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Travail pénitentiaire et maladie professionnelle

Commentaire de C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 26 mai 2021, R.G. 2020/AU/36

Mis en ligne le mardi 28 décembre 2021


Cour du travail de Liège (division Neufchâteau), 26 mai 2021, R.G. 2020/AU/36

Terra Laboris

Par arrêt du 26 mai 2021, la Cour du travail de Liège (div. Neufchâteau) recherche le fondement légal de la réparation d’une maladie professionnelle qui pourrait être survenue à un détenu occupé à effectuer du travail pénitentiaire, constatant que si un arrêté royal existe dans le secteur des accidents du travail depuis le 26 juin 2019, rien de similaire n’existe pour les maladies professionnelles.

Les faits

Un peintre en bâtiment a une carrière professionnelle allant de 2005 à 2012, et ce chez le même employeur. Il a cependant été incarcéré entre juillet 2006 et juin 2009 une première fois et, ensuite à partir de décembre 2010.

L’examen de son dossier démontrera qu’il a presté pendant 233 jours en 2010, 156 en 2009, 119 en 2006 et 57 en 2005.

Depuis mai 2015, il travaille comme peintre en bâtiment dans la prison où il est incarcéré. Ces travaux sont pris en charge par une société privée qui est responsable de la maintenance sur la base d’un contrat conclu avec l’Etat belge (SPF Justice, Régie du travail pénitentiaire). L’Etat belge fournit la main-d’œuvre pénitentiaire pour les travaux. Il facture les prestations de travail à la société privée et paye le travail pénitentiaire aux détenus.

L’intéressé a sollicité la reconnaissance d’une maladie de la liste étant le code 1.606.22. Sur le plan médical, des documents existent depuis 2012 (épicondylite, tendinite).

Sa demande a été rejetée au motif que la lésion en raison de laquelle la réparation est demandée ne peut pas être considérée comme maladie professionnelle.

Il a introduit un recours devant le Tribunal du travail de Liège (div. Marche-en-Famenne). L’affaire est dirigée à la fois contre Fedris et l’Etat belge.

Par jugement du 28 novembre 2019, le tribunal a annulé la décision pour défaut de motivation adéquate.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour examine en premier lieu la question de sa compétence matérielle, reprenant l’article 579 du Code judiciaire, dont le 1° vise le risque professionnel. Il précise que cette disposition vise tout accident lié au travail, sans référence à une législation réparatrice et sans faire de distinction quant au secteur d’activité non plus encore qu’au statut juridique du travailleur et notamment au caractère volontaire ou non du travail. La compétence matérielle doit s’interpréter à l’aune du principe du regroupement cohérent et logique des conflits et il n’y a pas lieu d’ajouter une distinction où l’article 579 CJ n’en fait pas.
La cour renvoie ici notamment à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 juin 2009 (C. const. 4 juin 2009, n°94/2009) et à l’arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 2010 (Cass., 29 mars 2010, S.09.0083.N).

Fedris ayant formé appel incident sur la question de la motivation de la décision, la cour règle d’abord cette question et réforme le jugement : elle considère que la décision contient les considérations de droit et de fait qui servent à son fondement. La motivation est suffisante. La cour souligne d’ailleurs que l’intérêt de ce moyen est très limité puisque l’annulation qui interviendrait ne conduit pas un octroi automatique mais impose au juge de se substituer à l’administration et de reprendre l’examen des conditions d’octroi.

La cour en vient ainsi à la demande d’indemnisation formulée à l’égard de Fedris, et ce en application des lois coordonnées du 3 juin 1970 applicables dans le secteur privé. La cour rappelle que le demandeur doit prouver une atteinte répondant à la définition de la maladie professionnelle et à la condition de l’exposition au risque professionnel de la contracter. Une fois ces deux conditions remplies, le lien de causalité entre la maladie et l’exposition est présumé. Il s’agit d’une présomption irréfragable.

En l’occurrence le code visé concerne les tendons, les gaines tendineuses ainsi que les insertions musculaires et tendineuses des membres supérieurs, les lésions étant dues à une hyper sollicitation de ces structures par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif ou par des postures défavorables. Cette maladie est définie par son agent causal. Le travailleur doit dès lors démontrer que l’atteinte tendineuse peut être due sous un angle médical général à l’exposition professionnelle spécifique, étant cette hyper sollicitation.

Si la définition du code ne requiert pas une apparition concomitante de la maladie et de l’exposition au risque et ne fixe pas davantage un délai dans lequel elle doit apparaître, la cour estime que le dossier médical ne justifie pas d’ordonner une expertise. En effet, les éléments médicaux apportés par la victime sont considérés comme peu précis et contraires à certaines données factuelles. En outre, la cour constate un important écart entre l’objectivation de la pathologie (2013 et 2016) et les nombreuses périodes d’inactivité, de même que la fin de l’exposition en décembre 2010.

En outre, la cour précise que, sauf si une présomption s’applique, il incombe à la victime de fournir la preuve de l’exposition au risque professionnel. C’est une condition d’indemnisation : le milieu professionnel doit générer un danger potentiel pour la santé (un risque) pouvant provoquer la maladie.

