Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 mai 2021, R.G. 2020/AB/2
Mis en ligne le mardi 28 décembre 2021
Cour du travail de Bruxelles, 20 mai 2021, R.G. 2020/AB/2
Terra Laboris
Dans un arrêt du 21 mai 2021, la Cour du travail de Bruxelles statue, après l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 7 avril 2016, sur la conformité avec le droit européen du refus en droit belge de la totalisation des périodes d’emploi nécessaires à l’admissibilité aux allocations de garantie de revenus lorsque l’occupation dans cet emploi n’a pas été précédée de périodes d’assurance ou d’emploi sur le territoire belge.
Les faits
Un musicien salarié a quitté son pays (Tchéquie) pour la Belgique, où il a trouvé un emploi à temps partiel (enseignant). Il a sollicité, lors de la prise de cours de celui-ci, le bénéfice des allocations de chômage avec garantie de revenus.
Rappel de la procédure devant la cour du travail
La Cour du travail de Bruxelles a rendu deux arrêts (24 octobre 2014 et 27 mai 2015) sur les deux aspects du litige, étant d’une part l’admissibilité eu égard aux prestations effectuées en Tchéquie (point qui a donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation du 31 octobre 2016, n° S.15.0024.F) et d’autre part le droit à des allocations de chômage avec garantie de revenus.
Cette question, examinée dans l’arrêt du 27 mai 2015, avait amené la cour à interroger la Cour de Justice sur l’allocation de garantie de revenus. Celle-ci a en effet pour vocation de compléter le salaire perdu dès lors que le chômeur a accepté une activité à temps partiel. La question se posait dès lors de savoir si le demandeur pouvait être considéré comme travailleur à temps partiel avec maintien des droits. Au début de l’activité, le travailleur doit en effet satisfaire à toutes les conditions d’admissibilité et d’octroi applicables aux personnes ayant travaillé à temps plein. Lorsqu’il a demandé les allocations de chômage, l’intéressé n’avait cependant pas encore accompli de travail, la demande étant concomitante à la signature du contrat.
La cour du travail avait dès lors interrogé la Cour de Justice sur une possible entrave à la libre circulation.
La décision de la Cour de Justice
La Cour de Justice a considéré dans son arrêt rendu le 7 avril 2016 (C.J.U.E., 7 avril 2016, Aff. n° C-284/15 (ONEm c/ M et M c/ ONEm et CAPAC) que la norme européenne (articles 47 et 48 T.F.U.E. ainsi que 15.2 de la Charte) ne s’oppose pas au refus de la totalisation des périodes d’emploi nécessaires à l’admissibilité aux allocations de garantie de revenus lorsque l’occupation dans cet emploi n’a pas été précédée de périodes d’assurance ou d’emploi dans l’Etat même.
Elle a notamment rappelé que l’article 48 T.F.U.E. n’interdit pas au législateur européen d’assortir la libre circulation des travailleurs de conditions dans les facilités qui leur sont accordées ni d’en fixer les limites.
L’arrêt du 20 mai 2021
L’arrêt reprend la procédure ainsi que le cadre légal et les principes applicables, étant l’article 131bis, § 1er, de l’arrêté royal organique. Le texte applicable est celui en vigueur après sa modification par l’arrêté royal du 25 juin 2008 et avant celle intervenue par l’arrêté royal du 7 juin 2013.
La cour rappelle que, pour obtenir l’allocation de garantie de revenus, le travailleur doit (en substance) avoir la qualité de travailleur à temps partiel avec maintien des droits (et autres conditions). En ce qui concerne cette qualité, l’article 29, § 2, de l’arrêté royal (jusqu’à sa modification par l’arrêté royal du 8 juillet 2014) disposait qu’est, dès le début de son occupation à temps partiel, réputé travailleur à temps partiel avec maintien des droits le travailleur qui est entré dans un régime de travail qui ne correspond pas aux dispositions de l’article 28, §§ 1er ou 3, et dont la durée hebdomadaire répond aux dispositions de l’article 11bis, alinéas 4 et suivants, de la loi du 3 juillet 1978 si plusieurs conditions sont réunies, dont celle de satisfaire à toutes les conditions d’admissibilité et d’octroi pour bénéficier des allocations comme travailleur à temps plein au moment où il entre dans le régime de travail à temps partiel.
Un stage devait dès lors être effectué. A l’époque, l’article 67, § 3, du Règlement n° 1408/71 subordonnait la prise en compte de prestations de travail dans un autre pays de l’Union à la condition que l’intéressé ait accompli en dernier lieu des périodes d’emploi selon les dispositions de la législation au titre de laquelle les prestations sont demandées. Ceci signifie, en vertu de l’arrêté royal organique, des périodes de travail en vertu de la réglementation belge. La cour du travail constate que cette exigence vaut tant pour les Belges que pour les ressortissants d’un autre Etat membre.
A la date de la demande, l’intéressé ne pouvait se prévaloir d’aucune prestation de travail comme salarié. Il ne satisfaisait dès lors pas à la condition requise par l’arrêté royal et les prestations effectuées en Tchéquie avant l’arrivée en Belgique ne pouvaient pas entrer en ligne de compte pour le calcul de la période de stage.
La cour rappelle la conformité de cette disposition avec le droit de l’Union, et en particulier avec l’article 67, § 3, du Règlement n° 1408/71. Ne pouvant prétendre à des allocations de chômage comme travailleur à temps plein, l’intéressé ne pouvait non plus revendiquer la qualité de travailleur à temps partiel avec maintien des droits et ne pouvait prétendre à l’allocation de garantie de revenus.
La cour confirme donc la position de l’ONEm.
Intérêt de la décision
L’arrêt de la Cour de Justice du 7 avril 2016 a été précédemment commenté.
La question posée concernait l’interprétation de l’article 67.3 du Règlement 1408/71, étant de savoir s’il s’oppose à ce qu’un Etat membre refuse la totalisation des périodes d’emploi au niveau de l’examen des conditions d’admissibilité d’une prestation de chômage telle que l’allocation de garantie de revenus en l’absence de période d’assurance ou d’emploi dans cet Etat. La cour du travail s’interrogeait sur une possible entrave à la libre circulation du fait qu’un travailleur, qui n’a pas travaillé précédemment en Belgique, n’aurait pas droit à l’allocation de garantie de revenus alors qu’il occuperait un emploi à temps partiel faiblement rémunéré et qu’il pourrait de ce fait être dissuadé de postuler pour celui-ci.
Pour la Cour de justice, l’article 67 ne s’oppose pas à ce qu’un Etat membre refuse la totalisation des périodes d’emploi nécessaires à l’admissibilité au bénéfice de l’allocation de chômage qui vient compléter les revenus d’un emploi à temps partiel lorsqu’il n’y a pas eu, avant cet emploi, de période d’assurance ou d’emploi dans l’Etat même.
Elle renvoie notamment à la jurisprudence VAN NOORDEN (C-272/90), MARTINEZ LOSADA (C-88/95, C-102/95 et C-103/95) et VERWAYEN-BOELEN (C-175/00) pour la règle selon laquelle une personne qui n’a pas accompli en dernier lieu des périodes d’assurance ou d’emploi conformément à la législation d’un Etat membre ne peut pas bénéficier de prestations de chômage de cet Etat au titre de l’article 67.
La cour du travail a dès lors logiquement confirmé qu’à la date de la demande, l’intéressé ne pouvait se prévaloir d’aucune prestation de travail comme salarié et ne satisfaisait pas à la condition requise par l’arrêté royal, cette exigence valant au même titre pour les Belges (et travailleurs ne faisant pas valoir des périodes de travail à l’étranger).