Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 avril 2021, R.G. 2019/AB/719
Mis en ligne le lundi 29 novembre 2021
Cour du travail de Bruxelles, 15 avril 2021, R.G. 2019/AB/719
Terra Laboris
Dans un arrêt du 15 avril 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la règle de l’article 10bis de l’arrêté royal n° 50, qui fixe le principe de l’unité de carrière, disposition modifiée par la loi du 5 décembre 2017 pour les pensions prenant cours pour la première fois et effectivement au plus tôt le 1er janvier 2019.
Les faits
Ayant pris sa pension de retraite en 2008, un ancien fonctionnaire de police, qui a d’abord travaillé dans le secteur privé pendant treize ans se voit notifier par l’O.N.P. (à l’époque) son droit à la pension de retraite de travailleur salarié.
La pension est calculée au taux isolé pour une carrière de 8/45e, son conjoint bénéficiant d’une prestation sociale. La carrière de l’intéressé dans la fonction publique a été prise en compte pour 37/45e et dans le régime salarié pour 15/45e. Dans ce calcul, il totalise ainsi 52/45e. Sept années, les moins avantageuses, ont été négligées.
L’intéressé conteste le calcul de l’O.N.P., indiquant que le secteur public tient compte d’une carrière de 31 années (et de quelques mois). L’O.N.P. répond que la pension a été calculée sur la base des prestations de l’intéressé pendant 15 ans, sa carrière étant toutefois limitée à 8/45e en vertu de l’article 10bis de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967.
Cette disposition prévoit que, lorsque le total des fractions qui pour chacune des pensions en exprime l’importance dépasse l’unité, la carrière professionnelle prise en considération dans le régime des travailleurs salariés est diminuée d’autant d’années qu’il est nécessaire pour réduire ce total à l’unité.
La fraction admise dans le secteur public (31,29/37,5) donne 37/45e si elle convertie. L’O.N.P. précisera encore la manière de calculer la carrière lorsque les dénominateurs (secteur public et secteur privé) ne sont pas les mêmes.
Un recours est introduit par l’intéressé devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. Celui-ci le déboute et il interjette appel.
Moyens de l’appelant
Celui-ci demande à titre principal que l’on tienne compte des années « les moins avantageuses » (en début de carrière et pour la première année où il a presté dans le secteur public sans être nommé).
A titre subsidiaire, il demande en cas d’impossibilité d’obtenir la pension conformément au calcul ci-dessus de condamner le S.F.P. (ex-O.N.P.) au remboursement des cotisations sociales versées pour le secteur pension à partir des années qu’il indique.
La décision de la cour
La cour tranche en premier lieu une triple question de recevabilité, étant celle du recours initial, de l’appel ainsi que d’un appel incident formé par le S.F.P. (qui demande à la cour de déclarer le recours initial irrecevable).
La cour conclut à la recevabilité et du recours et de l’appel (mais non de l’appel incident).
Quant au fond, elle aborde en premier lieu le cadre légal, reprenant les règles essentielles de l’arrêté royal n° 50 et de celui du 23 décembre 1996, rappelant que lorsque le nombre d’années civiles que la carrière comporte est supérieur à 45, seules les années civiles donnant droit à la pension la plus avantageuse sont prises en considération à concurrence de ce dernier nombre.
La cour reprend ensuite le texte de l’article 10bis de l’arrêté royal n° 50 tel qu’en vigueur à l’époque (1er février 2008) ainsi que celui de l’article 3 de l’arrêté royal du 14 octobre 1983 portant exécution du précédent. Elle souligne, à propos de la réduction de la carrière professionnelle, qu’elle affecte par priorité les années qui ouvrent le droit à la pension la moins avantageuse.
La règle de l’article 10bis est connue comme étant celle de l’unité de carrière (la cour renvoyant à l’arrêt de la Cour de Cassation du 11 décembre 1995, S.95.0039.F). Cette règle ne vise que la carrière professionnelle du travailleur ayant une carrière mixte à prendre en considération et non les différentes pensions auxquelles ce travailleur a droit (avec renvoi à un arrêt du 25 octobre 2004, S.01.0099.F). En conséquence de ce principe, toutes les carrières reconnues, à l’exception de celle d’indépendant, sont additionnées à celle de travailleur salarié et, lorsque le total des fractions exprimant l’importance de chacune des pensions dépasse l’unité, la carrière professionnelle prise en considération pour le calcul de la pension de retraite de salarié est diminuée d’autant d’années qu’il est nécessaire pour réduire ledit total à l’unité (renvoi étant ici fait à l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 20 septembre 2001, n° 112/2001).