Dans la mesure où aucun critère n’est imposé par la loi, ceci laisse place à une appréciation au cas par cas et la preuve de l’exposition au risque de contracter la maladie ne peut dépendre du dépassement d’une norme théorique généralisée. Il y a lieu d’examiner l’atteinte par le travailleur concerné d’un seuil qui peut causer ce risque dans son cas et ce sans négliger les autres critères, dont celui qui impose une analyse du risque au niveau du groupe de travailleurs. La cour reprend ici la doctrine de S. REMOUCHAMPS (S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013/2, pages 492 et 494).

Pour la période ultérieure, celle-ci ne peut être examinée à partir des lois coordonnées du 3 juin 1970, dans la mesure où le demandeur originaire ne démontre pas un statut de salarié ou un quelconque assujettissement entrant dans le champ d’application de la loi.

Reste à examiner la demande d’indemnisation formulée à l’égard de l’Etat belge pour la période d’incarcération. Pour la cour, il faut renvoyer à la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus. Celle-ci prévoit en son article 83 § 1er que la mise au travail du détenu dans la prison a lieu dans des conditions qui se rapprochent autant que possible de celles qui caractérisent des activités identiques dans la société libre et ce pour autant que la nature de la détention ne s’y oppose pas.

La cour ne peut que constater qu’étant ni statutaire ni contractuel engagé par l’Etat belge, l’intéressé ne peut invoquer l’application des lois coordonnées le 3 juillet 1967.

Reprenant longuement l’avis du Conseil d’Etat, qui a notamment souligné que la Cour européenne des droits de l’homme laisse une très grande liberté d’appréciation aux Etats pour déterminer si et, le cas échéant, dans quelle mesure les détenus doivent être soumis à des règles de droit social et que la Convention ne prévoit aucune obligation de conclure un contrat de travail pour les détenus effectuant un travail pénitentiaire.

La modification législative intervenue en 2013 confirme l’absence de contrat de travail, les détenus ayant un statut tout à fait spécifique (la cour renvoyant à V. Van der Plancke et G. Van Limberghen, La sécurité sociale des (ex) détenus et de leurs proches, Bruxelles la Charte, coll. Droit en mouvement 2008, page 517).

Enfin, un arrêté royal du 26 juin 2019 règle l’indemnisation des détenus victimes d’un accident du travail pénitentiaire (mais non d’une maladie professionnelle)

La cour constate encore qu’aucune délégation n’a été prévue par la loi de principes de 2005 et qu’il y a une lacune, soit un vide juridique qui est source d’une potentielle discrimination. Vu cette lacune, la demande n’est pas recevable à l’égard de l’Etat belge, vu que la loi du 3 juillet 1967 ne trouve pas à s’appliquer dans le rapport de travail entre les parties. Et la cour de souligner également que l’on pourrait se référer au droit commun de la responsabilité civile…Elle constate cependant que le demandeur n’évoque à ce stade aucune faute de l’Etat belge.

La cour clôture son examen en précisant qu’existe (selon la doctrine citée ci-dessus) une circulaire du 27 décembre 1972, qui pourrait (le conditionnel étant souligné dans l’arrêt) être invoqué dans le cadre d’une maladie professionnelle (renvoyant également à C. Vanderlinden, « Chronique de criminologie. Travail pénitentiaire et sécurité sociale du détenu », Rev. dr. pén., 2003/5 pages 670 à 674 ainsi qu’à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 11 janvier 2010, R.G. 2008/AB/50.560).

En conséquence, elle ordonne une réouverture des débats afin de permettre à l’Etat belge de se positionner sur cette base.

Intérêt de la décision

La réparation du risque professionnel appliquée aux détenus est, comme le rappelle la cour, en dehors du champ d’application des lois du 10 avril 1971 (accidents dans le secteur privé), 3 juin 1970 (maladies dans le secteur privé) et 3 juillet 1967 (accidents et maladies dans le secteur public).

Le fondement légal de la réparation est à chercher ailleurs et la cour rappelle ici que la loi de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus du 12 janvier 2005 est muette sur la question.

Il a fallu attendre l’A.R. du 26 juin 2019 pour que le risque lié à un accident du travail survenu à un détenu soit réglementé. A l’heure actuelle, cependant, aucun texte équivalent n’est venu régler la question de la maladie professionnelle.

Sans entrer dans les détails de l’A.R. du 26 juin 2019, qui peut être aisément consulté, relevons qu’il prévoit des dispositions assez analogues à la législation relative aux accidents du travail eux-mêmes, avec des adaptations au niveau de la procédure de règlement et une référence, au titre de rémunération de base au revenu minimum mensuel moyen garanti catégorie « 21 ans et plus » tel qu’établi par le Conseil National du Travail au moment de la consolidation. Si le détenu victime d’un accident du travail pénitentiaire meurt des suites de cet accident, une indemnisation forfaitaire est accordée à ses ayants droit (30.000 euros). C’est la Régie du travail pénitentiaire (dont les activités sont décrites par l’arrêté royal du 13 septembre 2004 déterminant les activités de la Régie du travail pénitentiaire) qui prendra en charge les dépenses générées par les accidents du travail pénitentiaire et leurs suites. Le Rapport au Roi précise que, aux termes de l’arrêté du 13 septembre 2004, c’est la Régie qui est chargée de l’offre et de l’organisation du travail des détenus et qu’il est logique qu’elle soit désignée comme financièrement responsable des accidents survenant lors du travail pénitentiaire organisé par ses soins.


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