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Secteur des institutions de crédit : procédure de licenciement et questions de discrimination

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 avril 2021, R.G. 2018/AB/555

Mis en ligne le mardi 28 décembre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 27 avril 2021, R.G. 2018/AB/555

Terra Laboris

Par arrêt du 27 avril 2021, la Cour du travail de Bruxelles reprend les conditions mises dans ce secteur au licenciement des travailleurs, dont l’obligation d’information (notification) à la délégation syndicale de la décision prise, obligation qui ne peut être remplacée par la circonstance que le travailleur n’ait pas souhaité l’assistance d’un délégué à l’entretien préalable. La cour examine également une demande d’indemnité pour licenciement discriminatoire sur la base de l’état de santé actuel et futur et sur le handicap.

Les faits

Un employé a été engagé par une institution publique de crédit le 4 janvier 2010. Divers avenants au contrat initial seront signés, modifiant les fonctions de l’intéressé, qui à partir d’octobre 2010 devient responsable d’un département de l’entreprise.

En janvier 2016, la direction des ressources humaines l’informe de l’intention de la société de mettre fin à son contrat de travail et ce vu des carences professionnelles. Il est convoqué à un entretien, lui étant également signalé qu’il peut se faire assister du délégué syndical de son choix. L’intéressé accuse réception du courrier et signale ne pas souhaiter être assisté d’un délégué syndical.

L’entretien a lieu en présence de la représentante du département des ressources humaines ainsi que du supérieur hiérarchique. Un courrier lui est remis au cours de l’entretien et il est également envoyé par lettre recommandée. Lui est ainsi notifié son licenciement moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Le courrier est motivé et fait état de l’ébranlement de la confiance entre les parties, vu les carences professionnelles mentionnées dans la lettre adressée antérieurement.

L’intéressé conteste son licenciement, qu’il considère discriminatoire. Il introduit une procédure devant le Tribunal francophone de Bruxelles, en paiement d’une indemnité de protection prévue par une convention collective de secteur, d’une indemnité de protection sur pied de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, ainsi que d’un léger solde d’indemnité compensatoire de préavis.

Le jugement du tribunal accueille très partiellement la demande, allouant un petit solde d’indemnité compensatoire. Il délaisse à l’employeur ses dépens (qui avaient été fixés à 6.000€ pour l’indemnité de procédure) et le condamne à payer à l’ancien employé 180€ à ce titre.

Appel est interjeté sur les postes principaux.

Moyens des parties devant la cour

L’appelant poursuit sa demande de paiement des deux indemnités qui ne lui ont pas été allouées par le tribunal et demande également le paiement des indemnités de procédure, correspondant pour chaque instance à 6.000€.

L’employeur sollicite la confirmation du jugement et à titre subsidiaire demande que l’indemnité pour discrimination soit limitée à trois mois de rémunération brute. Il conclut également sur l’indemnité de procédure, dont il demande qu’elle soit à charge de l’appelant.

La décision de la cour

La cour examine la procédure de licenciement organisée au niveau sectoriel. Il s’agit d’une convention collective de travail du 26 octobre 2015 relative à l’accord sectoriel 2015-2016, conclu au sein de la commission paritaire n°325. Elle reprend son article 5, relatif à la procédure de licenciement applicable aux travailleurs ayant au moins un an d’ancienneté lorsque sont invoquées des raisons en relation avec l’exécution du contrat de travail.

La cour constate que les motifs du licenciement sont visés, s’agissant de carences professionnelles. En conséquence, la procédure devait être respectée. Celle-ci (dont il est acquis qu’elle n’a pas été transposée dans les règlements existants au niveau de l’entreprise) vise quatre étapes étant (i) la notification des manquements professionnels au travailleur, (ii) sa convocation écrite à un entretien dans un délai déterminé (avec remise du dossier de licenciement), (iii) la notification de la décision définitive et (iv) l’information de la délégation syndicale avec notification au travailleur.

La cour souligne que le choix fait par l’intéressé de ne pas être assisté par un délégué syndical ne dispense pas l’employeur du respect de l’ensemble de ces étapes. Ces obligations ne sont pas purement formelles. Il appartient à l’employeur d’agir de façon à permettre que l’effet utile de la procédure soit atteint.

La responsable du département RH a rédigé une attestation conforme aux articles 961/1 et 961/2 du Code judiciaire selon laquelle cette notification serait intervenue. Cette attestation constitue, pour la cour, une forme écrite de témoignage et l’arrêt rappelle que la preuve testimoniale n’a pas de force probante légale, le juge appréciant souverainement celle-ci. En l’espèce peu de crédit peut lui être donné, étant également relevé qu’elle n’est pas autrement corroborée.