En l’espèce, la cour constate que l’appelant demande la non-application de l’article 10bis, au motif d’une part d’une discrimination et d’autre part du caractère obsolète de la disposition. L’intéressé s’estime en effet lésé par la règle de l’unité de carrière et considère que, ayant travaillé de 1963 à 2008, il totalise effectivement 45 années de carrière et que ce n’est que par le jeu d’une augmentation fictive de 20% des années prestées dans le secteur public que l’unité de carrière est dépassée.
La cour rejette cet argument, considérant que le tribunal a fait une juste application des principes et confirmant sa décision, qui a pris en compte la carrière sur la base d’un dénominateur exprimé en 45es.
Pour ce qui est de la discrimination, la cour rappelle que la constitutionalité du principe instauré par l’article 10bis a été admis par la Cour Constitutionnelle au moins à deux reprises et elle renvoie aux arrêts rendus (étant C. Const., 6 novembre 2014, n° 161/2014 et C. Const., 20 septembre 2001, n° 112/2001).
Quant au caractère obsolète de cette disposition, la cour rappelle que la plupart des règles en sécurité sociale relèvent de l’ordre public et que la réglementation en matière de pension n’échappe pas à ce principe, avec notamment pour conséquence que les conditions d’octroi sont d’interprétation stricte et qu’un juge ne pourrait s’en écarter pour des motifs d’équité, voire sous prétexte de vétusté de la norme.
La cour aborde également la règle actuelle, l’article 10bis ayant été modifié par la loi du 5 décembre 2017 pour les pensions prenant cours effectivement et pour la première fois au plus tôt le 1er janvier 2019. La nouvelle réglementation prévoit que le nombre total de jours pris en compte dans l’ensemble des régimes est de 14 040 jours équivalents temps plein. La carrière professionnelle prise en considération pour la pension de retraite de travailleur salarié sera réduite d’autant de jours équivalents temps plein qu’il est nécessaire pour arriver à ce total (la limitation de la carrière n’étant pas applicable lorsque la carrière professionnelle globale du travailleur salarié comporte plus de 14 040 jours et que les jours équivalents temps plein postérieurs au 14 040e jour de la carrière globale sont des jours de travail effectivement prestés comme travailleur salarié).
Ce régime n’est pas applicable à l’appelant, qui a pris sa pension en 2008 et la cour n’aborde pas davantage la réglementation actuelle.
Enfin, sur la demande de restitution des cotisations de sécurité sociale, au motif que celles-ci relèvent du droit de propriété au sens de l’article 1er du Premier protocole additionnel de la Convention Européenne des droits de l’homme et que ce droit lui revient indépendamment du système de financement des pensions, la cour renvoie ici encore à l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 6 novembre 2014, qui a conclu à l’absence de contrariété de la disposition avec l’article 1er du Premier protocole additionnel. La Cour Constitutionnelle a estimé que l’unité de carrière fait partie d’une série de mesures visant à freiner la croissance des dépenses dans le régime des pensions des travailleurs salariés et que la mesure est pertinente par rapport à l’objectif poursuivi. L’atteinte au droit de propriété n’est pas disproportionnée, celui qui a souscrit à une pension (en l’espèce OSSOM) ne se voyant nullement privé de son droit à la pension).
Intérêt de la décision
Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle le principe d’unité de carrière organisé par l’article 10bis de l’arrêté royal n° 50. Cette limitation de la carrière professionnelle globale vaut en cas de carrière mixte et non en cas de carrière homogène.
Dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 5 décembre 2017 (loi modifiant diverses dispositions relatives aux régimes de pension des travailleurs salariés et des travailleurs indépendants, en ce qui concerne le principe de l’unité de carrière et la pension de retraite anticipée), la durée de la carrière prise en compte ne pouvait être supérieure à 45 ans exprimant la carrière complète.
Ainsi que l’a rappelé la cour, l’intention qui a présidé à l’insertion de cette disposition dans l’arrêté royal n° 50 était de placer tous les travailleurs ayant une carrière professionnelle mixte sur un pied d’égalité et ce afin de maîtriser les dépenses dans le secteur des pensions. Cet objectif (freiner la croissance des dépenses dans le régime des pensions des travailleurs salariés) a été rappelé dans un arrêt de la Cour Constitutionnelle du 6 novembre 2014 repris par la cour du travail dans l’arrêt annoté.
La cour du travail a encore insisté sur le caractère d’ordre public de la réglementation, qui s’impose au juge, celui-ci ne pouvant s’écarter de la règle qu’elle contient.
L’on notera que le mécanisme actuel n’entraînerait plus un tel débat, puisque le critère est le nombre de jours effectivement prestés.