Terralaboris asbl

Fraude aux allocations de chômage : règles en matière de récupération

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 22 avril 2021, R.G. 2020/AL/76

Mis en ligne le lundi 29 novembre 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 22 avril 2021, R.G. 2020/AL/76

Terra Laboris

Par arrêt du 22 avril 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles de prescription concernant la récupération des allocations de chômage, la prescription étant allongée en cas de dol ou de fraude : le délai de prescription pour prendre la décision de répétition des allocations indues, de 3 ans, est porté à 5 ans. Un autre délai de prescription de dix ans existe pour intenter l’action en récupération de l’indu.

Les faits

Une bénéficiaire d’allocations de chômage née en 1970 fait l’objet d’une première enquête de l’ONEM sur sa situation en 2008. Elle a, en effet, travaillé comme indépendante pendant deux ans (2005 à 2007) et ensuite a presté pour divers employeurs. Au moment de l’instruction du dossier administratif elle totalisera 3.241 jours de chômage.

Elle est en outre administrateur d’une société qui assure la gestion d’un terrain de camping (le père de son enfant étant l’actionnaire principal) et a été désignée administratrice déléguée et présidente du conseil d’administration. Le siège social de la société a été transféré à son domicile. Cette société a en outre des participations dans un hôtel (29%) et dans une SPRL (100%).

En 2007 elle est devenue administratrice déléguée et présidente du conseil d’administration de la société hôtelière, le siège social étant également transféré à son domicile. Quant à la SPRL, dont l’objet est la location d’emplacements commerciaux, publicitaires, organisation d’événements, etc… (objet très large), elle en est gérante avec pleins pouvoirs d’administration. Le mandat est rémunéré. Le siège social est également installé chez l’intéressée.

Dans un premier document C1 en 2008 elle a signalé une modification de sa situation personnelle mais a répondu ‘non’ à la question si elle exerçait une activité accessoire. Dans un second formulaire C1 de la même année, elle a déclaré une activité, étant un mandat d’administrateur délégué à titre gratuit. Elle a joint une attestation d’affiliation à l’INASTI en tant qu’indépendant complémentaire (pour une société de textile).

Une première décision est intervenue en décembre 2008 acceptant la situation après audition quant à l’activité complémentaire.

En 2011, elle maintient dans un nouveau C1 sa déclaration selon laquelle elle exerce l’activité accessoire déjà déclarée. Deux enquêtes sont alors réalisées, dans cinq sociétés. Le dossier est après celles-ci classé sans suite.

Une troisième enquête en 2013 apporte des renseignements complémentaires sur les éléments factuels concernant les sociétés en cause. Divers services d’inspections sociales (CLS, ONSS, ONEm) mènent en effet des investigations, auditionnant des travailleurs des sociétés, qui confirment que l’intéressée était « la patronne » ou « la gérante ». Cette même année, l’intéressée est devenue employée à temps partiel dans une de celles-ci et bénéficie d’une allocation de garantie de revenu et de l’allocation Activa.

Elle est auditionnée fin novembre 2013. Dans le même temps, interviennent de nouvelles auditions.

Par une première décision du 26 juin 2014, l’ONEm l’exclut des allocations à partir du 17 septembre 2008 au motif elle n’a pas été privée de travail pendant la période en cause. L’ONEm lui fait grief d’avoir omis de déclarer ses activités (mandat de gérante rémunérée et activité d’administratrice déléguée). Il relève en outre qu’il s’agit de sociétés dépendant du secteur de l’HORECA et de l’événementiel. L’intention frauduleuse est retenue et les allocations indûment perçues à partir du 16 avril 2009 (de l’ordre de 54 270€) sont réclamées. Une exclusion de 36 semaines est également décidée.

Une seconde décision intervient rapidement, constatant que l’intéressée n’était pas dans les conditions pour obtenir la carte Activa. Les allocations perçues sont également réclamées. Il s’agit d’un montant de 750€.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), qui a statué par jugement du 13 janvier 2020. Appel a été interjeté par la demanderesse originaire. Dans le cours de la procédure, le dossier pénal (qui avait été ouvert) a été classé sans suite.

La décision de la cour

La cour fait un rappel de la question du mandat d’administrateur dans une société commerciale eu égard aux articles 44 et 45 de l’arrêté royal organique. Elle rappelle qu’un tel mandat constitue une activité effectuée pour compte propre au sens de l’article 45 alinéa 1er, une telle activité étant exercée dans un but lucratif même si elle ne procure pas de revenus lorsque l’intéressé détient directement ou non (la cour citant l’hypothèse du conjoint à titre d’exemple) des parts dans la société puisqu’au travers de l’exercice du pouvoir ainsi conféré, le mandat a pour objet d’assurer la gestion de la société, sa prospérité, ainsi que la rentabilisation du capital investi. Plusieurs décisions sont rappelées ici, confirmant ce principe.

La Cour du travail ajoute que c’est l’activité elle-même qui est interdite et qu’il importe peu que le chômeur qui l’exerce tire directement ou non un profit direct de celle-ci. Il ne peut dès lors être référé à l’activité limitée à la gestion normale des biens propres visée à l’article 45 dernier alinéa de l’arrêté royal organique.

Le fait de détenir un mandat n’implique cependant pas nécessairement l’exercice de celui-ci et dès lors la réalité de l’activité. Le chômeur est en conséquence autorisé à apporter la preuve soit de ce qu’il n’a nullement exercé ce mandat, soit que la société n’exerce pas d’activité ou qu’elle n’a que des activités très limitées.