Vu le non-respect de la procédure, l’indemnité forfaitaire est due.

La cour en vient ainsi à la deuxième indemnité réclamée, étant celle prévue par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, indemnité dont le montant est de six mois (article 18, § 2, 2°). Deux critères protégés sont visés, étant le handicap et l’état de santé actuel et futur. Est visé subsidiairement un refus de mettre en œuvre des aménagements raisonnables.

La cour rappelle les principes en matière de handicap et d’état de santé, ainsi que la répartition de la charge de la preuve dans cette matière.

En l’espèce, l’intéressé fait valoir qu’il est atteint de la maladie de Steinert et que les symptômes de celle-ci ont constitué un obstacle à sa pleine et effective participation à la vie professionnelle en raison de son état de santé. La réalité de cette maladie n’est pas contestée.
La cour rappelle dès lors que pour établir l’existence d’un handicap il ne suffit pas d’invoquer une symptomatologie due à une maladie mais d’établir l’existence d’une limitation qui en résulte sur la participation à la vie professionnelle au même titre que les autres travailleurs. La preuve n’est pas rapportée au dossier, non plus que celle d’une gêne ou d’une entrave à l’exercice des fonctions. La cour souligne que l’intéressé a deux licences universitaires et a eu très peu de jours de maladie.

En ce qui concerne le chef de demande relatif au refus de mettre en œuvre des aménagements raisonnables, elle rappelle encore que l’abstention de mettre ceux-ci en œuvre n’est constitutive par elle-même de discrimination que pour autant qu’elle puisse être qualifiée de refus. Ceci suppose qu’une demande d’aménagement ait été exprimée.

En outre, le travailleur doit établir son handicap et prima facie l’efficacité de l’aménagement raisonnable proposé. Il incombe alors à l’employeur de contester ces éléments ou d’établir que l’aménagement constitue une charge disproportionnée. La cour rappelle ici la doctrine de J.F. NEVEN (J.F. NEVEN, « Le droit européen de la non-discrimination : un impact décisif en faveur d’une obligation généralisée de reclassement professionnel ? », Le maintien au travail des travailleurs devenus partiellement inaptes, coord. M.DAVAGLE, Anthemis, 2013,57).

Les conditions légales n’étant pas remplies, il n’est pas fait droit à ce chef de demande.

Sur les dépens, ils sont mis à charge de l’entreprise et réduits à 3.600€ par instance, à majorer de la contribution au fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle dans un premier temps que des dispositions spécifiques sectorielles imposant à l’employeur le respect d’une procédure en cas de licenciement doivent être appliquées de manière stricte.

En l’espèce, des quatre obligations dégagées, une ne l’a manifestement pas été : il s’agit d’une obligation spécifique d’information (notification) à la délégation syndicale de la décision prise. Cette obligation ne peut être négligée et ne peut non plus être remplacée par la circonstance qu’un délégué syndical ait (ou non à la demande du travailleur) assisté à l’entretien préalable. Il s’agit de mesure de protection du travailleur dont l’employeur ne peut faire l’économie.

Sur le deuxième point, la cour rappelle très judicieusement l’objet et l’étendue de la charge de la preuve lorsqu’un travailleur estime qu’il est victime d’une discrimination sur la base de l’état de santé ou du handicap.

Pour ce qui est du critère protégé en lui-même, le travailleur a la charge de la preuve de l’existence d’un handicap. Ceci suppose non seulement qu’il puisse invoquer l’existence d’une maladie et une symptomatologie déterminée mais également qu’il apporte la preuve d’une limitation résultant de celle-ci sur sa pleine et entière participation à la vie professionnelle comme les autres travailleurs. Ceci pour la définition du handicap.

Par ailleurs pour ce qui est des aménagements raisonnables, le travailleur doit également établir, à partir du handicap ainsi défini, en ce compris le fait que sa pleine participation à la vie professionnelle s’est trouvée sérieusement et durablement affectée du fait des atteintes dont il souffre, (i) qu’une demande d’aménagements raisonnables a été faite, (ii) que les aménagements proposés sont adéquats eu égard aux effets du handicap et (iii) qu’ils ne sont pas disproportionnés.

Une fois cette triple charge de la preuve satisfaite, l’employeur a alors l’obligation d’établir par une contestation de ces éléments que les aménagements constituent une charge disproportionnée.


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