est de l’obtention du diplôme en septembre, la cour rappelle que le fait que l’enfant n’ait pas obtenu son diplôme en juin est sans incidence sur le droit et que le critère pour le maintien des allocations familiales est le fait de suivre les cours et non l’obtention du diplôme. Elle se réfère pour ce aux articles 1, 5, 6 et 7 du même arrêté royal du 10 août 2005.
Elle examine, enfin, l’incidence de la suspension sur le rang des autres enfants, renvoyant à l’article 42 de la loi générale (disposition également non abrogée). Elle rappelle que le rang est déterminé par le nombre d’enfants bénéficiaires et non d’enfants au sein du ménage et que la loi générale ne définit par ailleurs pas ce qu’elle entend par suspension du droit (la seule référence à celle-ci figurant en son article 71 en cas de suspicion de fraude). L’on ne peut, cependant, déduire de ce terme de « suspension » que l’enfant resterait bénéficiaire. En conséquence la suspension à l’égard d’un enfant a une conséquence sur le rang des autres enfants.
Suite à cet important rappel, la cour examine les éléments du dossier, partant de la prémisse que selon la législation applicable avant l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 10 août 2005 et selon celle à partir du 1er janvier 2021 (telle que modifiée par le décret de la Région wallonne du 8 février 2021) le fait que le jeune ait presté comme étudiant avec un maximum de 475 heures (qui est le nombre d’heures maximum prévues pour répondre aux conditions de travail d’étudiant) lui permettait de percevoir les allocations familiales.
Se pose ainsi la question de savoir si cette évolution législative ne permet pas de constater dans la restriction imposée par l’arrêté royal du 10 août 2005 un recul significatif de la protection sociale et s’il ne convient pas d’examiner cette évolution au regard de l’obligation de standstill inscrite à l’article 23 de la Constitution.
Elle reprend à cet égard des éléments importants dans les principes des effets du standstill attachés à cette disposition et rappelle que des restrictions significatives des droits sont admises pour autant qu’elles soient dûment justifiées par l’intérêt général et acceptables sous l’angle de la proportionnalité.
Elle considère en conséquence devoir rouvrir les débats afin de vérifier si le recul opéré par l’arrêté royal du 10 août 2005 consistant à ne plus admettre de travail d’étudiant sans limitation d’heures durant les dernières vacances de l’enseignement non supérieur dès lors que l’enfant ne reprend pas ses études heurte ou non ce principe.
Intérêt de la décision
L’arrêt de la Cour du travail de Liège (div. Namur) du 6 mai 2021 annoté pose une question de grand intérêt, dans la matière.
La vérification d’office par la cour du respect du principe de standstill porte ici sur la conformité à ce principe d’un arrêté royal vieux de seize ans, s’agissant de l’arrêté royal du 10 août 2005, qui a fixé les conditions auxquelles les allocations familiales sont accordées en faveur de l’enfant qui suit des cours ou qui poursuit une formation.
La cour a procédé à la vérification de la réglementation précédente et a notamment constaté que les conditions mises à l’absence d’obstacle de l’exercice d’une activité lucrative pour ce qui est de l’octroi des allocations familiales ont été considérablement modifiées à cette époque.
Un sort particulier a été fait aux périodes de vacances intervenant notamment après la dernière année non supérieure (se terminant au 31 août) lorsque l’enfant ne reprend pas effectivement la fréquentation scolaire : dans cette hypothèse l’activité lucrative entraine la suspension de l’octroi des allocations familiales si elle excède 240 heures durant le trimestre civil dans lequel elles s’inscrivent alors que la réglementation antérieure prévoyait un droit inconditionnel en juillet et un droit durant le mois d’août – ou le cas échéant septembre – à condition que l’activité soit exercée soit dans le cadre d’un contrat de travail d’étudiant soit durant moins de 80 heures par mois.
Les nouvelles règles introduites par l’arrêté royal du 10 août 2005 ont, comme on l’a vu, modifié ces dispositions en défaveur du bénéficiaire occupé dans le cadre d’un contrat d’occupation d’étudiant.
Affaire à suivre donc …