La cour reprend, dans l’analyse des éléments du dossier, un ensemble de faits relevant l’implication de l’appelante dans la vie des diverses sociétés et, retenant notamment qu’elle signe les comptes annuels et les A.G., elle conclut que celle-ci n’apporte pas la preuve qu’elle n’a pas effectivement exercé la fonction de gérante et que, au contraire, cet exercice effectif paraît avéré. En outre, il est constaté qu’une des sociétés a effectivement une ‘activité considérable’.

Est également reprochée l’absence de déclaration d’un mandat à l’ONEm, ce qui fait de l’activité pour cette société précisément une activité prohibée, étant entendu en plus qu’il s’agit d’une profession qui relève de l’industrie hôtelière.

La situation vis-à-vis d’une autre société est la même et la conclusion de la cour également : il y a absence de déclaration à l’ONEm et il s’agit d’une activité prohibée vu le secteur où elle se déploie, activité qui n’est pas de minime importance et qui n’a en outre pas été exercée avant la demande d’allocations.

La cour précise encore pour autant que de besoin que rien que le nombre des mandats exclut que l’intéressée ait exercé uniquement un travail occasionnel. Il s’agit au contraire d’une activité d’indépendant depuis l’année 2008, ce qui justifie son exclusion du bénéfice des allocations.

L’appelante demandant le bénéfice de l’article 169 en ce qu’il vise la bonne foi, la cour considère que celle-ci n’est pas prouvée mais qu’au contraire il y a intention frauduleuse. Bien que connaissant ses obligations en matière de déclaration d’activité accessoire (puisqu’elle les a en partie respectées) elle a agi tout au long de l’instruction du dossier avec un manque de transparence évident. La cour reprend les réponses inexactes données au cours des enquêtes et le fait qu’en cours de route elle a encore été investie d’un nouveau mandat, qu’elle a à nouveau tu vis-à-vis de l’ONEm. Vu que la fraude est admise, la durée de la prescription est portée à 5 ans.

Sur l’indu, la cour valide le calcul de l’ONEm. Pour ce qui est de la sanction (les cartes de contrôle n’ayant pas été correctement remplies) la cour la fixe à vingt semaines d’exclusion, tenant compte notamment de la longueur de la période infractionnelle, du nombre des mandats exercés et de l’intention frauduleuse mais aussi de l’absence d’antécédent.

Enfin, pour la seconde décision (Activa) la cour conclut à l’absence de lien de subordination, l’intéressée étant … gérante de la société où elle était employée et s’étant retrouvée à la fois employée et employeur. Surabondamment elle précise qu’il n’est même pas établi qu’un travail ait réellement été accompli en qualité d’employée.

La cour examine encore un élément tiré de la prescription de la demande reconventionnelle de l’ONEm, argument qui est rejeté. Elle rappelle qu’en l’application de l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil, le délai de prescription de toutes les actions personnelles a été réduit de trente à dix ans. L’action de l’ONEm en récupération de l’indu est soumise depuis cette date à ce délai de dix ans (renvoi étant fait à deux arrêts de la Cour de cassation, étant Cass., 22 mars 2010, S.09.0084.F et Cass., 27 mars 2006, S.05.002.F).

Intérêt de la décision

Comme le tribunal, la cour du travail a retenu la fraude et a ainsi admis une prescription de cinq ans pour la décision de récupération. Elle a notamment renvoyé à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 mars 2010 (S.09.0084.F), dont l’enseignement est de première importance sur la question. Celui-ci rappelle qu’existent deux délais pour la récupération :

  • un délai de prescription pour prendre la décision de répétition des allocations indues. Celui-ci est de 3 ans et est porté à 5 ans en cas de dol ou de fraude de la part du chômeur (article 7, § 13, alinéa 2, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs)
  • un délai de prescription de dix ans pour intenter l’action en récupération de l’indu.

Quant aux conditions permettant d’invoquer la prescription quinquennale, l’on peut utilement rappeler l’apport de la jurisprudence récente des cours du travail de Mons et Bruxelles :

  • Les manœuvres frauduleuses peuvent être définies comme étant tout agissement malhonnête réalisé malicieusement en vue de tromper l’administration pour son propre profit, pouvant consister aussi bien en actes positifs qu’en abstentions coupables. En retenant la double formulation de fraude ou de dol, le législateur a voulu viser tout agissement volontairement illicite dont certains bénéficiaires de prestations sociales usent pour en obtenir indûment l’octroi, et ce afin de distinguer ces cas de ceux où les versements indus découlent soit d’erreur administrative, soit d’un manque de diligence des organismes attributeurs (C. trav. Mons, 24 septembre 2020, R.G. 2019/AM/353)
  • Pour pouvoir activer la prescription de 5 ans, l’ONEm doit établir que le paiement indu est consécutif à un dol ou à une fraude de la part du chômeur. Comme en matière d’AMI, où ces concepts, non autrement précisés, ont également cours, l’on ne peut induire l’existence d’une fraude de la seule circonstance que l’assuré social pouvait se renseigner quant à l’étendue de ses obligations, ni de la constatation qu’il n’a pas déclaré la poursuite d’une activité. Elle est, en revanche, certainement établie lorsque le chômeur fait, sciemment, de fausses déclarations quant à cette poursuite lors de sa demande d’allocations ou dans tout document qu’il a, ultérieurement, à compléter pour maintenir ses droits (C. trav. Bruxelles, 2 mars 2017, R.G 2016/AB/228).

Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be